- La criminalité liée à la faune en Afrique, c’est 19 % des cas recensés en 2023, d’après le rapport de l’ONU sur le crime.
- Les revenus du trafic illicite des espèces sauvages atteignent USD 20 milliards dans le monde et les criminels parviennent à utiliser les services commerciaux publics.
- Les éléphants, les rhinocéros et les pangolins sont les principales espèces abattues, qui alimentent ce trafic frauduleux. D’autres espèces fauniques comme les reptiles et les poissons font également l’objet d’une demande croissante.
- Le Kenya, l’Ouganda et le Zimbabwe figurent parmi les pays où le braconnage d’éléphant est élevé.
La criminalité liée à la faune se maintient en Afrique et dans le monde. Depuis le début de l’année 2024, des incidents réguliers. En février, 17 Tamarins-l Lion dorés (Leontopithecus rosalia), communément appelés singes, ainsi que 12 grands perroquets ont été saisis au Togo. Un mois plus tôt, ce même pays a également saisi 38 primates à destination de la Thaïlande, en provenance de la République démocratique du Congo (RDC). Seulement, 30 avaient été déclarés au départ de Kinshasa. En même temps, au Kenya, loin du pic de braconnage de 2014, l’application des lourdes peines semble porter ses fruits : l’abattage illicite des animaux connaît une baisse et une croissance de 21 % des éléphants.
Interpol indique qu’en matière de trafic de la faune, tous les pays sont concernés sur le continent. Des espèces sous menace d’extinction continuent d’être capturées et vendues. S’il reste difficile d’accéder aux chiffres plus globaux, des données partielles glanées à partir de diverses sources (tableau ci-dessous) soutiennent une augmentation de la crminalité liée aux espèces sauvages.
En interrogeant la base de données publique Wild Live Trade Portal sur le commerce des espèces sauvages en Afrique, il apparaît clairement que l’éléphant (proboscidea) est l’espèce la plus concernée, la plus abattue entre janvier 2020 et octobre 2024, période de consultation de cette base de données. Les éléphants sont chassés pour leurs défenses. Plusieurs saisies ont été signalées principalement au Kenya, en Ouganda, au Zimbabwe, en RDC, au Congo Brazzaville et au Malawi, parmi les pays ayant compté le plus d’incidents. Sont aussi concernés le Togo, la Mamibie, le Congo Brazzaville, le Malawi ainsi que le Zimbabwe.
Le pangolin (Pholidota) est le 2ème animal le plus chassés, ses écailles étant particulièrement recherchées dans la médecine chinoise. Les rhinocéros noirs, les lions et les gorilles sont aussi tués et trafiqués pour leurs cornes et leurs trophées. « L’Afrique est une source majeure et un centre de transit pour les produits illégaux issus de la faune », explique Fidelis Manga, responsable de la communication à WWF (Fonds mondial pour la nature) pour le bassin du Congo.
Pour Manga, les pangolins, les éléphants et les rhinocéros représentent 95 % des saisies de produits animaux entre 2015 et 2021. « Des rapports indiquent qu’entre 2010 et 2018, plus de 157 000 éléphants ont été braconnés à travers l’Afrique, un nombre important provenant des forêts de la RDC », dit-il à Mongabay.
Cependant, même si ces chiffres préoccupent les défenseurs de l’environnement, la tendance générale décroît sur la même période, d’après les données de Wild Life Trade Portal. L’année 2021 est celle qui a enregistré le plus de cas, et 2024 (en cours) pourrait enregistrer le plus bas niveau d’incidents sur l’ensemble des pays considérés (Botswana, Cap Vert, Tchad, Centrafrique, Congo, RDC, Congo, Cote d’Ivoire, Guinée Equatoriale, Ghana, Kenya, Madagascar, Malawi, Mauritanie, Rwanda, Togo, Ouganda, Zimbabwe, Zambie). Les ports africains de Mombassa au Kenya et Dar es Salaam en Tanzanie apparaissent comme les points chauds de transit vers l’Asie principalement et parfois vers l’Europe. Les trafiquants recourent aussi de plus en plus aux plates-formes digitales pour vendre leurs produits, « ce qui rend la détection et les poursuites plus difficiles », selon le réseau TRAFFIC.
Cette tendance à la baisse concerne aussi la population de gorilles de montagne en augmentation de 3 % entre 2010 et 2016, d’après le rapport « Planète vivante » 2024 de WWF. Ce rapport alerte sur le déclin rapide de la biodiversité mondiale du fait de la destruction de l’habitat de la faune sauvage et des pollutions.
Des criminels plus puissants et des actions à demi-teinte
Le trafic des espèces sauvages génère chaque année USD 20 milliards, d’après le rapport The Rise of Environment Crime du Programme de l’ONU pour l’environnement et d’Interpol, et entre USD 7 et 23 milliards en Afrique, selon le réseau international TRAFFIC du WWF. L’Afrique représente, en outre, 19 % des saisies mondiales de produits de faunes, d’après le rapport « World Wildlife Crime 2024 » de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC).
Ces chiffres illustrent l’influence que peuvent avoir les braconniers sur les administrations publiques et les systèmes judiciaires, où ils recourent à la corruption. Les parties au Partenariat sur les forêts du bassin du Congo, en juin 2024, à Kinshasa ont recommandé plus de sévérité contre les crimes environnementaux, notamment plus de répressions judiciaires.
Ces dernières représentent une solution majeure aux yeux d’Ofir Drori, initiateur du réseau anti crimes faunique EAGLE présent dans plusieurs pays dans le monde. Pour Drori, il suffit que les organisations de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages sortent des bureaux pour enquêter, afin d’envoyer les criminels en prison pour les dissuader. « La lutte contre la corruption n’est pas quelque chose d’impossible à anéantir », explique Drori à Mongabay au téléphone.
Drori explique que le réseau EAGLE a réussi à envoyer plus de 3 000 personnes en prison à travers le monde pour crimes à la faune. Il soutient en outre que les gouvernements ne sont pas toujours efficaces pour lutter seuls contre la corruption et qu’« il faut une tierce instance », les ONG par exemple. Puisque, selon lui, il est plutôt rare que des actions judiciaires soient menées contre des personnalités haut placées impliquées dans les crimes.
A ce propos, l’étude conduite par la plate-forme TRAFFIC du WWF, sur les affaires judiciaires camerounaises liées aux crimes environnementaux de 2010 à 2022, montre que 24 % des affaires présentent « les caractéristiques alarmantes du trafic d’influence, notamment la non-arrestation des suspects, des affaires non signalées au sein du processus judiciaire, des retards inutiles, des erreurs délibérées et des sanctions judiciaires peu élevées ».
Régions pauvres, criminalité faunique élevée
La criminalité liée à la faune semble prospérer dans des zones en conflit, où le taux de pauvreté est élevé, d’après l’analyse du chargé de communication du WWF, Fidelis Manga. Le braconnage, par exemple, alimente les groupes armés en RDC et en Centrafrique, où les violences n’épargnent pas les aires protégées. « L’instabilité politique et la corruption aggravent encore le crime lié à la faune », selon Manga. Celui-ci constate que, partout où les opportunités économiques sont limitées, « certains individus se tournent vers le braconnage comme moyen de survie ».
« Nous devons faire face aux incursions des groupes rebelles super armés pour assurer l’intégrité des aires protégées, qui sont sous notre gestion », dit Paul N’Lemvo Budiongo, directeur de cabinet du Directeur général de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) en RDC. C’est ainsi que dans le nord-est de ce pays, au Parc national de Garamba, disparaît le rhinocéros blanc, selon Budiongo. « Il y a aussi le guépard, c’est un animal féroce, qui habitait le Parc national de Kundelungu, mais que nous n’arrivons plus à retrouver pendant nos activités de bio-monitoring », ajoute N’Levo.
Ce trafic illicite prospère aussi grâce à la demande croissante, qui vient de l’Asie, mais aussi de l’Europe dans une moindre mesure, destinations principales des produits de braconnage. La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) souligne, que des réseaux criminels organisés stimulent le braconnage dans divers pays africains, explique pour sa part Fidelis Manga de WWF. Pour lui, ce problème peut se résoudre par le renforcement de la gouvernance et la transparence parmi toutes les parties impliquées dans la promotion de la faune.
Quant à Drori du réseau EAGLE, les Etats et les grandes ONG doivent sortir de la routine des ateliers de formation et chercher ceux qui stimulent ce trafic illicite. « Nous ne sommes qu’une petite ONG avec très peu de moyens. Nous n’avons même pas de véhicules pour nos déplacements. Pourtant, explique Drori, nous avons réussi à faire juger de hauts placés dans plusieurs pays ». Pour lui, la peur de la sanction, combinée avec les sensibilisations, peut donner de bons résultats.
Des initiatives prometteuses
Selon Interpol, l’impact de la criminalité liée aux espèces sauvages est important sur la paix et la sécurité, le développement durable et les droits de l’homme. Le braconnage et le trafic d’espèces protégées de la faune et de la flore sauvages se sophistiquent de plus en plus au niveau international. Par exemple, les fraudeurs utilisent des structures commerciales légales. Heureusement, des réponses en règle s’organisent aussi, indique à Mongabay Stephen Lloyd du Bureau de Presse d’Interpol. « Nous sommes régulièrement témoins de l’intense motivation et de la persévérance des autorités africaines chargées de l’application de la loi pour protéger leurs ressources naturelles contre les malfaiteurs », explique Lloyd.
En outre, Interpol indique que les crimes contre les espèces sauvages sont presque toujours liés à d’autres domaines de la criminalité organisée tels que la fraude, la traite des êtres humains, le blanchiment d’argent et la corruption. La lutte des Etats et organisations de conservation exige d’« aller au-delà des saisies en garantissant des enquêtes approfondies et des poursuites fructueuses », et de « renforcer la collaboration avec les réseaux institutionnels et les organismes chargés de l’application de la loi, y compris le pouvoir judiciaire », souligne Lloyd.
Même si le plus grand nombre de braconnages d’éléphants enregistrés entre 2020 et 2024 se trouve au Kenya, la lutte contre la braconnage dans ce pays a permis l’augmentation de 20 % des pachydermes entre 2014 et 2021, d’après une étude qui indique qu’en 30 ans, leur population est passée de 16 000 à 34 800.
En RDC, les autorités procèdent à des arrestations et condamnations judiciaires des criminels, explique Paul N’Levo de l’ICCN. Mais, en ce qui concerne la personne (dont le nom est toujours tenu secret) responsable du trafic illicite des primates rapatriés en février 2024 du Togo, elle n’a pas été inquiétée, selon deux défenseurs de la faune contactés par Mongabay. « Ce dossier est déjà clos. Inutile d’insister. Car les singes sont réhabilités », répond sommairement Jeff Mapilanga, directeur de l’ICCN. Mapilanga indique, toutefois, que « le criminel est blacklisté ! », ce qui veut dire qu’il ne pourra plus exercer.
Par ailleurs, des équipes anti-braconnage ont été mises en place les deux dernières décennies dans plusieurs pays, en RDC, en RCA, au Cameroun notamment, parfois bien armées pour faire face aux menaces des braconniers, qui n’hésitent parfois pas à tirer sur les éco-gardes. Pour TRAFFIC, la collaboration entre Etats, à l’instar du système TWIX utilisé par les douanes de plusieurs pays, ainsi que le renforcement de la loi sont, entre autres, les solutions pour venir à bout de la criminalité liée aux espèces sauvages.
Image de bannière : Viande de brousse. Un chasseur tenant en main un animal tué. Image de jbdodane en date de 05 janvier 2014 au Congo près de Makaga Sibiti via Flickr (CC BY-NC 2.0).
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