- Les crimes environnementaux préoccupent les Etats membres de la Commission des Forêts d'Afrique Centrale (COMIFAC).
- Le sommet du Partenariat pour les forêts du bassin du Congo (PFBC) tenu, début juin 2024, à Kinshasa, a recommandé plus de fermeté aux Etats membres contre les crimes environnementaux.
- Dans plusieurs pays de la sous-région, l’administration environnementale connaît des défis majeurs, qui vont des trafics d’influence, qui rendent difficile le fonctionnement de la justice, au déficit de formation des agents de douane et de police chargés d’assurer la surveillance aux frontières.
Le contenu de cet article contient des images susceptibles de heurter certaines sensibilités.
Avec son bassin du Congo, le plus grand réseau hydrographique et forestier du continent, l’Afrique centrale abrite une importante biodiversité. Mais, ses forêts et autres espèces végétales, ainsi que les animaux, qui y vivent, alimentent un trafic illicite, que les Etats veulent endiguer depuis près d’une décennie. La voie judiciaire semble intéresser acteurs publics et de la société civile.
A sa clôture, le 6 juin 2024, à Kinshasa, en République Démocratique du Congo (RDC), la 20e réunion des parties au Partenariat pour les forêts d’Afrique centrale a recommandé, aux Etats membres, la fermeté contre les crimes environnementaux commis en Afrique centrale.
Sur le terrain, en effet, la criminalité environnementale prend diverses formes, avec une tendance à davantage prendre une dimension internationale depuis environ deux décennies, selon les organisations spécialisées, dans la biodiversité comme WWF ou TRAFFIC, et, comme l’indiquent aussi de nombreux récits des médias.
Il s’agit aussi bien de l’exploitation illégale de bois, qui accentue la déforestation et l’extinction des espèces rares comme l’acajou, le wengé appelé aussi l’Awong (Millettia laurentii) ou encore le trafic du bois rouge (Pterocarpus tinctorius). Il faut compter aussi le braconnage et le trafic illicite des espèces sauvages, notamment en dangers comme les félins qui s’éteignent dans le Parc national de Waza, dans l’Extrême-Nord du Cameroun, ainsi que les perroquets gris d’Afrique en RDC, dont le trafic a été suspendu en 2016, par l’organe administratif CITES, afin d’établir un inventaire exhaustif de l’espèce suspecté de menace d’extinction.
Les pays du bassin du Congo, en Afrique centrale, font également face à l’exploitation illégale des ressources minérales, alimentant au passage des conflits meurtriers ou des groupes armés, notamment dans l’Est de la RDC, où le braconnage et l’exploitation illicite des minerais, comme le coltan, alimentent la guerre d’après de nombreux rapports d’ONG, dont celui des experts de l’ONU sur la situation en 2023. Il faut compter aussi parmi les crimes environnementaux la pêche illégale et les pollutions. Le Cameroun, le Gabon, la République Démocratique du Congo, République Centrafricaine et la République du Congo sont les pays les plus concernés de la région.

Des lois et des juridictions judiciaires plus sévères contre les crimes environnementaux
Ces crimes sont diversement pris en compte par des mesures administratives et judiciaires, selon les pays. L’abattage d’une espèce protégée, par exemple, expose son auteur à des sanctions plus sévères pouvant aller jusqu’à des peines d’emprisonnement, alors que le braconnage simple peut donner lieu à des transactions pénales au Cameroun et en RDC. Mais, à cause des pratiques telles que le trafic d’influence, qui pèsent sur les fonctionnaires publics d’échelon inférieur, ou encore à cause de la corruption, les législations nationales peinent à prévenir les crimes environnementaux.
C’est ce qu’explique précisément Yves Rolang Chokouako, chercheur à l’université de Dschang (Cameroun), dans une publication de la revue juridique International Multilingual Journal of Science and Technology en 2022. Il montre, dans cette publication, que, non seulement la transaction pénale est confiée « à une administration toute puissante aux prérogatives très exorbitantes », au Cameroun, « mais elle est aussi appliquée dans un contexte où les mauvaises pratiques telles que la corruption, l’opacité dans la gestion, plombent son efficacité ». Dans ce cadre, selon ce chercheur, un réaménagement du régime de sanctions « à travers l’élimination de la discrimination négative existante (sic) entre le délinquant primaire et celui récidiviste d’une part et l’association de l’autorité judiciaire d’autre part » Un constat similaire est fait en RDC. Malgré le fait que ce pays dispose d’un cadre légal adéquat, l’étude sur « La répression des crimes fauniques en RDC » constate que « plusieurs dossiers n’arrivent pas à recevoir un jugement, notamment parce que mal-présentés ».
Des administrations environnementales affaiblies
Mais, malgré ces limites de la stratégie judiciaire pour venir à bout des crimes environnementaux sur le continent, la session du 4 juin 2024 du sommet du PFBC (Le Partenariat pour les forêts du bassin du Congo) tenue à Kinshasa, en RDC, et dédiée au rôle des acteurs et à l’identification des enjeux, pour lutter contre la criminalité environnementale en Afrique centrale, a invité les Etats membres au PFBC a exprimé ses grandes attentes des juridictions d’ordre judiciaire. Cet atelier a précisément invité les Etats à appliquer plus de sanctions en transmettant les « contentieux aux juridictions compétentes dans le respect des règles procédurales établies par les codes en vigueur ».

Mais, même si « on ne combat un réseau que par un réseau », comme l’a soutenu, lors de sa présentation, le congolais John Bonenge, agent de la Direction générale des Douanes et Accises, les défis sur le terrain tendent à montrer, que la dissuasion judiciaire et législative ne suffit pas. Puisque, comme l’a montré Bonenge au cours d’une session au sommet du PFBC à Kinshasa, les défis administratifs ne facilitent pas la surveillance aux frontières parfois poreuses. Ce douanier indique que son pays, un territoire de 2,3 millions de kilomètres carrés avec neuf longues frontières ne compte que 5000 douaniers.
Aussi, selon lui, le commerce illicite des espèces fauniques et végétales profite parfois de la complicité des fonctionnaires. « Il y a certains points où il n’y a même pas d’infrastructures, il y a aussi le manque d’intégrité des agents : le problème de corruption. Il y a là le manque d’éthique professionnelle, l’ingérence de certaines hiérarchies. Ça aussi, c’est un problème parce que la criminalité environnementale a un lien avec d’autres crimes. Le commerce même est pratiqué par ceux-là qui sont censés le combattre », a déclaré Bonenge.
Avant de vaincre les crimes environnementaux
Mais, pour Adams Kassinga, Responsable de l’ONG Conserv Congo spécialisée dans la faune, contacté par Mongabay, l’Afrique doit organiser une riposte concertée. Pour lui, cette riposte passe notamment par la formation des douaniers, qui est un besoin impérieux pour accroître l’efficacité de la lutte contre les crimes environnementaux. « Le travail de la police nationale est de protéger les gens », répète Kassinga, ce qu’il dit entendre souvent répéter par les fonctionnaires, lorsqu’il demande pourquoi la police n’intervient pas dans certaines affaires criminelles liées à la faune.
« Normalement, on devrait avoir soit une police environnementale, soit une unité spéciale, qui sera positionnée à chaque point de sortie. De la même manière, on fait des recherches sur les minerais de sang, de la même manière, on met des ressources pour combattre la drogue, on devrait avoir des gens spécifiques, qui ont la connaissance, non seulement scientifique pour l’identification des espèces, mais aussi qui ont aussi l’outillage nécessaire leur permettant différentes espèces, leurs origines, leur transit et leur destination ; mais aussi les gens qui peuvent veiller sur le bien-être de ces animaux », dit Kassinga joint par téléphone par Mongabay.

La COMIFAC à l’œuvre : Africa TWIX une veille régionale
Les pays membres de la Commission des Forêts d’Afrique Centrale (COMIFAC), l’instance d’orientation, de décision et de coordination des actions et initiatives sous-régionales en matière de conservation et de gestion durable des écosystèmes forestiers, a adopté, en 2016, la plate-forme digitale Africa Twix. Objectif : échanger les informations pour lutter contre le commerce illicite des produits de faune et de flore.
Avec huit membres enrôlés (Cameroun, Gabon, RDC, Rwanda, etc.) sur les 15 que compte la COMIFAC, la plate-forme Africa TWIX permet des échanges de mails avec les services de répression des crimes, de surveillance aux frontières, de conservation des mails et autres données. L’acronyme « TWIX », qui sert de nom à cette plateforme, veut dire « Trade in Wildlife Information eXchange », c’est-à-dire le réseau d’échanges d’information sur le commerce des espèces sauvages.
Avec une photo, par exemple, un agent de douane peut identifier une espèce végétale ou faunique devant lui, s’il n’est pas assuré, selon l’explication de Bricette Nguemo, agent de la COMIFAC qui a assuré la présentation de la plate-forme au forum du PFBC, le 4 juin 2024, à Kinshasa.
Ce type de coopération a permis de saisir, plusieurs fois, des animaux illégalement trafiqués. Mais la répression des crimes est rendue difficile, sur le continent, par l’imbrication des enjeux : puisqu’en même temps que le braconnage alimente le commerce illicite des espèces animales, par exemple, la chasse fournit des protéines d’origine animale à de nombreuses familles, qui n’en ont pas d’autres accessibles et/ou disponibles. Pour cela, des Etats et organisations non-gouvernementales, telles que TRAFFIC et WWF, travaillent à délimiter les zones de chasse de subsistance dans le but de ne pas totalement priver de telles communautés de viande. Les criminels profitent parfois de telles ouvertures. C’est le cas au Congo Brazzaville, où des trafiquants opèrent même durant les périodes interdites de chasse.
Image de bannière : Perroquet gris d’Afrique (Psittacus erithacus). Image de Jakob Pfalz via Unsplash.
Citations :
Chokouako , Y. R., (2022). « La Transaction Pénale et la criminalité Faunique au Cameroun », dans International Multilingual Journal of Science and Technology, n°7, vol.7, 5194-5202. URL : https://www.imjst.org/wp-content/uploads/2022/07/IMJSTP29120719.pdf.
Ngeh, C. P., Shabani, A. N., Mabita, M. C., & Djamba, K.E. La répression des crimes fauniques en RDC : comment améliorer les poursuites judiciaires?. Edition TRAFFIC, Yaoundé, Cameroun. URL : https://www.traffic.org/site/assets/files/11583/la_repression_des_crimes_fauniques_en_rdc-v2.pdf.
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