- L’exploitation artisanale et industrielle des minerais pour les technologies et la transition énergétique, le cobalt et le cuivre, expose des femmes à des risques pour leur santé reproductive en République Démocratique du Congo.
- Des cas de malformations congénitales des fœtus, des enfants morts avant la naissance ou juste après avoir vu le jour, ainsi que des infections génitales se multiplient.
- La communauté scientifique ne sait pas encore dans quelle mesure le processus d’extraction minière affecte la santé reproductive, mais certains suspectent de l’uranium radioactif retrouvé dans les pierres et des résultats préliminaires ont montré qu'il y a de la pollution industrielle acidifiante dans l'eau.
- Mongabay est parti enquêter et récolter les témoignages des femmes dans les régions concernées.
LUBUMBASHI — Notre enquête démarre au centre médical la Trinité, situé à moins de 20km de la ville de Kolwezi, dans le Sud de la RDC. A une centaine de mètres de là seulement, une carrière de cuivre et cobalt jouxte des habitations. La poussière, qui part de la mine, est aussi soulevée au passage par des camions chargés des produits artisanaux et atterrit dans les maisons, et jusqu’au centre de santé.
« Parfois, les gardes industriels lancent des projectiles qui arrivent jusqu’ici au centre médical, lorsqu’ils chassent les clandestins de la mine », explique l’infirmière Julie Nshinda qui tient ce centre.
Le soleil frappe fort ce lundi 22 juillet 2024. Nous empruntons un chemin sinueux, qui longe un moment la longue clôture en ciments qui limite l’immense mine de cuivre à ciel ouvert de l’entreprise COMMUS, Compagnie minière de Musonoïe, filiale de la Zijin Mining Group Ltd, une entreprise minière multinationale basé en Chine. Le coin s’anime au rythme des camionnettes chargées de sacs de ces pierres, extraits des remblais par des artisanaux qui vont les vendre ailleurs. Bienvenue dans le Golf Musonoïe, un quartier adjacent au centre-commercial de Kolwezi, connue comme capitale mondiale de cobalt.
Plus haut, circulent des poids lourds : des bennes de COMMUS chargées de mêmes matières. Elles seront broyées, plus loin, dans l’usine de l’entreprise minière, transformés et produiront des lingots de cuivre et une poudre verdâtre, le cobalt, minerai qui offre à ce jour de meilleures perspectives de stockage d’électricité : les batteries pour les ordinateurs et les technologies de la transition énergétique dans ce monde qui chauffe.
« J’ai connu 4 avortements »
Julie Nshinda est témoin de nombreux cas d’infections sexuelles et, plus gravement encore, de malformations congénitales sur les bébés, ainsi que de nombreux cas d’avortements. Sur son téléphone lors de notre passage à son centre, elle montre les images d’un autre bébé dont certains organes internes sortaient du ventre. Son centre médical reçoit par mois 5 à 10 femmes avec des plaintes liées à la santé de la reproduction, précise-t-elle à Mongabay.
Une semaine après notre passage à son centre, la même infirmière a annoncé, image à l’appui, la naissance d’un bébé dont la cervelle sortait du front, le lundi 29 juillet 2024. Témoin des récits et événements choquants pour les couples et les mères surtout, Nshimba a décidé de sortir de son silence pour dénoncer une pollution, qu’elle dit provenir de COMMUS.
« Je reçois beaucoup de cas de menaces d’avortement, des naissances prématurées. Parfois, une femme enceinte arrive, se plaint des douleurs abdominales. Et lorsque je fais des examens, je constate que le fœtus est déjà mort et commence à se décomposer. Il y a également des cas d’infections génitales. Là, par exemple, j’ai cette jeune femme couchée sur le lit, elle saigne abondamment », témoigne l’infirmière Nshimba.
Nous avons contacté COMMUS et Zijin Mining Group afin d’avoir sa réaction au sujet des accusations de pollution et de la proximité de la carrière avec les habitants du Golf Musonoïe, mais nos sollicitations sont restées lettre morte.
Dans leur rapport intitulé « Impact environnemental de l’exploitation minière en RDC » publié en mars 2024, les ONG britannique RAID et congolaise AFREWATCH, spécialisées dans les ressources naturelles, expliquent que « la communauté scientifique ne sait pas encore dans quelle mesure les eaux, contaminées par des déchets d’exploitation de cuivre et de cobalt, l’acide sulfurique et les métaux lourds provenant des mines artisanales et industrielles affectent spécifiquement la santé des femmes ». Par contre, il est bien connu que les mauvaises pratiques d’hygiène, dues à l’absence d’accès à l’eau potable et aux installations sanitaires, mettent les femmes et les filles en danger d’infections et autres maladies gynécologiques et génésiques.
Selon le rapport, 56 % des personnes interrogées ont déclaré avoir remarqué une augmentation significative des problèmes gynécologiques et reproductifs chez les femmes depuis le début des activités minières industrielles dans la région. Les périodes exactes varient selon la région visitée, elles expliquent.
« J’ai connu quatre avortements successifs ces dernières années. Dès que la grossesse atteint trois mois, j’ai des douleurs au bas ventre. Et puis, ces douleurs s’accentuent, enfin le fœtus est expulsé. Chaque fois que je conçois, le même phénomène se produit. C’est dur », explique avec un ton sec Angèle, une femme travaillant dans les mines à Kolwezi, au Sud de la RDC.
Agée d’une quarantaine d’années, Angèle (elle sera ainsi appelée sans nom de famille), habite le quartier Postolo, à moins de 1000 mètres de la mine industrielle de COMMUS, dans la ville de Kolwezi. Depuis 16 ans, elle travaille dans la mine artisanale de Chabula, dans les environs de la ville. Son époux, décédé il y a 4 ans, était aussi exploitant artisanal. Pour Angèle, les problèmes sanitaires, qu’elle connaît, pourraient être liés à son travail dans la mine artisanale.
Les pieds dans l’eau, elles manipulent des pierres les mains nues
Les exploitants artisanaux clandestins, en effet, vont extraire du cuivre et du cobalt dans les résidus miniers de la compagnie minière de Musonoïe, COMMUS. Comme de centaines d’autres femmes habitant la ville de Kolwezi autour de laquelle sont localisées plus importantes réserves mondiales de cobalt, Angèle achète les minerais auprès des exploitants et les revend aux comptoirs, dont les acheteurs sont en majorité d’origine chinoise et indienne.
Elle explique : « Ces dernières années, les industriels se sont méfiés d’acheter ces produits des mines artisanales pour les ajouter à leur stockage. Par contre, la pratique continue toujours par des intermédiaires ou des acheteurs anonymes ».
A Kapata, à une vingtaine de minutes de cette partie de la ville de Kolwezi, des centaines de femmes travaillent dans le nettoyage des minerais dans un autre site d’exploitation minière artisanale de minerai. C’est un travail peu rémunérateur, au bout de la chaîne de l’exploitation artisanale, comparé à celui de creuseurs qui descendent dans les tunnels, qu’ils creusent, et où les femmes ne sont pas admises au motif qu’elles feraient éloigner les filons de cuivre, selon les croyances populaires parmi les artisanaux.
Ces femmes passent entre 8 et 10 heures par jour à nettoyer les produits qu’elles reçoivent des creuseurs. Les pieds dans l’eau, elles manipulent des pierres noires, généralement à mains nues, ignorant pratiquement tout sur l’irradiation, que pourraient produire ces pierres. A la fin de la journée, les plus fortes peuvent gagner entre 20 et 100 000 francs congolais, soit 6 et 35 USD.
D’après les scientifiques, comme la zambienne Queenter Osoro, Présidente de l’Association de l’Afrique de l’Est pour la radioprotection (EAARP.CO.KE) et un français qui a requis l’anonymat contactés par Mongabay, le taux d’irradiation peut parfois croître dans certaines roches. Puisque le cuivre ou le cobalt peut « contenir de petites quantités d’uranium et de thorium, qui se désintègrent en éléments hautement radioactifs », explique dans un message écrit Queenter Osoro.
Elle explique aussi que les contaminations par irradiation, que ce soit par les mines industrielles ou artisanales, peuvent atteindre les rivières. Les raffineurs peuvent être eux aussi exposés aux résidus, qui peuvent contenir « du radium issu de la chaine de décroissance radioactive de l’uranium, lequel est toxique et radiotoxique par ingestion. De même, la présence d’uranium génère du radon en amont de cette chaîne de décroissance lequel est lui aussi délétère pour les alvéoles pulmonaires de celui qui en respire en quantité », selon l’expert français.
En avril 2024, le gouvernement a décidé de suspendre la production de la mine de COMMUS en raison du soupçon de radioactivité élevée des minerais extraits de COMMUS. Plusieurs camions avaient été, en effet, retournés de l’Afrique australe vers la RDC pour un taux élevé de radioactivité. La décision a été annulée moins d’un mois plus tard.
Mais le risque croît surtout dans l’exploitation artisanale où l’exposition sur une longue durée se combine avec d’autres facteurs comme la poussière, la faible ventilation et l’absence de protection, les artisanaux opérant parfois torse nu.
Pour les femmes rencontrées à Kapata, celles qui nettoient les minerais ou ont l’habitude de s’asseoir sur des sacs de minerai, qu’elles achètent, développent des chatouillements au niveau de leurs organes sexuels.
« Parfois, il y a des éruptions cutanées », explique Suzanne Ngwewe, une des encadreuses des femmes œuvrant dans le nettoyage des minerais. Mais, selon cette dernière, les nettoyeuses de minerai qu’elle encadre avec la coopérative minière nationale, qui l’emploie, doivent respecter strictement un certain code vestimentaire avant de travailler.
Des rivières polluées
Pour les femmes du Golf Musonoïe, les problèmes de santé de la reproduction, qu’elles connaissent, auraient un lien avec les activités d’exploitation des minerais de la transition énergétique. C’est ce que pense Julie Nshinda, l’infirmière du Centre de santé la Trinité. Avant l’installation de la société COMMUS au quartier Musonoïe, elle ne recevait pas autant de cas, explique-t-elle.
« A la création du centre de santé, j’ai traité plus de malades de paludisme, de toux, de simple fièvre, de typhoïde. Mais, depuis l’intensification de l’exploitation minière [en 2019], je fais face à d’autres pathologies, surtout chez les femmes en âge de procréer », dit la même personne.
Ces problèmes de santé, certaines femmes les contracteraient à partir des rivières, lieu de leur travail, pour celles qui lavent les minerais. C’est ce que tend à montrer un groupe de chercheurs du département de toxicologie de l’université de Lubumbashi. A l’initiative des organisations non gouvernementales RAID et AFREWATCH, qui ont enquêté sur l’impact des industries en RDC sur les contrées environnantes, des prélèvements des échantillons de l’eau, de l’air et du sol ont été effectués. Le rapport final est toujours en attente, ainsi que les résultats de laboratoire.
Toutefois, les résultats préliminaires de l’analyse de mars 2024 ont montré qu’il y a la pollution industrielle acidifiante dans l’eau, assure Professeur Célestin Banza Lubaba, Directeur de l’Unité de toxicologie de l’université de Lubumbashi. Il soutient qu’il y a un lien entre l’exploitation minière et les problèmes de santé de la reproduction, mais il attend encore les résultats complets des analyses en cours.
« Le premier résultat, c’est la dégradation de la qualité des cours d’eau. En République démocratique du Congo, c’est aussi un scandale hydrologique. Parce que la plupart des entreprises déversent directement les déchets toxiques dans les cours d’eau avec comme conséquences la destruction de la biodiversité et même de l’habitat. Beaucoup de cours d’eau sont substantiellement affectés par la pollution dans le sud Katanga, par exemple, dans la province du Lualaba », dit Banza.
Mais les résultats préliminaires indiquent plusieurs problèmes de santé sexuelle et de reproduction, qui vont jusqu’à la stérilité. « Il y a des métaux qui sont absorbés par voie d’inhalation, c’est-à-dire par voie respiratoire. Il y a la voie d’ingestion, c’est-à-dire par la bouche, la voie orale, et il y a aussi la voie transcutanée, c’est-à-dire par la peau lorsque les concentrations sont élevées, puisque chaque métal a sa toxicité », explique Professeur Banza.
En prenant l’exemple du plomb, qui est un métal du groupe des métaux du cuivre, il explique que ce métal est neurotoxique et sa toxicité touche même à la formation de sang et peut causer des anémies. La toxicité des métaux peut aller jusqu’à « la perturbation de la formation de la gamétogénèse, c’est-à-dire, la formation des gamètes », explique la même personne.
Une situation connue des autorités
Peter Kalenga, un responsable de la Division provinciale des mines du Luabala (l’administration minière en province), est au courant des plaintes des habitants de Musonoïe. Il assure à Mongabay que son service étudie le dossier.
« Il n’y a pas de laxisme ni de corruption par ce dossier. On avait reçu d’autres plaintes de la population de Musonoïe, celle des avenues Yohwe et Mai-Ndombe par rapport aux fissures et à l’affaissement de leurs maisons. A cela s’est ajoutée la pollution de l’air par rapport à l’élévation du remblai de COMMUS », Kalenga a expliqué par écrit sur WhatsApp.
« On est sur le dossier. Un rapport a déjà été déposé à la hiérarchie », dit-il.
La loi et le Code minier définissent clairement la réglementation des entreprises minières en RDC. Par exemple, Peter Kalenga explique que la Direction de Protection de l’Environnement Minier doit assurer des « techniques et des mesures d’atténuation des effets négatifs des opérations minières sur les écosystèmes et les populations, ainsi que des techniques de réhabilitation des milieux affectés par les activités minières ».
Mais le problème, selon les membres de la société civile, réside dans l’application et le suivi des réglementations du secteur minier. Certaines sources disent que les fonctionnaires sont souvent tétanisés. Dans une économie dépendante des ressources naturelles, et où l’influence des personnalités publiques est importante, ces sociétés se politisent facilement.
La mine de COMMUS a appartenu à la Gécamines (Générale des carrières et des mines), la plus grande entreprise minière congolaise, qui, jusqu’en 2006, a gardé le monopole de l’exploitation du cuivre et du cobalt, principaux minerais produits dans la région. À partir de cette date, de nombreux gisements de la Gécamines ont été vendus aux entreprises privées, dont la majorité est faite, depuis 2015, de capitaux chinois. Dans cette collaboration, la Gécamines est en minorité (28% des actifs) tandis que la société internationale Zijin Mining Group Ltd. est majoritaire (72% des actifs). D’après Zijin Mining, la production de cuivre et de cobalt a atteint 129 000 tonnes en 2023, tout en utilisant une « approche avancée de la Chine en matière de préservation écologique, recevant de nombreux éloges de la part du gouvernement de la RDC et des communautés locales ».
Zhejiang Huayou Cobalt était également actionnaire dans COMMUS avant 2017. La société chinoise a été épinglée dans le rapport de 2016 “Voilà pourquoi on meurt” d’Amnesty International, notamment pour l’absence de diligence entre la mine et le marché.
Le même rapport indique aussi que les sociétés chinoises et sud-coréenne spécialisées dans la fabrication des batteries lithium-ion étaient de gros clients de Zhejiang Huayou Cobalt : Toda Hunan Shanshan New Material, une filiale de Ningbo Shanshan Co Ltd (Ningbo Shanshan), de L&F Material Co. (L&F), une firme sud-coréenne qui représentait 13,16% des ventes de Huayou Cobalt, et de Tianjin Bamo Technology Co., Ltd (Tianjin Bamo), un fournisseur chinois en matériels de batteries.
Selon ce rapport, Samsung SDI et LG Chem, deux des plus importants fabricants de batteries au monde, étaient intéressés par certains produits à base de cobalt de Zhejiang Huayou Cobalt. Néanmoins, Samsung avait catégoriquement nié tout lien entre les deux.
Des initiatives de protection à Kolwezi
Autour des sites miniers, certains acteurs ont conscience des risques encourus, notamment par les femmes. A Kolwezi, dans le Lualaba, la Coopérative minière pour le développement social (CMDS), qui gère plus de 6 000 creuseurs artisanaux sur le site de Kamilombe, à une dizaine de kilomètre de la ville, met à la disposition des femmes des équipements de protection individuelle (EPI). Le programme est appuyé par Fair Cobalt Alliance, un partenaire de la coopérative CMDS, selon Marie Kulemba Samba, la Chargée du département social au sein de la coopérative. Fair Cobalt Alliance est une initiative fondée par Fairphone, Signify, Huayou Cobalt et The Impact Facility avec pour objectif, entre autres, de promouvoir une production responsable du cobalt.
« Nous avons acheté des kits de protection personnelle pour les femmes, qui nettoient les minerais provenant de notre carrière. Il s’agit d’un ensemble composé d’une combinaison imperméable et des bottes en plastique. Aucune femme n’est autorisée à nettoyer le minerai de cobalt sans cette tenue », explique Kulemba Samba.
En outre, chaque matin, la coopérative rappelle aux femmes les autres mesures de protection sanitaire. C’est notamment l’exigence de mettre une tenue adéquate en dessous de l’équipement de protection, l’interdiction de s’asseoir sur des sacs contenant du minerai et l’appel à consulter un médecin chaque fois qu’elles ont des ennuis de santé.
Des femmes mineures exerçant dans d’autres mines artisanales souhaitent que ces mesures de protection soient étendues à tous les sites miniers. Pour elles, un soutien est essentiel pour leur garantir une protection sanitaire d’un côté et de l’autre, promouvoir la production du cobalt « propre ».
Pour Aimée Manyong, présidente de la Coopérative minière pour la promotion des femmes qui milite pour les droits des femmes notamment dans le secteur minier artisanal, il y a urgence de trouver des voies de sécurisation des femmes, afin qu’elles continuent de profiter des mines.
« On ne peut pas « demander aux femmes de quitter les mines », s’insurge-t-elle. « C’est une source de revenus pour les familles. Les femmes, qui viennent dans les sites miniers, ne sont pas toutes illettrées. Il y en a qui sont instruites. Par manque d’emploi, elles ont trouvé une alternative dans le secteur minier artisanal comme mesure d’autonomisation économique » elle explique.
« Demander aux femmes de quitter le secteur minier, serait une injustice flagrante. Il faudrait peut-être voir les mécanismes d’accompagnement et de sécurisation sur les sites miniers », a-t-elle précisé.
Image de bannière : Femmes portant des équipements de protection. Capture d’écran de la vidéo Mongabay Afrique.
Pollutions et impunités en RDC au nom de la transition énergétique
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