- L’augmentation de la population et les activités humaines menacent gravement l'habitat naturel de la grue couronnée du Cap. Cette situation perturbe également l'équilibre écologique au Burundi.
- La faible fécondité de l’oiseau, couplée à la chasse et au commerce illégal, accentue son déclin.
- La grue couronnée du Cap occupe une place centrale dans la culture burundaise. Elle est souvent mise en valeur dans les chansons et contes traditionnels. En plus de son importance culturelle, elle joue un rôle clé dans l'écosystème, rendant sa préservation cruciale pour le bien du patrimoine écologique du Burundi.
- La protection de la grue couronnée du Cap nécessite ainsi des actions immédiates, incluant la conservation de son habitat et la lutte contre le commerce illégal. Elle exige aussi la collaboration entre les autorités, les communautés locales et les acteurs internationaux.
« Dans les marais de la réserve naturelle de la Malagarazi au sud-est du Burundi, les grues couronnées du Cap étaient autrefois visibles. Les touristes, les étudiants et les chercheurs aimaient visiter la région pour les observer et mener des recherches académiques. Avec la destruction de leur habitat, ces animaux se sont réfugiés en Tanzanie, où ils ne se sentent pas menacés », a dit Mathias Masabarakiza, un quinquagénaire rencontré sur la colline Rutenderi, une localité au sud-est du pays. Ces propos témoignent de la quasi-disparition de cette espèce autrefois présente en grand nombre dans cette réserve naturelle.
Cet joyau écologique est l’un des derniers refuges où se regroupent des milliers de grues couronnées du Cap. Malheureusement, cette espèce emblématique, est désormais classée dans la catégorie des espèces en voie de disparition par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN). De la République Démocratique du Congo (RDC) à l’Ouganda en passant par le Kenya, le Mozambique, la Tanzanie et le Rwanda, elle voit son habitat se réduire, menaçant l’équilibre de tout un écosystème.
Désiré Manirakiza, représentant de la réserve naturelle de Malagarazi, souligne que le changement climatique, la forte augmentation de la population et l’expansion des champs de canne à sucre par la Société Sucrière du Moso (SOSUMO), sont parmi les principales causes de la disparition de la grue couronnée du Cap. Ces facteurs combinés exercent une pression croissante sur l’habitat naturel de cette espèce, menaçant sa survie dans la région. L’expansion agricole, en particulier, réduit les zones humides où la grue trouve refuge, aggravant ainsi les effets des perturbations environnementales liées au climat.
L’ornithologue burundais Arsène Manirambona a indiqué que la principale cause de son extinction inexorable est liée à l’agriculture industrielle et de l’élevage. Il n’oublie pas aussi le surpâturage, la construction de barrages imposants, le drainage des terres humides, les sécheresses successives, la chasse et la capture pour alimenter les parcs animaliers et les zoos privés.
Préserver les habitats naturels
Selon Manirambona, joint par téléphone, la préservation des habitats naturels est cruciale pour la survie des espèces, qu’elles soient aquatiques ou terrestres. Cet expert, un des responsables au sein de l’Association burundais pour la protection de la nature (ABN), explique que chaque animal a besoin d’un environnement qui répond à ses besoins essentiels. Concernant les grues couronnées, Manirambona précise que cette espèce vit principalement dans les zones marécageuses, où elle trouve sa nourriture et se reproduit. C’est pour cela que la déforestation et la conversion des marais en terres agricoles menacent directement son habitat, contribuant à son déclin.
En alertant les responsables des parcs nationaux et des réserves naturelles du Burundi, Arsène Manirambona et Evariste Rufuguta soulignent que les zones humides, notamment autour de la rivière Ruvubu à l’Est du pays, dans la région de Malagarazi, et près du lac aux Oiseaux dans la province de Kirundo au nord, abritaient autrefois une biodiversité exceptionnelle. Ces écosystèmes étaient particulièrement importants pour la grue couronnée, qui y trouvait à la fois nourriture et lieux de reproduction favorables. Mais, le drainage des terres, la construction de barrages hydroélectriques et l’agriculture non durable ont fortement compromis ces habitats. Manirambona explique que « le surpâturage exerce une pression supplémentaire sur ces zones déjà fragiles, réduisant l’espace vital nécessaire à l’épanouissement de la grue couronnée ». Rufuguta ajoute que ces perturbations écologiques mettent en danger sa survie.
Quant à la capture de ces oiseaux destinés à être apprivoisés pour orner les propriétés privées ou des hôtels, en tant qu’éléments décoratifs, « cela les prive (les grues) de leur liberté », déplore Manirambona. Il ajoute que dans de nombreux cas, leurs ailes sont coupées pour les empêcher de s’envoler. « C’est une forme de maltraitance animale, car ces environnements artificiels ne sont pas leur habitat naturel », précise-t-il. Il en appelle à une prise de conscience urgente face à cette pratique.
L’autre facteur aggravant, selon Manirambona, est la faible fécondité des grues couronnées. Les couples de grues couronnées se forment pour la vie. Bien que monogame, l’oiseau se regroupe en vastes colonies en dehors de la période de reproduction. Ces oiseaux pondent rarement plus de deux ou trois œufs par saison de reproduction, rendant leur survie d’autant plus précaire. Ainsi, étant monogames, la perte d’un partenaire peut avoir des conséquences dramatiques, empêchant l’autre de se reproduire à nouveau. Dans certains cas, cela peut même conduire à des comportements autodestructeurs, ajoutant une couche de vulnérabilité à cette espèce déjà en danger.
Ancrée dans l’histoire et la culture du pays
La grue couronnée du Cap ne symbolise pas seulement la biodiversité au Burundi. Elle est enracinée dans l’histoire et la culture du pays. Selon Manirambona, cet oiseau figure dans de nombreuses chansons et contes traditionnels qui célèbrent sa beauté et son élégance. Bien entendu, son importance dépasse le simple cadre culturel : sa conservation pourrait également offrir des bénéfices écologiques et économiques significatifs. En protégeant cette espèce, le Burundi pourrait, non seulement préserver une part essentielle de sa biodiversité, mais aussi attirer des touristes et ainsi renforcer l’économie nationale.
« Pour assurer la survie de cet oiseau majestueux, il est essentiel de protéger son habitat naturel et de renforcer l’interdiction de sa chasse et de sa capture. Ces oiseaux doivent évoluer dans leur milieu naturel, où ils jouent un rôle crucial dans l’écosystème », dit Manirambona.
Selon ce dernier, « préserver cette espèce pourrait, non seulement permettre de renforcer l’écotourisme, mais aussi offrir aux chercheurs des conditions idéales pour étudier la faune locale ». D’où la priorité de la réintroduction de cet oiseau dans certaines régions du pays, notamment dans la province de Cankuzo.
Mettre à contribution les communautés locales
Les communautés locales jouent un rôle essentiel dans la préservation de la grue couronnée, notamment en agissant comme gardiennes des écosystèmes fragiles. En tant que bénéficiaires directs de la biodiversité, elles ont progressivement adopté des pratiques de gestion durable des terres pour protéger cette espèce menacée. À travers des initiatives comme l’agriculture respectueuse de l’environnement et l’écotourisme, ces communautés contribuent, non seulement à la préservation de la biodiversité, mais améliorent aussi leurs propres conditions de vie.
« Nous avons commencé à pratiquer l’agroforesterie pour réduire la déforestation et maintenir des espaces propices à la grue couronnée », confie Marie Goreth Nizigiyimana, habitant de la région de Cankuzo dans la commune de Kigamba. Cette dernière précise que, grâce aux formations offertes par des ONG locales, ils ont appris à combiner cultures vivrières et reboisement, permettant de maintenir des habitats tout en sécurisant leurs revenus. « Nous avons découvert que protéger ces zones humides et attirer des visiteurs intéressés par la faune pouvait nous rapporter davantage que certaines pratiques agricoles destructrices », explique Masabarakiza.
« Avant, nous ne savions pas comment ces oiseaux étaient importants pour notre écosystème. Aujourd’hui, nous sommes fiers de participer à leur protection », ajoute Sylvestre Sindayigaya, un autre agriculteur, soulignant l’importance de l’éducation environnementale que réalisent certaines ONG locales au profit des communautés pour offrir des alternatives économiques viables.
« La survie de la grue couronnée dépend aussi de la coopération internationale. Le Burundi doit honorer ses engagements envers les conventions internationales sur la protection des oiseaux migrateurs et de la biodiversité », a dit Evariste Rufuguta, un consultant indépendant. Manirambona appelle à une collaboration plus étroite entre les associations pour la biodiversité, les centres de recherche, les universités et les secteurs public et privé. « Ces efforts conjoints pourraient grandement contribuer à la sauvegarde de la grue couronnée et des autres espèces menacées », dit-il.
La protection de la grue couronnée ne relève pas uniquement de la préservation d’une espèce. Elle symbolise les défis environnementaux que le Burundi doit relever pour assurer un avenir durable à la fois pour sa biodiversité et ses populations.
Image de bannière : Grue couronnée au Zoo Artis, Amsterdam, Pays-Bas. Image par Fabien Dany via Wikimedia.
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