- En RDC, les populations délocalisées des sites miniers, devenus dangereux, pour leur vie, réclament souvent de justes compensations pour la perte de leurs propriétés, maisons et autres biens.
- Les sociétés minières se déchargent pratiquement de toute responsabilité. Les entreprises versent de l'argent de compensation dans un compte d’un service du gouvernement provincial, la commission chargée des délocalisations, 10 % des fonds des populations délocalisées pour le fonctionnement de ce service technique.
- D'après les membres de la société civile, l'implication de ce service public prive, non seulement les délocalisés d'argent, mais aussi des moyens de recours et du processus de réinstallation.
- Selon le ministre provincial des mines du Lualaba, Jacques Kaumba, la commission chargée des délocalisations devrait être dissoute.
Ce reportage a été réalisé avec le soutien du Rainforest Investigations Network en partenariat avec le Pulitzer Center.
LUBUMBASHI — Après un lourd bilan humain — 11 morts et plusieurs malades — suite aux pollutions répétées de l’air et de la rivière qu’il longe, le village Kabombwa a définitivement disparu. Plus de 1 000 habitants ont trouvé chacun un logement ailleurs dans la région, notamment dans la cité de Fungurume voisine, au Lualaba. Kabombwa a perdu sa quiétude dès le démarrage en 2020 de la production de la chaux dans une usine installée à proximité par la société chinoise Tenke Fungurume Mining (TFM).
A leur délocalisation, après plus d’une année de discussions sur les compensations financières, les habitants de Kabombwa ont reçu de l’administration publique entre 3 000 USD et 5 000 USD, d’après un agent de la mairie de Fungurume. Selon les habitants du village, le montant est bien insuffisant. Avec l’argent perçu, ils ne peuvent pas se payer une maison ou en construire de nouvelles dans leur nouveau milieu de vie.
Quelle est l’une des raisons de ce montant insuffisant ? C’est l’administration publique, réclament les membres de la société civile.
A l’initiative du gouvernement provincial du Lualaba, la commission de délocalisations reçoit une portion de l’argent dû aux personnes délocalisées. La société, elle, se lave les mains pratiquement de toute responsabilité, laissant à l’administration de gérer la compensation des populations affectées.
C’est un cas qui se répète pour les délocalisations minières au Lualaba, province pourvue d’importants gisements de cuivre et de cobalt, des minéraux indispensables pour la transition énergétique. En raison de la ruée vers ces minéraux précieux, les habitants des environs craignent, non seulement une délocalisation, mais également une délocalisation injuste.
Payer pour sa propre délocalisation
Aux cités Gécamines et Musonoïe à Kolwezi, la capitale du Lualaba, par exemple, une mine de la société publique Gécamines (Générale des carrières et des mines) et de la Compagnie minière chinoise de Musonoïe (COMMUS) s’est dangereusement approchée des habitations et en a détérioré plusieurs. D’après Patrick Ilunga, l’avocat de COMMUS, les 209 candidats à la délocalisation ont perçu une « moyenne de 80 000 USD ». De plus, certains délocalisés ont jugé la compensation insuffisante et réclament plus.
Comment les populations reçoivent-elles cette somme ? Il suffit de suivre le processus de compensation dans la province. Elle commence par une évaluation faite par la commission de délocalisation, qui fixe la valeur des biens des délocalisées. Cette commission est constituée des membres du gouvernent, des députés, de la société civile et des techniciens du foncier. Après l’évaluation, l’entreprise effectue des paiements : aujourd’hui elle effectue des virements bancaires vers les comptes des propriétaires des droits fonciers délocalisés. Il y a quelques années, les bénéficiaires percevaient de l’argent liquide.
Par contre, la commission des délocalisations, quant à elle, reçoit 10% du coût total des paiements à effectuer aux personnes délocalisées. Ceci est pour son fonctionnement et la rémunération de ses membres, a expliqué à Mongabay Jean-Pierre Kalenga, le membre du gouvernement du Lualaba, qui préside cette commission.
Il y a donc un manque de 10% du total de la somme, qui reste à distribuer aux délocalisés. Dans ces circonstances, les sociétés privées se déchargent de toute responsabilité lorsque les communautés parlent d’une compensation injuste. Or, elles ont versé 10% des fonds aux techniciens de la commission sur le montant de ces derniers.
Il s’en suit que ce sont les candidats à la délocalisation, qui financent l’expertise devant conduire à leur délocalisation, dit Kalenga.
Par contre, d’après le code minier, mais aussi le Règlement minier (Annexe 18), c’est le titulaire des droits miniers (la société minière) qui assume la responsabilité de la délocalisation des populations exposées aux effets néfastes de ses activités. La logique voudrait que ce soit la société qui assume le coût, incluant la commission, et non les bénéficiaires. Dans le Lualaba, la commission de délocalisations évalue les biens de chaque parcelle ou champ devant disparaître pour une compensation financière, et l’entreprise minière qui délocalise paie les valeurs indiquées par elle.
Ainsi, la conformité à la loi de cette commission est discutée. En octobre 2023, le ministre provincial des mines du Lualaba, Jacques Kaumba, a clairement appelé les concernés à se référer au code minier, qui « est assez clair », selon lui, sur le processus délocalisation-réinstallation. Pour lui, la commission devrait être même dissoute.
« C’est le concessionnaire qui doit délocaliser. Ce n’est pas l’État qui délocalise. Nous, nous accompagnons, nous faisons le suivi de la délocalisation. Mais quand on dit que on a donné l’argent : on a donné l’argent à qui pour qu’il fasse quoi ? Là, vous risquez de nous mettre dans la confusion, nous faire jouer le rôle de juge et partie. L’État ne délocalise pas, l’État accompagne le processus. Celui qui délocalise, c’est le concessionnaire », a déclaré Jacques Kaumba.
Délocalisations sans réinstallations
La création de la commission des délocalisations, en 2017, selon le défenseur des droits humains, Donat Kambola de Kolwezi, répondait aux besoins du moment. Le code minier n’était pas aussi clair qu’aujourd’hui, explique-t-il. Après sa révision en 2018, « le rôle et le travail de cette commission devrait s’adapter », explique Kambola à Mongabay. Néanmoins, en 2022, une loi provinciale a pérennisé la commission de délocalisation et la définit comme cadre de représentation de l’administration provinciale dans le processus de délocalisation.
La conséquence de l’implication des services publics prive les délocalisés des moyens de recours, regrette Donat Kambola. « Quant aux droits des victimes, une fois de plus, la Commission provinciale ne met pas en place des mécanismes de traitement de plaintes et de recours. Ainsi, lorsqu’une personne a des constatations, elle n’a pas généralement à qui s’adresser », explique la même personne.
Un autre problème, c’est que les entreprises continuent à délocaliser sans plan de réinstallation. Pour Lambert Menda, leader de la Nouvelle société civile du Congo, cet inconfort vient de l’habitude pour les candidats à la délocalisation « à percevoir de l’argent liquide plutôt que d’être relocalisés ». Il reconnaît toutefois que certaines victimes demandent leur réinstallation ailleurs, comme l’a fait l’entreprise Metalkol pour des habitants du village Samukonga. Mais cette option de réinstallation organisée par les miniers ne contente pas certaines victimes, qui déplorent de longues durées d’attente.
Par exemple, aux villages Tshabula, près de la cité de Musonoïe à Kolwezi, et Kakanda dans les environs de la cité de Fungurume, des paysans attendent leurs délocalisations par les sociétés minières COMMUS et Boss mining (filiale d’Eurasian Natural Ressources PLC). Malgré l’investissement de l’État dans ce processus, les mécontentements persistent. A chaque délocalisation, certains réclament plus de fonds pour leurs biens (maisons, arbres fruitiers, etc.) estimés sous-évalués.
Or, selon Christophe Kabwik, qui a longtemps défendu la cause des habitants de Kalukuluku proches de la mine de Ruashi mining, à l’est de la ville de Lubumbashi, les miniers n’apprécient pas autant d’organiser la réinstallation des personnes appelées à quitter leurs sites. Aidée par la maire adjointe de la ville en 2006, Ruashi Mining avait rejeté l’option de la réinstallation de quelques 200 candidats, qui l’avaient demandée. La raison, pour Kabwik, tient au fait que les sociétés minières préfèrent payer moins en donnant du cash, plutôt que de bâtir de nouvelles maisons.
Nous avons contacté Ruashi Mining, afin d’en savoir plus sur leur position face aux délocalisations, mais nos sollicitations sont restées lettre morte.
Jean-Pierre Kalenga des affaires foncières du gouvernement du Lualaba assure que certains candidats à la délocalisation ont tendance, ces dernières années, à demander leur réinstallation plutôt que de percevoir de l’argent. « C’est leur droit, tout comme ceux qui exigent de percevoir de l’argent. C’est une approche, que nous encourageons d’ailleurs », a expliqué Kalenga à Mongabay.
Pour l’activiste des droits humains, Donat Kambola, le plus important aujourd’hui est de respecter les étapes clairement définies dans le règlement minier, spécialement l’annexe 18. En attendant, regrette-t-il, « la ville de Kolwezi et les villages sont en disparition sans aucun plan de réinstallation ».
Image de Bannière: Makonga (en bleu), décédé en juin de cette année, marchant parmi les décombres de ce qui était autrefois son village. Image de Eric Cibamba.
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