- Ce type de sorgho, cultivé en saison sèche, permet aux agriculteurs de l'Extrême-Nord du Cameroun, de continuer de produire, malgré les perturbations liées aux changements climatiques.
- La culture du muskuwaari contribue à maintenir des réserves alimentaires tout au long de l'année, aidant à prévenir les pénuries alimentaires dans la région.
- L'État soutient la production de muskuwaari à travers la recherche et la distribution de semences améliorées, favorisant une agriculture plus résiliente.
« Il y a cinq ans, si on m’avait dit que le muskuwaari allait être mon sauveur, j’aurais ri et je me serais moqué de la personne. Pourtant, je compte aujourd’hui sur le muskuwaari pour augmenter mes récoltes et rattraper les pertes occasionnées par le bouleversement des saisons », dit Pauline Djafke, agricultrice à Yonkolé dans l’Extrême-Nord du Cameroun.
Le muskuwaari est le nom local donné à une variété de sorgho qui ne pousse qu’en saison sèche. Généralement, le sorgho se cultive en saison pluvieuse. Mais, cette variété ne pousse qu’en saison sèche. Il est appelé sorgho repiqué, ou plus communément dans cette région, muskuwaari, un terme en fulfulde, une langue des peuples peuls et apparentés, parlée dans plusieurs pays en Afrique de l’Ouest et centrale. « Autrefois négligé et cultivé comme activité de loisir pour s’occuper entre deux campagnes agricoles, le muskuwaari se présente aujourd’hui comme une bonne solution face aux perturbations climatiques », dit au téléphone à Mongabay, Raymond Haman Dawai, ingénieur agronome et délégué régional du ministère de l’Agriculture et du Développement rural (Minader) dans l’Adamaoua, une région septentrionale du Cameroun.
Effets du changement climatique
Le sorgho classique, aussi appelé sorgho pluvial ou mil rouge, est une culture vivrière de base et représente plus de la moitié de la production céréalière dans l’Extrême-Nord du Cameroun. Selon Dr Pa Aï Vivien Nenwala, chercheur à l’Institut de recherche agricole pour le développement (IRAD) du Cameroun, il est classé parmi les sept produits agricoles les plus importants de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).
Ce sorgho classique se cultive en saison pluvieuse, généralement, de juillet à avril, sur une période de 10 mois. Tout commence par la préparation des sols, y compris le nettoyage, de juillet à août. Viennent ensuite la mise en place des pépinières à partir d’août, le labour et le repiquage vers septembre, le sarclage à partir de novembre et la récolte dès janvier. « Ces activités culturales classiques ont connu un décalage progressif d’année en année, par rapport au calendrier cultural du passé. Ce décalage est dû au changement climatique, qui raccourcit et/ou allonge la saison des pluies d’une année sur l’autre », explique Nenwala.
Djafke est agricultrice depuis 26 années. Elle a apprise aux côtés de ses parents qu’elle accompagnait au champ dès son enfance. Elle explique à Mongabay que ses parents cultivaient le maïs, le mil et le coton. Le coton était vendu à la société cotonnière. Une partie du maïs et du mil était vendue au marché et l’autre moitié était gardée pour la consommation locale. « Cette organisation du travail nous permettait d’avoir de quoi manger et de l’argent pour les autres dépenses. Pour nous, la culture du muskuwaari était comme un loisir. On le plantait pour s’occuper, parce que c’est une culture qui pousse en saison sèche, lorsque les autres cultures ne poussent pas, et donc lorsqu’il n’y a pas d’activité pour les agriculteurs », dit Djafke.
Le chercheur Nenwala confirme que cette culture était accessoire. « Dans la partie septentrionale, il n’y a pas deux saisons culturales comme ailleurs au Cameroun. Ici, il y a une seule saison qui commence en avril avec les défrichages, jusqu’aux récoltes en novembre. Certains cultivaient donc le muskuwaari entre décembre et avril, d’autres se consacraient à d’autres activités », dit-il.
« Avant, on parlait des changements climatiques comme d’une chose superficielle, aléatoire. Aujourd’hui, les changements climatiques sont concrets, avec des conséquences visibles et perceptibles. Il y a 10 à 15 ans, les pluies venaient au mois d’avril et on semait en mai. Maintenant, on sème au plus tôt, à partir du mois de juin ou juillet. Cette année, on a même semé en fin août», explique Dawai.
« Avant, le muskuwaari était négligé, aujourd’hui il est aimé. Ceci est dû au fait que les gens ratent le calendrier agricole et obtiennent de mauvais rendements. Ils se retournent donc vers le muskuwaari pour compléter les pertes des cultures pluviales », dit Dawai. Il ajoute que le muskuwaari a un rôle de résilience face aux changements climatiques, mais aussi un rôle économique. « Quand les paysans ont perdu la campagne de maïs et de mil, ils se rattrapent sur le muskuwaari pour produire et vendre ».
Contribution à la résilience
Le muskuwaari est cultivé sans irrigation, surtout sur des sols spécifiques appelés vertisols ou “karal” en fulfuldé. Ces sols sont capables de retenir une grande quantité d’eau, absorbée durant la saison des pluies, et de la libérer ensuite pour alimenter la végétation durant la sécheresse. Les experts en agriculture interrogés confirment, que la force du muskuwaari est sa capacité à résister à la sècheresse, à se contenter de très peu d’eau et à retenir l’humidité disponible.
« Quand je cultive le maïs par exemple, je dois arroser la plante tout le temps s’il ne pleut pas. Alors que quand je cultive le muskuwaari, je n’ai pas besoin d’arroser. Je fais un trou, je verse un peu d’eau dans le trou, je mets le plant de muskuwaari et je referme le trou. Le muskuwaari va grandir avec cette eau jusqu’à la récolte », explique, à Mongabay, Oubboré Ali, agricultrice à Meskine dans l’Extrême-Nord du Cameroun.
« Le muskuwaari est adapté au changement climatique et est une solution durable. Il est repiqué sur les terres argileuses et se développe avec très peu d’eau. On fait la pépinière en saison pluvieuse et on cultive en saison sèche. On n’a donc pas besoin de l’arroser. Même s’il ne pleut pas, la rosée du soir ou les réserves hydriques du sol sont suffisantes pour permettre à la plante de pousser », explique Professeur Delphine Nguemo Dongock, enseignante chercheure en botanique et écologie à l’université de Ngaoundéré, dans la partie septentrionale du Cameroun.
Le processus de résilience, grâce au muskuwaari, a commencé il y a plusieurs années, au point où l’Etat s’y est impliqué. « L’Etat met en place des mécanismes d’appui à la production, notamment la distribution de semences améliorées adaptées et à haut rendement. L’Etat a appuyé la recherche pour produire des semences améliorées et à haut rendement, qui sont ensuite distribuées aux producteurs », dit Dawai.
Dawai signale, que depuis l’année 2020, dix variétés de muskuwaari ont été développées et distribuées dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun par l’IRAD. Ces variétés, appelées Adjagamari, Bourgouri, Madjeri croisé, Madjeri non-croisé, Mandoueri, SAF 40 croisé, SAF 40 non-croisé, Souktari, Soulkeiriet, et Tchangalari, ont chacune des particularités, en fonction de l’objectif final recherché par l’agriculteur. On a par exemple des variétés plus résistantes aux nuisibles, d’autres ayant un taux de rendement plus élevé. Nenwala explique, que ces variétés ont été mises sur pied, grâce à un processus de sélection participative impliquant les agriculteurs. « Ces variétés sont spécifiquement adaptées aux conditions du sol et aux préférences des consommateurs », dit-il.
Dongock explique aussi à Mongabay que le muskuwaari s’adapte bien aux sols argileux de la région. « Les racines du muskuwaari résistent à la sécheresse en absorbant les particules d’eau fixées dans les sols argileux. C’est une faculté que d’autres plantes n’ont pas toujours, et c’est pourquoi le muskuwaari résiste face à la sécheresse et peut bien se substituer aux cultures, qui ont besoin que le calendrier agricole soit respecté », dit-elle.
Comme le muskuwaari ne supporte pas trop d’eau, on ne le cultive pas en saison des pluies, ce qui laisse donc de la place et du temps de travail pour d’autres cultures. « Sa culture durant la saison sèche, lorsque d’autres plantes peinent à se développer, permet de compléter les réserves alimentaires et d’assurer une disponibilité de nourriture tout au long de l’année, évitant ainsi les périodes de pénurie alimentaire », dit Dawai.
Produit et vendu au Cameroun et un peu partout en Afrique centrale, le muskuwaari est riche en nutriments, se transforme facilement et sert à fabriquer divers aliments. Selon Dawai, il est apprécié des femmes, car il se décortique et se moule facilement. Il est aussi utilisé dans diverses préparations alimentaires, notamment les bouillies, la bière locale (bil bil), certaines friandises locales ; et ses tiges sont sucées comme des cannes à sucre.
« Le muskuwaari est apprécié pour sa bonne qualité gustative, sa facilité de transformation (décorticage et mouture), sa polyvalence dans diverses préparations culinaires et ses vertus nutritionnelles, notamment pour sa capacité à garder le ventre plein plus longtemps que d’autres céréales », dit Dawai.
« Le muskuwaari est souvent préféré aux autres types de sorgho, notamment les sorghos pluviaux, en raison de son goût plus agréable. Il est utilisé pour préparer la boule, le plat principal de la région. Il a un goût plus savoureux et sa boule est consistante. Les consommateurs disent qu’il est énergétique et donne la force nécessaire pour les travaux champêtres».
Image de bannière : Des femmes fanent les graines de sorgho après la récolte. Image de Joseph Lionceau via Wikimedia.
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