- Au Bénin, il existe des marchés locaux de commercialisation de produits de la faune (mammifères, reptiles et oiseaux). 25 % des produits d'animaux commercialisées proviennent des aires protégées du pays.
- Le commerce illégal des produits de la faune au Bénin constitue une menace sérieuse pour la biodiversité. Associée à la destruction des habitats et au braconnage, cette pratique pourrait conduire à l’extinction de certaines espèces protégées dans un futur proche.
- Une part importante des espèces d’animaux sauvages, commercialisées sur les marchés locaux au Bénin, est classée comme en voie de disparition selon la Liste rouge de l’UICN et la convention CITES.
- Pour freiner ce commerce illégal, il est crucial de renforcer les dispositifs de sécurité, d'accompagner les initiatives privées dans la gestion des espèces menacées, et d'améliorer la sensibilisation et l'implication des communautés locales dans la protection de la biodiversité.
Une récente étude, publiée par la revue Global Ecology and Conservation, montre que le commerce illégal des produits de la faune exerce une pression substantielle sur les efforts de conservation au Bénin. Ce travail indique, qu’une part importante des espèces d’animaux sauvages commercialisées sur les marchés locaux au Bénin, est classée comme en voie de disparition, selon la Liste rouge de l’UICN et la convention CITES.
A l’échelle mondiale, le Bénin se classe au 4ème rang des trafics illicites mondiaux et génèrent des profits estimés à 19 milliards de dollars par an.
Ce trafic, qui compromet les actions de conservation de l’Etat et des acteurs privés, menace non seulement la biodiversité, mais aussi la sécurité, la stabilité et l’économie.
Marc Koutchoro Agbatan, Chercheur au laboratoire d’Ecologie, Botanique et Biologie végétale de l’université de Parakou et auteur principal de l’étude, explique à Mongabay : « Le commerce illégal de la faune se développe de plus en plus dans nos pays. Lorsque l’on se rend dans les marchés, il est fréquent de tomber sur des carcasses d’espèces menacées. L’on se demande alors comment et pourquoi ceci est possible, malgré tout ce que l’État fait pour renforcer les dispositifs sécuritaires autour de nos aires protégées. Nous avons alors décidé d’investiguer pour comprendre comment les choses se passent ».
Selon le rapport d’évaluation et d’hiérarchisation des menaces portant sur la biodiversité au Bénin, réalisé par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en 2021, les scores STAR de réduction des menaces sont à 79 % alors que ceux de restauration sont à 21 %. Ces scores constituent un outil développé par l’UICN et utilisé pour évaluer et quantifier les impacts des efforts de conservation sur la réduction des menaces pesant sur les espèces, afin de permettre aux décideurs et aux partenaires de prioriser les actions les plus efficaces. L’étude conclut : « A tous les niveaux d’analyse, l’évaluation de l’état de la biodiversité montre une tendance au déclin chez les grands groupes étudiés (mammifères, oiseaux, reptiles, poissons, amphibiens, insectes et champignons) dans le sens où, chacun de ces groupes taxonomiques comprend au moins une espèce dont la population est décroissante ».
Le Bénin, pays de transit pour les produits de la faune sauvage
Au Bénin, les braconniers sévissent dans le nord du pays, notamment à proximité des parcs W et de la Pendjari. Cotonou, la capitale économique située au sud du pays, joue un rôle clé en tant que zone de transit, grâce à son port autonome et à son aéroport international. Le commerce d’espèces sauvages est une activité assez lucrative, encouragée par la faiblesse des réglementations et du système d’application de la loi concernant les crimes contre les espèces sauvages.
D’après les résultats de cette étude, qui a porté sur 24 marchés spécialisés dans la vente de carcasses d’animaux, 161 espèces ont été recensées, incluant 39 espèces de mammifères, 33 espèces de reptiles et 89 espèces d’oiseaux. Ces produits proviennent de diverses sources nationales et internationales, notamment du Nigeria, du Ghana, du Burkina Faso, du Niger, du Cameroun et du Sénégal. Les destinataires de ce commerce illégal se trouvent au Bénin, au Nigeria, en Chine, au Burkina Faso, en Inde, au Ghana, au Niger et au Togo. Les espèces les plus touchées par ce commerce illégal incluent le python, les primates et certaines espèces d’oiseaux, qui sont particulièrement recherchées pour la médecine traditionnelle.
Dans l’un des marchés de la Commune d’Abomey-Calavi, au nord de Cotonou, nous avons pu rencontrer des commerçants de carcasses d’animaux, qui ont difficilement accepté de répondre à nos questions. Conscients du caractère illicite de leur activité, ils ont préféré garder l’anonymat. De nos échanges, il ressort que la vente de produits de faune sauvage est une pratique transmise de génération en génération, à travers des initiations. A l’origine, les familles réputées pour ce commerce allaient chasser les animaux pour les vendre, mais de nos jours, elles s’approvisionnent plutôt auprès des chasseurs. A propos de la clientèle, D.H., l’un des vendeurs, se confie à Mongabay : « Nous vendons généralement aux féticheurs et aux guérisseurs traditionnels. Mais il y a beaucoup de clients, hommes comme femmes, qui viennent ici chercher des produits. Certains viennent même de très loin parfois ».
Le Bénin a mis en place un cadre réglementaire strict pour la protection de la faune, principalement à travers la loi 2002-16 du 18 octobre 2004 et l’article 50 de la loi Cadre sur l’environnement. Ces lois interdisent la chasse et la capture d’espèces intégralement protégées, ainsi que toute activité nuisible à la faune ou à leurs habitats. De même, le gouvernement a renforcé ses efforts en formant des rangers, en installant des équipes de surveillance dans les parcs nationaux et en collaborant avec des ONG dédiées à la cause. En outre, le pays a adhéré depuis 1984 à la Convention CITES, qui régule le commerce international des espèces protégées. La CITES (Convention On International Trade Of Endangered Species) est, en effet, un accord multilatéral sur l’environnement, qui réglemente le commerce international des espèces (animales et végétales) dont la conservation est préoccupante pour garantir qu’un tel commerce ne menace pas leur survie. Au Bénin, l’organe de gestion et l’autorité scientifique sont mis en place par la Direction des Eaux, Forets et Chasse.
Les centres de gestion de la faune, essentiels dans la sauvegarde et la restauration des espèces animales
De même, l’étude révèle, que les espèces vendues sur les marchés sont les mêmes que celles présentes dans les centres de conservation ex situ, qui sont des espaces dédiés à la sauvegarde et à la préservation d’espèces animales hors de leur habitat naturel. Ces centres sont gérés par des particuliers, des communautés ou des ONG et s’occupent de recueillir et de protéger des animaux en détresse. L’étude a identifié 20 centres de gestion ex situ de la faune sauvage. La corrélation élevée entre les espèces conservées dans ces centres et celles commercialisées met en évidence une interaction significative entre les efforts de gestion ex situ et les dynamiques du commerce des espèces sauvages.
Au nombre de ces centres de gestion de la faune, figure le refuge animalier de Kpotomey situé dans la Vallée du Sitatunga, au sud du Bénin. Ce centre accueille des animaux en détresse, les soigne et les remet en liberté. Il s’agit d’une initiative de gestion communautaire des ressources naturelles, mise en œuvre par CREDI-ONG depuis 2005.
La Vallée du Sitatunga couvre une partie des trois communes voisines du département de l’Atlantique, à savoir Abomey-Calavi, Sô-Ava et Zè. Les inventaires réalisés dans ce parc d’environ 80 000 hectares, ont permis de recenser plus de 210 espèces d’oiseaux, 64 espèces de reptiles et 47 espèces de mammifères. Pour sauvegarder la biodiversité de cette région, CREDI-ONG mène des actions de sensibilisation communautaire, de conservation et de restauration des espèces animales, qui portent déjà leurs fruits, comme en témoigne Marie Angèle Taïwo Akowe Ikpadoun, Responsable de suivi écologique à CREDI-ONG et gestionnaire du Parc naturel communautaire de la vallée du Sitatunga. « Les chasseurs de la région ont été constitués en association et beaucoup d’entre eux ont été reconvertis en éleveurs ou en agriculteurs. Aujourd’hui, ils sont des points focaux pour l’ONG sur le terrain, ils nous appellent lorsqu’ils remarquent la présence d’un animal ou d’une espèce spécifique pour nous le signaler, et cela nous montre que nos efforts payent ». Grâce à une collaboration avec les communautés locales, les chasseurs, les agriculteurs et les éco-gardes, l’organisation initie des collectes de données et des patrouilles pour connaitre exactement l’état de conservation de la faune et déterminer les actions de conservations adéquates.
Le renforcement des dispositifs sécuritaires s’impose
Le circuit de commercialisation de ces espèces s’étend au-delà des frontières béninoises. Les produits issus de la faune sauvage sont souvent transportés par voie terrestre ou aérienne, ce qui souligne la nécessité de renforcer les contrôles aux frontières et dans les aéroports. Pour lutter efficacement contre le commerce illégal de la faune, Marc Koutchoro Agbatan suggère : « Les forces de l’ordre qui sont déléguées à surveiller les aires protégées, ne devraient pas consacrer essentiellement leurs actions à la périphérie. Les dispositifs sécuritaires devraient être renforcés dans tout le pays et pas seulement au niveau des forêts ou des parcs. Nos aéroports devraient aussi être davantage renforcés. L’autre aspect aussi, c’est qu’il faudrait accompagner les centres de gestion ex situ. Il faut que l’Etat appuie financièrement ces structures ».
Agbatan estime enfin que la contribution des scientifiques est essentielle dans cette lutte pour la sauvegarde des espèces animales. En effet, la gestion des espèces menacées requiert des connaissances telles que les espèces prioritaires, l’alimentation, les conditions de vie, etc. Les efforts de conservation devraient donc être intensifiés, notamment par l’implication des acteurs privés, des scientifiques, et des partenaires techniques et financiers.
Image de bannière : Des carcasses d’animaux exposés dans un marché local de la Commune d’Abomey-Calavi, au nord de Cotonou. Image de Carolle Ahodekon pour Mongabay.
Citation :
Agbatan, M. K., Ogoudje, I. A., Houessou, G. L., & Lougbegnon, O. T., (2024). Role of local markets in illegal wildlife trade and conservation efforts for trafficked species, Global Ecology and Conservation, Volume 54, e03110. https://doi.org/10.1016/j.gecco.2024.e03110.
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