- La forêt tropicale de Gola en Afrique occidentale est un point chaud de biodiversité, qui abrite plus de 400 espèces d’animaux, y compris des espèces endémiques et menacées. Plus de 100 communautés tributaires de la forêt vivent juste à l’extérieur du parc national de la forêt tropicale de Gola et dépendent de la forêt pour leur subsistance.
- Au cours des dernières décennies, l’exploitation forestière, l’exploitation minière, le braconnage et les activités agricoles en hausse ont fait progresser le déboisement et la perte d’habitat des espèces dépendantes de la forêt tropicale, ce qui a motivé un programme volontaire de crédits REDD+ en 2015 pour favoriser la conservation et offrir des moyens de subsistance alternatifs aux populations locales.
- Une activité du projet REDD+ est la plantation et l’exploitation de cacaoyers sous ombrage, qui offrent un refuge aux animaux tout en générant un revenu aux producteurs de cacao de la région.
- Des évaluations indépendantes ont révélé, que le programme REDD+ a ralenti le déboisement, augmenté les revenus des foyers et évité l’émission de 340 000 tonnes d’émissions de CO2 par an, tout en recevant le soutien des communautés locales.
À l’Est de la Sierra Leone, à cheval à la frontière avec le Liberia, s’étend le parc national de la forêt tropicale de Gola, l’une des dernières zones intactes des forêts tropicales de Haute Guinée en Afrique occidentale. De grands arbres avec d’imposantes racines contreforts forment une dense canopée émeraude ? où les singes hurlent, les malimbes babillent et les calaos avec leur envergure impressionnante voltigent de branche en branche en poussant des cris aigus.
Au voisinage du parc, 122 communautés possèdent de petites parcelles de la jungle de la zone tampon de quatre kilomètres. Auparavant, les populations locales dépendaient de ces forêts communautaires, pour récolter du bois et d’autres produits forestiers, chasser la viande de brousse et produire des cultures vivrières.
Dans les années 1900, les exploitations forestière et minière se sont intensifiées dans les forêts de la région, notamment dans la zone, qui allait devenir le parc national de la forêt tropicale de Gola. Les populations ont coupé de grandes étendues d’arbres de la zone tampon pour produire des cultures commerciales comme l’huile de palme et le cacao, qui sert à produire le chocolat. Le braconnage et l’empiétement sur la forêt ont augmenté pendant la guerre civile en Sierra Leone au cours des années 90 et au début des années 2000, menaçant davantage la forêt tropicale et ces animaux. D’après une analyse géospatiale réalisée en 2017 et publiée par l’université de Purdue aux États-Unis, ces activités ont entraîné un déboisement important, les forêts communautaires de Gola ayant perdu plus de 4 % de leur couverture forestière chaque année entre 1991 et 2016.
En 2013, un projet de crédits carbone a été mis en place dans la forêt tropicale de Gola pour freiner la déforestation et offrir un moyen de subsistance alternatif et durable aux communautés tributaires de la forêt. Le projet de 30 ans suit le cadre soutenu par les Nations unies pour la Réduction des émissions provenant du déboisement et de la dégradation des forêts (REDD+) en gérant les ressources forestières de façon durable et en améliorant les stocks de carbone forestiers. Des entreprises, des pays et d’autres entités peuvent acheter des crédits carbone par l’intermédiaire du programme et les utiliser pour compenser leurs émissions et atteindre les objectifs de l’accord de Paris, qui vise à limiter le réchauffement climatique pour empêcher ses pires effets. En échange, les pays tropicaux à faible revenu, riches en forêts, reçoivent des avantages financiers pour conserver leurs forêts et préserver la biodiversité.
Le projet carbone REDD+ de Gola sur 30 ans a commencé en collaboration avecla RSPB (Royal Society for the Protection of Birds) britannique, qui travaille à Gola depuis les années 1980, la CSSL (Conservation Society of Sierra Leone), l’une des plus anciennes organisations de conservation du pays et le gouvernement de Sierra Leone. Leur entreprise commune, la Gola Rainforest Company Limited by Guarantee (GRC-LG), vend des crédits carbone et travaille avec les communautés vivant aux abords de la forêt, les bénéficiaires du projet, pour mettre en place des mesures de conservation.
La forêt tropicale de Gola : un point chaud de biodiversité
D’une superficie de plus de 740 kilomètres carrés, soit deux fois la taille de la ville américaine de Détroit, la forêt tropicale de Gola regorge de vie. La forêt abrite plus de 60 espèces en danger, dont de nombreuses espèces endémiques des forêts de Haute Guinée.
« C’est l’une des zones de biodiversité les plus riches au monde », dit Fiona Sanderson, une directrice scientifique de la conservation à la RSPB, qui étudie la biodiversité de la forêt tropicale de Gola depuis plus de dix ans.
La forêt tropicale abrite une douzaine d’espèces de primates, notamment des cercopithèques dianes (Cercopithecus diana) et des colobes bais (Piliocolobus badius), plus de 300 espèces d’oiseaux, notamment des chouettes-pêcheuses rousses endémiques (Scotopelia ussheri) et des calaos à casque jaune (Ceratogymna elata), ainsi qu’une variété incroyable de papillons. La forêt est également un refuge pour des chimpanzés d’Afrique occidentale (Pan troglodytes verus), des éléphants de forêt d’Afrique (Loxodonta cyclotis), des hippopotames pygmées (Choeropsis liberiensis) et des pangolins géants (Smutsia gigantea), qui sont tous menacés.
« Certains sont de fantastiques spécimens de la nature [et] ils sont très très beaux », dit le biologiste de la conservation sierra-léonais, Hazell Shokellu Thompson. « Si nous perdons la forêt de Gola, nous perdrons certainement un grand nombre de ces animaux et oiseaux dans cette région de Sierra Leone, mais aussi de l’Afrique occidentale ».
La forêt tropicale stocke 19 millions de tonnes de carbone, et le projet REDD+ pourrait permettre de réduire les émissions de 550 000 tonnes de CO2 par an. « C’est une grande étendue de forêt tropicale qui constitue un énorme puits de carbone », dit Thompson. « Elle est importante pour éviter des émissions [et] pour notre combat contre le changement climatique ».
Le programme REDD+ vise à commercialiser ce carbone stocké pour sauver la forêt tropicale et son impressionnante biodiversité.
Un cacao respectueux des forêts : revitaliser les moyens de subsistance et protéger les forêts
Un composant majeur du projet REDD+ de Gola est la création de plantations de cacaoyers respectueuses des forêts au sein de la zone tampon autour du parc national. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une espèce indigène à la région, le cacaoyer est cultivé en Sierra Leone depuis l’ère coloniale britannique et les exploitants dépendent de la récolte pour leurs revenus. Près de 70 % du cacao mondial provient de petits exploitants en Afrique occidentale, en particulier au Ghana et en Côte d’Ivoire, où de grandes étendues de forêts sont abattues au profit de monocultures.
En partenariat avec la RSPB, le projet REDD+ de Gola encourage les exploitants à cultiver les cacaoyers amateurs d’ombre sous la canopée d’arbres natifs de forêt tropicale comme l’amandier de Côte d’Ivoire et le teck africain (iroko). Le cacao dépend d’insectes, de chauves-souris et d’oiseaux natifs pour la pollinisation et le contrôle des ravageurs.
Selon la RSPB, 2 587 exploitants vivant à la périphérie de la forêt cultivent sous ombrage plus de 2 000 hectares de cacaoyers respectueux de la forêt dans le cadre du projet REDD+. En 2020, 44 tonnes de cacao ont été produites dans ces exploitations. En dehors du cacao, les exploitants cultivent également des noix de kola, du café et des légumes.
Selon la RSPB, ces plantations agroforestières ne se contentent pas de produire de la nourriture et des revenus pour les communautés forestières, elles servent aussi de couloir et d’habitat aux animaux dans des zones, qui auraient été défrichées pour l’agriculture conventionnelle.
« Nous essayons de les faire fonctionner dans l’autre sens », dit Sanderson des plantations de cacaoyers respectueuses des forêts. « Elles forment une sorte de structure semblable à une forêt avec les mêmes arbres indigènes ». Elle explique qu’il y a plus de 100 espèces d’arbres indigènes sur ces parcelles agroforestières, et que près de la moitié d’entre eux ont une valeur économique potentielle, un facteur déterminant de l’agroforesterie.
Les plantations de cacaoyers sont également un havre de paix pour les animaux, selon les chercheurs. Une étude, menée par Sanderson et ses collègues et publiée dans la revue Agriculture, Ecosystems & Environment en 2022, a répertorié plus de 140 espèces d’oiseaux dans les plantations de cacaoyers cultivés à l’ombre, dont près de 60 % étaient des espèces tributaires des forêts comme les calaos. De nombreuses plantations avaient plus d’espèces indigènes que le seuil requis pour être qualifié comme zones importantes pour la conservation des oiseaux et de la biodiversité, une désignation donnée par BirdLife International, qui indique le potentiel d’un site pour la conservation des oiseaux. Des chimpanzés, des singes et des éléphants de forêt s’aventurent également dans les plantations de cacaoyers pour piller la production, au grand dépit des exploitants.
En tant que production commerciale, le cacao génère des recettes pour les exploitants. Toutefois, l’accès à des marchés plus rémunérateurs n’a pas été facile. Dans le cadre du projet REDD+ de Gola, la GRC-LG a mis en place des coopératives au sein des communautés, où les exploitants membres peuvent vendre leurs fèves de cacao à un prix plus élevé. Les fèves sont ensuite exportées vers les marchés internationaux, où leur prix de vente est supérieur à celui offert par les intermédiaires visitant leurs communautés. Par le biais des coopératives, les exploitants reçoivent des formations sur les bonnes pratiques afin d’améliorer les rendements de cacao et d’adopter des pratiques de culture respectueuses de la forêt.
« Le cacao respectueux des forêts est un programme assez unique, car il encourage la culture de cacaoyers sous ombrage en offrant un prix plus élevé ou un bonus aux exploitants, [ce qui] les incite à participer au programme », dit la chercheuse en sciences sociales à la RSPB, Natasha Constant. Elle explique que des résultats préliminaires indiquent que la production de cacao contribue à hauteur de 69 % des revenus des exploitants. « L’avantage [des cacaoyers sous ombrage] est que… les revenus générés par l’agroforesterie du cacao peuvent être presque deux fois plus élevés que ceux générés en monoculture ».
Des avantages pour les communautés vivant en bord de forêt
Depuis le lancement du projet REDD+ de Gola, la GRC-LG travaille en partenariat avec les sept chefferies de Gola et leurs communautés membres en bordure de forêt, dans l’esprit d’obtenir un consentement libre, préalable et éclairé, tel qu’il est inscrit dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des Peuples autochtones. Selon les représentants de la GRC-LG, les chefs suprêmes et les communautés, qui font partie de l’accord de partage des bénéfices REDD+, ont le dernier mot sur la façon dont les fonds sont utilisés.
« Pendant l’élaboration du projet carbone REDD+, nous sommes entrés dans une consultation communautaire, une évaluation et des réunions participatives », dit Fomba Kanneh, qui dirige la GRC-LG et a grandi dans une communauté au bord de la forêt de Gola. « Nous avons fait [une] évaluation des besoins avec toutes les communautés, en regardant le profil historique de la zone et ce qu’ils avaient l’habitude de faire avant le début du programme ».
À la suite de ces consultations, le projet REDD+ de Gola a été élargi pour fournir des bourses, des uniformes et des livres aux écoliers, mettre en place un système d’épargne et de prêts pour les petites entreprises appartenant à des femmes, investir dans la construction d’école et d’hôpitaux, et fournir une formation aux exploitants pour augmenter leurs rendements, afin qu’ils n’aient pas besoin de défricher et brûler des zones supplémentaires de forêts pour nourrir leurs familles. Produire du cacao respectueux des forêts était également un choix fait par les communautés.
« Avant le projet REDD+, les communautés participaient à l’exploitation minière, l’abattage et le braconnage pour gagner de l’argent, mais aujourd’hui c’est difficile d’avoir accès à ces ressources », dit Kanneh. « Les communautés ont donc accepté d’élaborer un accord de bénéficiaire, qui verse une redevance pour la conservation. » Kanneh ajoute que la GRC-LG a 56 gardes forestiers, qui surveillent et patrouillent régulièrement le parc pour déceler des signes de déboisement, d’abattage, de braconnage, d’exploitation minière et d’autres activités illégales.
Sheku Kamara, le directeur général de la société de conservation de Sierra Leone, dit que le projet associe conservation et moyen de subsistance. « La dépendance à la forêt permet aux populations de gagner leur vie. Alors, si vous pouvez leur donner une alternative grâce à laquelle ils peuvent augmenter leurs revenus, ils seront moins tributaires de la forêt », dit-il à Mongabay. « Les moyens de subsistance sont un outil qui sert à la conservation ».
Ces principes se sont traduits en résultats, selon une récente étude publiée en 2024 dans la revue Nature Sustainability qui a trouvé qu’au cours de ses cinq premières années, le projet REDD+ de Gola a réduit le taux moyen annuel de déforestation dans la zone tampon de 30 % par rapport à des zones qui ne font pas partie du projet REDD+. Cette réduction de la déforestation équivaut à 340 000 tonnes d’émissions de CO2 évitées.
« Nous n’arrêtons pas la déforestation [grâce au projet REDD+], nous ne faisons que la réduire », Maarten Voors, co-auteur de l’étude et économiste au Wageningen University and Research aux Pays-Bas n’étant pas affilié au projet attribue cette réduction aux plantations de cacaoyers respectueux des forêts. Il dit à Mongabay : « Dans une grande mesure, ils n’enlèvent pas la partie en vert foncé, les arbres importants, les gros qui ont séquestré beaucoup de carbone, ils les laissent de côté et ont d’autres activités ».
L’étude a également révélé, que la réduction de la déforestation n’avait pas eu d’effet sur les revenus des populations. « Nous n’avons pas vu un résultat gagnant-gagnant, mais nous avons vu un résultat gagnant-pas perdant », dit Voors.
Le projet REDD+ de Gola a tout de même rencontré des difficultés. Kamara dit à Mongabay que le marché des crédits carbone a tendance à être volatil et cela peut avoir un effet sur les revenus générés pour les communautés. Réunir plus de 100 communautés, ayant des priorités et des besoins différents, nécessite des années de travail, de la confiance et de la transparence concernant le partage des bénéfices. Shashi Kumaran, le responsable du financement durable à la RSPB, dit qu’il est parfois difficile de transmettre des connaissances financières aux producteurs pour qu’ils gèrent leurs exploitations de cacao. Les rendements de cacao, quoique prometteurs, peuvent varier, ce qui peut pousser les exploitants à avoir recours à des activités plus lucratives, mais nuisibles à la forêt comme l’abattage, selon Sanderson de la RSPB. Elle ajoute que le déboisement dans la zone tampon peut augmenter pendant les périodes d’instabilité économiques, comme cela a été le cas lors de la pandémie de COVID-19.
Malgré ces difficultés, les personnes impliquées dans la mise en œuvre du projet REDD+ de Gola disent qu’elles lui voient un bel avenir, car les communautés voient les avantages et apprécient les efforts fournis par les différents partenaires.
« Il n’y a pas de conservation sans les gens, et nous voulons un paysage, qui offre des avantages à tous, car les communautés qui y vivent font complètement partie du paysage », dit Sanderson.
Image de bannière : Un colobe bai (Piliocolobus badius) par l’utilisateur peterichman via Wikimedia Commons (CC 2.0).
Citations:
Abu-Kpawoh, J. C. (2017). Deforestation in Gola forest region, Sierra Leone: Geospatial evidence and a rice farmer’s expected utility analysis (Master’s thesis). Retrieved from https://docs.lib.purdue.edu/dissertations/AAI10274611/
Wessel, M., & Quist-Wessel, P. M. F. (2015). Cocoa production in West Africa, a review and analysis of recent developments. NJAS–Wageningen Journal of Life Sciences, 74-75(1), 1-7. doi:10.1016/j.njas.2015.09.001
Sanderson, F. J., Donald, P. F., Schofield, A., Dauda, P., Bannah, D., Senesie, A., … Hulme, M. F. (2022). Forest-dependent bird communities of West African cocoa agroforests are influenced by landscape context and local habitat management. Agriculture, Ecosystems & Environment, 328, 107848. doi:10.1016/j.agee.2021.107848
Malan, M., Carmenta, R., Gsottbauer, E., Hofman, P., Kontoleon, A., Swinfield, T., & Voors, M. (2024). Evaluating the impacts of a large-scale voluntary REDD+ project in Sierra Leone. Nature Sustainability, 7(2), 120-129. doi:10.1038/s41893-023-01256-9
Cet article a été publié initialement ici par l’équipe de Mongabay Global le 18 avril, 2024.