- En Sierra Leone, le Parc national des monts Loma (LMNP) englobe le plus haut sommet d’Afrique de l’Ouest, ainsi que l’habitat de nombreuses espèces menacées, dont le chimpanzé de l’Ouest qui est en danger critique d’extinction.
- Cependant, les données satellitaires montrent que le parc a perdu 6 % de son couvert forestier primaire entre 2002 et 2023.
- Le défrichement dans le parc est causé par les agriculteurs et les éleveurs qui affirment qu’ils manquent de terres agricoles dans leurs communautés et qu’ils n’ont pas d’autres moyens de subsistance. La culture illégale de marijuana est également un problème dans le parc.
- Les défenseurs de l’environnement, les fonctionnaires du parc, les agences internationales et les locaux travaillent ensemble à protéger le parc. Leurs actions incluent la plantation d’arbres, la formation de gardes forestiers, la mise en place de programmes dans les écoles et la promotion de moyens de subsistance alternatifs pour les communautés environnantes.
FREETOWN, Sierra Leone — Du haut de ses 1 945 mètres d’altitude, le Loma Mansa domine les monts Loma, le massif le plus haut de la Sierra Leone, et est le plus haut sommet d’Afrique de l’Ouest. La zone entourant le Loma Mansa a été désignée comme réserve forestière sans chasse en 1952 avant de devenir le Parc national des monts Loma (LMNP) en 2012.
D’une superficie de 33 201 hectares, le LMNP offre un large éventail d’écosystèmes : forêts tropicales et prairies montagnardes, savanes arbustives, forêts sèches et forêts pluviales submontagnardes. Ces écosystèmes abritent de nombreuses espèces sauvages, dont une douzaine d’espèces de primates tels que le colobe bai (Piliocolobus badius), le colobe à longs poils (Colobus polykomos) et le mangabey fuligineux (Cercocebus atys). Parmi les autres animaux menacés présents dans le parc, figurent le céphalophe de Jentink (Cephalophus jentinki), le léopard (Panthera pardus) et, à plus basse altitude, l’éléphant de forêt (Loxodonta cyclotis) et l’hippopotame pygmée (Choeropsis liberiensis). En raison de leur altitude, les monts Loma abritent également une riche diversité d’oiseaux, dont de nombreuses espèces qui ne se rencontrent nulle part ailleurs dans le pays et cinq qui sont menacées au niveau mondial.
Mais le plus célèbre habitant du parc est sans doute le chimpanzé. En 2019, le Tacugama Chimpanzee Sanctuary, une organisation de recherche et de conservation, qui a débuté comme centre de réhabilitation pour les chimpanzés orphelins, a mené une étude au sein du LMNP. Selon les résultats, le parc abrite environ 1 390 chimpanzés de l’Ouest (Pan troglodytes verus).
En danger critique d’extinction, cette sous-espèce de chimpanzé unique est confrontée, tout comme de nombreuses autres espèces sauvages, à la perte de leur habitat causée par la déforestation découlant des incursions humaines dans le parc.
Un habitat qui disparaît, peu d’alternatives
« La Sierra Leone abrite la troisième plus grande population de chimpanzés d’Afrique de l’Ouest, dont plus de la moitié vit dans des zones non protégées et dégradées par l’homme », explique Rosa Garriga, responsable de la recherche et consultante de Tacugama, qui étudie les chimpanzés de Sierra Leone depuis des dizaines d’années. « En Sierra Leone, on observe que le “farm-bush”, une forêt secondaire dégradée qui se développe après l’agriculture sur brûlis, devient le type de végétation la plus répandue ».
Selon les données satellitaires recueillies entre 2002 et 2023 par la plateforme de surveillance des forêts Global Forest Watch (GFW), la Sierra Leone a perdu 14 % de ses forêts primaires en l’espace de 22 ans seulement. Même les zones protégées n’ont pas été épargnées, les données de GFW indiquant que le LMNP a perdu plus de 6 % de son couvert forestier primaire entre 2002 et 2024. À noter que la grande majorité de cette perte est survenue après 2012. Les données préliminaires de GWF pour 2024 montrent que le couvert continue de disparaître dans les parties ouest et sud du parc.
Garriga a expliqué à Mongabay que la déforestation en Sierra Leone a commencé après la guerre civile qui a ravagé le pays pendant dix ans. Après la fin de la guerre en 2002, les personnes qui avaient fui le pays sont revenues, accroissant les besoins en nourriture.
« Toutefois, le système agricole de la Sierra Leone reste largement inchangé et repose en grande partie sur des pratiques de culture sur brûlis », poursuit Garriga. « Cette méthode nécessite davantage de terres et a entraîné une réduction des périodes de jachère, qui sont passées de 10 à 15 ans, pendant seulement 5 à 7 ans, les populations cherchant à répondre à leurs besoins pour survivre. En conséquence, la qualité des terres s’est dégradée et les forêts sont de plus en plus défrichées pour l’agriculture ».
Bintu Sia Foray-Musa, directrice du LMNP, qui travaille également pour la National Protected Area Authority, a affirmé que l’agriculture sur brûlis, également appelée culture itinérante, était responsable d’une grande partie de la déforestation dans le parc. Selon elle, l’élevage de bétail est également en cause.
« En tant qu’autorité, nous luttons assidûment contre les activités illégales de la population, qui détruisent la forêt », a affirmé Foray-Musa à Mongabay, ajoutant que « le problème est généralisé ».
À la racine de ces activités de déforestation, se trouve la pauvreté, selon les résidents et les défenseurs de l’environnement. La plupart des communautés vivant à proximité du LMNP et d’autres zones protégées de la région dépendent de l’agriculture de subsistance pour survivre.
« Nous n’avons pas de bonnes routes, il n’y a pas d’infrastructure, pas de système ou de structure pour des moyens de subsistance alternatifs, nous avons été négligés par le gouvernement. Ce que nous avons, c’est notre terre et la forêt et rien d’autre », a déclaré Amara Marrah, qui dirige la ville de Konombaia, l’une des municipalités qui partagent une frontière avec le LMNP.
Il y a quelques années, des employés du gouvernement ont érigé des piliers pour marquer les limites du parc et ont encouragé les membres de la communauté à ne pas cultiver, chasser ou abattre des arbres au-delà de ces limites, raconte Marrah à Mongabay.
« Nous avons accepté, mais nous leur avons dit que nous avions également besoin qu’ils nous aident à trouver d’autres moyens de subsistance, des outils agricoles mécanisés, des engrais et des infrastructures comme de meilleures routes, des écoles et des hôpitaux, mais le gouvernement n’a pas honoré ces demandes », raconte Marrah. « Nous n’avons donc pas d’autre choix que de continuer à utiliser nos terres [et] à entrer dans le parc pour lutter pour notre survie ».
Fatmata Marrah, une agricultrice et une autre dirigeante de la communauté de Konombaia (sans lien de parenté avec Amara Marrah), a admis à Mongabay qu’elle et d’autres agriculteurs ont dû empiéter sur le parc afin de trouver des terres pour l’agriculture vivrière. Selon elle, la communauté ne cesse de s’agrandir et le besoin en terres agricoles se fait de plus en plus sentir.
« Nous avons besoin de plus de terres arables à cultiver pour obtenir un meilleur rendement. Mais comme nous ne disposons pas d’outils mécanisés pour labourer la terre ou d’engrais pour améliorer la qualité du sol, la plupart d’entre nous ont dû recourir à la pratique ancestrale de la culture itinérante, ce qui fait que nous nous aventurons dans la réserve forestière pour abattre des arbres, défricher la terre et brûler pour installer nos fermes », explique-t-elle. « Nous nous appuyons sur cette méthode agricole depuis très longtemps [pour cultiver] l’arachide, le poivre, les haricots, l’ananas et le riz ».
Outre l’agriculture sur brûlis, l’élevage de bétail menace également l’intégrité de l’habitat au sein du LMNP. Mamadou Sowe, un éleveur de bétail du village de Burumakudor, a affirmé à Mongabay que les éleveurs ont été contraints d’aller dans le parc avec leur bétail, car les terres de la communauté n’offrent pas suffisamment de pâturages. Selon lui, la majorité des habitants de sa communauté sont des agriculteurs et il existe depuis longtemps un désaccord entre les fermiers et les éleveurs. En effet, les fermiers n’hésitent pas à tuer le bétail en représailles lorsque les bêtes détruisent leurs cultures, ce qui ne fait qu’ajouter aux raisons de s’aventurer dans le parc.
Fasalie Marrah, le chef suprême du village de Burumakudor, a déclaré à Mongabay que les éleveurs de bétail étaient responsables du brûlage de la forêt dans le LMNP. « Les éleveurs mettent le feu à des arbres et à l’herbe dans certaines zones de la forêt puis s’en vont », nous dit Marrah. « Ils ne contrôlent pas le feu. Au contraire, ils veulent qu’une très grande partie de la forêt brûle pour que de l’herbe fraîche et tendre pousse à la place, puis ils amèneront leurs vaches pour paître ».
Une autre menace, plus récente que celle-ci, pèse de plus en plus sur le parc, d’après les autorités : le commerce illégal de drogue. L’éloignement du parc et la difficulté du terrain attirent les cultivateurs de marijuana, en particulier dans la partie sud du parc.
« Ces plantations de marijuana se développent et nous ne disposons pas des moyens logistiques nécessaires. Il nous faudrait des véhicules pour patrouiller et même des armes pour affronter ces cultivateurs qui font leur commerce à l’intérieur du parc », a déclaré Alhaji Jawara, un garde forestier expérimenté du LMNP. « Comme les autres agriculteurs, ils pratiquent la culture sur brûlis et continuent à pénétrer plus profondément dans le parc pour cacher leurs exploitations ».
Combler les lacunes, construire l’espoir
La directrice du parc, Foray-Musa, est d’accord avec Jawara. Ella a expliqué à Mongabay que l’Autorité nationale des aires protégées (NPAA, National Protected Area Authority en anglais) est chargée de protéger les forêts de la Sierra Leone, mais qu’elle est bloquée par des financements limités.
« Nous manquons de logistique, il n’y a pas de véhicules comme des motos pour patrouiller la forêt et nous manquons des outils technologiques nécessaires à surveiller la déforestation et les autres activités illégales en temps réel », déplore Foray-Musa. « Il y a également peu de gardes forestiers [et ceux qui sont disponibles] manquent d’équipement, de formation et de motivation. Dans les cas d’incendies de forêt, qui sévissent actuellement, nous ne disposons pas de la technologie nécessaire pour connaître le point d’éclosion et il est donc très difficile d’enquêter ».
Elle a reconnu que les communautés autour du LMNP dépendent de la forêt.
« Nous savons qu’ils n’ont pas le choix, même s’ils savent que des lois interdisent toute activité au sein du parc », a déclaré Foray-Musa. « Ils ont eux-mêmes demandé au gouvernement de leur fournir des moyens de subsistance durables qui les éloigneraient de la forêt, mais ils n’ont pas obtenu satisfaction et ont donc eu recours à la forêt ».
Toutefois, l’Autorité nationale des zones protégées a pris des mesures pour protéger le LMNP, selon Foray-Musa.
« Nous ne ferons jamais rien, nous continuons simplement d’attendre le financement du gouvernement. Nous nous sommes donc récemment associés à l’Union européenne pour concevoir un projet répondant aux besoins sociaux des communautés vivant autour des frontières du LMNP qui [débutera] en septembre 2024 », a-t-elle annoncé. « Ils seront responsables du projet et nous ne ferons que le superviser ».
Foray-Musa a ajouté que la NPAA, quant à elle, aiderait les communautés environnantes à élaborer un plan de chefferie comprenant des éléments de conservation et de protection de l’environnement. Selon elle, ils ont contribué à la création d’une organisation locale appelée « Loma Community Conservation Program » (Programme de conservation de la communauté de Loma).
« Cette organisation communautaire est une initiative portée par la population locale. Elle représente les différentes communautés, sert de point de contact pour nous faire part de leurs besoins et pilote les actions visant à y répondre », a-t-elle expliqué.
Foray-Musa a ajouté que la NPAA participait également à un projet de plantation d’arbres à des fins de restauration lancé récemment. Elle a indiqué que la première phase consiste à cartographier l’ensemble des zones dégradées, pour ensuite définir le processus de reboisement.
Garriga a déclaré à Mongabay que Tacugama s’engageait également dans la reforestation du LMNP, entre autres activités visant à prévenir la perte de forêt et l’empiètement humain illégal. Pour cela, elle s’est associée à des organisations et agences de conservation locales et internationales.
« Nous menons des recherches sur la faune et la flore, recrutons et formons des gardes forestiers et des écogardes, apportons un soutien à l’application de la loi, mettons en œuvre des programmes éducatifs dans les écoles, promouvons des moyens de subsistance alternatifs pour 28 communautés autour du parc, plantons massivement des arbres dans les zones déboisées autour du parc et nous engageons dans de nombreuses autres activités cruciales », énumère Garriga, « le tout en collaboration avec le gouvernement local et avec le soutien d’organisations internationales telles que l’USFWS [U.S. Fish and Wildlife Service, Service de la Pêche et de la Faune des États-Unis] et USFS [U.S. Forest Service, Service des forêts des États-Unis] ».
La nécessité d’un meilleur soutien
Pour Abubakarr Kamara, directeur du Comité du changement climatique et des technologies de l’information de la Commission des droits de l’homme de la Sierra Leone, le gouvernement doit faire davantage pour lutter contre la déforestation dans le LMNP et ailleurs en aidant les populations des communautés environnantes.
« Le gouvernement doit répondre aux besoins de ces communautés frontalières ; il ne doit pas se contenter d’imposer des interdictions, mais doit veiller à ce que les habitants aient accès à des moyens de subsistance alternatifs pour les encourager à rester hors de la réserve », dit-il. « Il devrait s’agir d’un plan global, car les forêts sont essentielles à l’atténuation du changement climatique, puisqu’elles capturent le carbone atmosphérique. En outre, si nous sommes en mesure de préserver nos forêts et la faune qu’elles abritent, c’est la nation tout entière qui en bénéficiera ».
Mohamed Conteh, responsable de la communication au ministère de l’Agriculture et des Forêts de la Sierra Leone, explique à Mongabay que la subvention gouvernementale est versée trimestriellement au ministère pour financer ses activités, la répartition du financement aux différents départements se fait ensuite en interne. Ainsi, en raison du grand nombre de domaines prioritaires nécessitant un financement, plusieurs départements manquent de ressources.
Selon Conteh, le ministère avait prévu la mise en place d’unités d’extension de district pour apporter un soutien aux communautés rurales, mais les communautés proches du LMNP ne s’étaient pas suffisamment organisées pour pouvoir en bénéficier. Il a ajouté que le ministère avait également encouragé les communautés du LMNP à ne cultiver que dans les basses terres et les zones humides.
« Ces communautés qui réclament l’aide du gouvernement doivent se constituer en coopératives d’au moins 25 membres par groupe. Elles pourront alors bénéficier d’une aide directe du gouvernement sous forme d’intrants, tels que des semis, des pesticides, des engrais, de petites subventions et des outils agricoles mécanisés tels que des tracteurs », explique Conteh.
Selon Foray-Musa, la NPAA a réussi à protéger les populations de chimpanzés du parc contre la chasse. Elle a expliqué à Mongabay que les communautés voisines ont été sensibilisées à la protection des chimpanzés et que les autorités locales sont également très vigilantes quant à l’application des lois interdisant leur chasse.
Selon Garriga, les chimpanzés sont très adaptables et peuvent faire face à un certain nombre de changements d’habitat, mais elle souligne que cela n’est vrai que jusqu’à un certain point. Elle craint par exemple que les fermiers s’attaquent aux singes, car les deux espèces se disputent les mêmes zones.
« Ces facteurs peuvent exacerber la fragmentation de l’habitat, limitant encore davantage la capacité des chimpanzés à se déplacer d’une zone à l’autre. Cela ne fait que souligner l’importance majeure des efforts menés par Tacugama pour protéger les forêts comme Loma, avant qu’elles ne soient elles aussi réduites à une étendue de farm-bush », conclut Garriga.”
Image de bannière : Un chimpanzé de l’Ouest (Pan troglodytes verus). Image d’Aram Kazandjian depuis Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).
Reportage complémentaire de Morgan Erickson-Davis.
Note de l’éditeur : Cet article a été rendu possible par Places to Watch, une initiative de Global Forest Watch (GFW) conçue pour identifier rapidement les pertes de forêts préoccupantes dans le monde et catalyser des recherches plus approfondies sur ces zones. Places to Watch s’appuie sur une combinaison d’alertes de déforestation en temps quasi réel, d’algorithmes automatisés et de renseignements recueillis sur le terrain pour identifier chaque mois de nouvelles zones. En partenariat avec Mongabay, GFW soutient le data journalisme en fournissant des données et des cartes générées par Places to Watch. Mongabay maintient une indépendance éditoriale totale sur les articles faisant usage de ces données. Inscrivez-vous à la newsletter de GFW pour recevoir des mises à jour mensuelles sur ces articles.
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 4 novembre, 2024.