- Tandis que le 50e anniversaire de la convention de commerce international approche, certains chercheurs pensent qu’elle a besoin d’une révision en profondeur afin d’adapter sa structure au XXIe siècle.
- Légaliser et réguler le commerce de certaines espèces pourrait leur être plus bénéfique que de l’interdire, disent-ils, en s’appuyant sur les études de cas où les communautés locales ont été impliquées dans le commerce équitable.
- Mais certains défenseurs de l’environnement s’inquiètent que des changements au mode de fonctionnement de la CITES ne soient de mauvais augure pour les espèces menacées. Ils soulignent que la convention a été un facteur non négligeable dans la survie de certaines, dont les éléphants et les tigres.
Selon un groupe de chercheurs qui réexaminent le traité régissant le commerce des espèces sauvages, les communautés locales devraient exercer un plus grand contrôle sur le commerce international des espèces sauvages afin de rendre ce secteur, qui représente plusieurs milliards de dollars, plus durable. Le traité va bientôt entrer dans sa cinquantième année.
La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) a été signée en mars 1973, mais n’a été mise en œuvre qu’en 1975. D’après l’initiative CITES at 50 (un projet s’intéressant à l’efficacité du traité), les cadres et structures dans lesquels le commerce intervient n’ont pas changé depuis et doivent être modernisés.
L’un des problèmes majeurs, selon Dr Dan Challender, membre du Programme sur le commerce d’espèces sauvages d’Oxford, est que la CITES adopte des propositions visant à limiter ou interdire le commerce sans prendre en considération l’impact que cela aura sur les communautés qui collectent les espèces concernées.
« Le plus souvent, les locaux ne sont pas consultés sur les propositions d’amendement des annexes », a-t-il dit à Mongabay lors d’une interview.
Dr Challender et ses collègues estiment qu’il est nécessaire d’avoir une compréhension plus approfondie et plus nuancée du fonctionnement des systèmes commerciaux, avec une analyse de la taille du marché pour un produit particulier et des impacts probables d’une interdiction sur les multiples groupes touchés avant qu’une inscription ne soit proposée ou acceptée.
La communauté internationale, indique Dr Challender, tend à supposer que restreindre la distribution est une option préventive.
« Il se pourrait bien qu’une commercialisation légale, bien régulée, certifiée et avec l’adhésion de tous les acteurs concernés, soit en réalité l’option la plus sûre », dit-il. Inscrire une espèce dans la convention ne la protège pas forcément : dans les pays de l’hémisphère sud, les autorités n’ont pas autant de pouvoir qu’elles le devraient et peu de choses dissuadent les aspirants braconniers.
Des études à l’appui
L’importance des communautés locales dans la protection des espèces sauvages est de plus en plus reconnue. Le rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) sur les écosystèmes globaux, publié en 2019, a par exemple révélé que, si le déclin rapide de la biodiversité touche le monde entier, il est moindre dans les régions où les espèces sauvages sont gérées par les communautés locales.
Plusieurs propositions sur la manière de faire participer plus efficacement les populations autochtones et locales ont été soumises aux États membres lors de la 19e réunion de la Conférence des Parties (CoP) qui s’est tenue à Panama à partir du 14 novembre dernier.
« Il faut inclure les communautés locales dans la conservation, elles sont très compétentes dans ce domaine », explique Dilys Roe, membre de l’Institut international pour l’environnement et le développement (IIED), à Mongabay.
Selon Mme Roe, il existe de nombreux cas où le fait de confier le contrôle du commerce des espèces sauvages aux populations locales a eu des effets positifs sur la biodiversité. Le commerce de laine de vigogne (Vicugna vicugna), un camélidé andin sauvage, est connu comme étant un exemple d’espèce qui a été sauvée en donnant plus de contrôle aux communautés : de 10 000 individus dans les années 1970, l’espèce compte aujourd’hui 350 000 adultes.
« À la fin des années 1990, l’arapaima, un poisson d’eau douce géant endémique de l’Amazone, était proche de l’extinction. Un changement d’approche en faveur de la gestion communautaire de la pêche a permis aux populations locales de bénéficier du commerce », ajoute-t-elle. « Désormais, ils profitent de la vente de ce poisson pour en faire du cuir de luxe pour fabriquer des bottes de cowboy et des porte-monnaie entre autres choses. »
Le secrétariat de la CITES a compilé de nombreuses études de cas où le commerce international d’une espèce ou d’un produit a été dévolu avec succès aux communautés locales, de la chasse au trophée de l’ibex et du markhor au Tadjikistan à la récolte de l’anaconda en Argentine, en passant par les crocodiles du Nil et marins, les pythons réticulés et les conques géantes.
Pro-commerce ou pro-preuve ?
Certains défenseurs de la vie sauvage estiment cependant que CITES at 50 est une initiative pro-commerce déguisée. Sue Lieberman, vice-présidente aux politiques internationales de la Wildlife Conservation Society (WCS) affirme que le rôle des locaux dans l’exploitation et le commerce d’espèces sauvages n’est pas et ne doit pas être un sujet traité par la CITES au niveau international, mais au niveau national par les pays.
Demander aux pays, notamment ceux en cours de développement, de mener des analyses socio-économiques, ainsi que biologiques, des impacts de l’inscription d’une espèce en particulier revient à placer la barre trop haute.
« La convention doit être cohérente », dit-elle. « Savoir si une espèce peut être inscrite à l’annexe I ou II n’est pas une question socio-économique, mais biologique. Je ne dis pas que ce ne sont pas des facteurs importants, mais les critères doivent être biologiques. »
Inscrire des espèces telles que l’éléphant d’Afrique et le tigre, souligne-t-elle, les a sauvés d’un déclin potentiellement dévastateur.
Pour Dr Challender, CITES at 50 est une initiative « pro-preuve » et non « pro-commerce ». « Nous souhaitons utiliser les faits afin d’informer la création de systèmes commerciaux qui profitent à la biodiversité », ajoute-t-il.
Chris Shepherd, de l’organisation de préservation de la vie sauvage Monitor, affirme que ce n’est pas la faute de la convention si le commerce international d’espèces sauvages mène à des déclins chez certaines d’entre elles.
« Les pays ont des obligations envers la CITES, mais beaucoup ne les honorent pas. Cela ne veut pas dire que la convention échoue, mais que les pays ne sont pas tenus responsables », dit-il. « La CITES a des crocs, mais si elle ne mord jamais, personne ne fera rien ».
M Shepherd souligne que le Projet sur les législations nationales de la CITES montre qu’environ 40 % des signataires n’ont toujours pas voté de lois visant à mettre la CITES en place. En outre, 19 pays (soit 10 % des membres) sont désignés comme nécessitant une attention prioritaire.
Les pays sont notés de 1 à 3, 1 représentant les pays qui ont effectivement légiféré pour mettre en œuvre la CITES et 3 ceux qui ne l’ont pas fait.
« On pourrait penser qu’après 50 ans, tout le monde serait à 1 ou à 2 », déplore M Shepherd.
Un domaine toujours confronté à l’absence de données précises
La CITES at 50 ans n’est pas la seule à faire pression pour que l’on accorde plus de poids à la valeur du commerce légal d’espèces sauvages pour les communautés et pour l’amélioration des résultats en termes de biodiversité.
Une proposition soumise par le gouvernement sud-africain à la dernière CoP appelle à la publication d’un « Rapport sur le commerce mondial de la vie sauvage » entre les sessions (qui ont lieu tous les trois ans). Son objectif serait d’améliorer la connaissance et la compréhension du commerce légal et de mieux démontrer comment « le commerce durable, légal et traçable d’espèces sauvages peut être un outil de conservation des espèces et des écosystèmes sains [et] développer les moyens de subsistance des populations rurales ».
L’échelle du commerce légal, en comparaison avec son versant illégal, n’est pas très bien comprise, remarque le document, les informations quant à sa valeur étant décrites comme « dispersées et en grande partie approximatives ».
Un article publié en 2021 fournissait une analyse des archives de l’Organisation mondiale des douanes (base de données Comtrade des Nations unies) qui a permis d’estimer la valeur du commerce légal d’espèces sauvages entre 2 900 et 4 400 milliards de dollars entre 1997 et 2016.
Parmi les articles référencés, 82 % étaient des fruits de mer, 7 % étaient des meubles et 6 % étaient des articles de mode tels que des fourrures et des peaux. Toutefois, un bon nombre de documents présentent la mention de « poissons » ou « bois tropical » sans préciser l’espèce commercialisée.
« Ce manque de granularité met la biodiversité en danger, en ce que le commerce ne pas être contrôlé de manière exhaustive », avertit l’article.
Image de bannière : Mésias à joues argentées en vente à Hanoï. Image de James Eaton/TRAFFIC.
Cet article a été publié ici sur le site anglais de Mongabay.