- Ce mercredi, le président de la RDC, Félix-Antoine Tshisekedi, a ratifié et promulgué une nouvelle loi sur la Promotion et la protection des droits des peuples autochtones pygmées.
- C’est la première fois que ces popullations sont reconnues légalement comme étant un peuple distinct avec des droits et la garantie du respect de leur consentement libre, préalable et en connaissance de cause avant toute exploitation de leurs terres par les secteurs public et privé.
- Mais tout ne va pas changer en un claquement de doigts et la mise en place de cette loi demandera du temps, explique Patrick Saidi, l’un des coordonnateurs autochtones qui ont contribué à inscrire ces protections dans la loi.
- Cet article est un commentaire. Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de Mongabay.
Après cinq mois d’attente, les peuples autochtones pygmées de la République démocratique du Congo (RDC) ont remporté une victoire considérable. Plus tôt dans la journée, le président de la RDC, Félix-Antoine Tshisekedi, a ratifié et promulgué la nouvelle loi sur la promotion et la protection des droits des peuples autochtones pygmées. C’est la première loi du pays à reconnaître et préserver les droits spécifiques de ces peuples, dont leurs droits fonciers.
Plus tôt cette année, une commission des deux chambres du Parlement (l’Assemblée nationale et le Sénat) a harmonisé les différentes versions de la loi. La version définitive a ensuite été transmise au président pour être ratifiée et promulguée. Désormais, les communautés autochtones vivant dans les forêts tropicales du bassin du Congo peuvent bénéficier des protections juridiques prévues par les auteurs du projet de loi. En outre, les responsabilités du gouvernement dans l’application de ces protections sont claires.
Nous sommes un réseau de 45 organisations autochtones de RDC. Cela fait 14 ans que nous œuvrons pour l’inscription de ces protections dans la loi et que nous poussons à la reconnaissance tandis que le pays se remet de la guerre, des conflits civils, de l’épidémie d’Ebola et des déplacements de populations internes. Le gouvernement a toujours considéré les forêts du bassin du Congo, qui sont le plus grand puits de carbone du monde et dont 60 % sont sur le territoire de la RDC, comme une ressource naturelle capable de relancer l’économie du pays. Ce faisant, il a perdu de vue l’importance écologique des écosystèmes du bassin mais, surtout, le fait que ces terres sont notre foyer.
Un passé de conservation-forteresse
La grande richesse en ressources naturelles de la RDC n’est un secret pour personne : le pays est doté de sols fertiles, d’une abondance d’eau et d’énormes gisements miniers. Les forêts couvrent environ 62 % de la superficie du pays, faisant de sa biodiversité un atout indispensable dans la lutte mondiale contre le changement climatique.
La RDC abrite également le premier parc naturel d’Afrique, le parc national des Virunga, créé en 1925. Toutefois, la création du parc a établi un précédent problématique qui persiste encore aujourd’hui sur le continent, mais aussi dans le monde. La conception générale de la conservation, aussi bien dans la loi que dans son application, veut que la présence humaine et la biodiversité soient incompatibles. Ainsi, les politiques de protection de l’environnement et la loi tendent à criminaliser et à exclure les peuples autochtones et les communautés locales de leurs terres ancestrales. Nous espérons que cette nouvelle loi apportera un changement à cet égard.
En RDC, 13 % des terres du pays disposent déjà d’une forme de protection. Si la superficie totale ciblée par les efforts de conservation traditionnelle entre aujourd’hui et 2030 est atteinte, alors on estime qu’à la fin de la décennie, 29 % de la population du pays vivra dans des zones protégées.
Mais cette façon de « protéger » la nature n’est pas viable si nous souhaitons juguler le réchauffement climatique, prévenir la perte de biodiversité et protéger les droits humains. Cela fait des générations que nous vivons dans et avec ces forêts. Notre bonne gestion remonte à plus loin que les gouvernements de la RDC ou le régime colonial. Mobutu Sese Seko, le dictateur qui a dirigé le pays durant plus de trente ans, a décrété que les autochtones pygmées étaient les premiers citoyens du pays, non pas pour reconnaître nos droits, mais pour nous engager dans l’armée.
Beaucoup d’entre nous ont été expulsés de leurs terres, malgré (ou peut-être à cause de) notre succès dans la prévention de la déforestation. La recherche scientifique montre que les territoires détenus, gérés ou occupés par les peuples autochtones, souffrent moins de la déforestation ou de la dégradation des forêts que les aires protégées entretenues par les gouvernements ou le secteur privé, notamment en Afrique. Pourtant, les arguments environnementaux en faveur de notre présence sur nos terres n’ont aucune prise sur ceux qui voudraient nous déplacer et enfreindre nos droits humains fondamentaux simplement pour faire de l’argent.
Les peuples autochtones et les communautés locales ont souvent été déplacés de leurs terres, non pas pour extraire des ressources, mais pour établir des aires « protégées ». La « découverte » d’importants foyers de biodiversité sur les terres de communautés, telles que les Batwa du parc national de Kahuzi-Biéga ou les Iyaelima du parc national de la Salonga, a mené à des déplacements forcés de populations et des massacres.
En Salonga, le massacre des villageois qui vivaient au sein du parc a été perpétré par des communautés rivales sous la protection des autorités de la province. À Kahuzi-Biéga, le massacre a été mené par des gardes forestiers militarisés qui ont choisi de purger le parc de ses communautés traditionnelles. Dans ces deux endroits, les communautés placent désormais beaucoup d’espoir dans la nouvelle législation.
Ce que dit la loi
Fait important pour les autochtones pygmées : c’est la première fois que nous sommes reconnus légalement comme un peuple distinct ayant des droits propres. Auparavant, les peuples autochtones et les communautés locales de RDC étaient considérés comme un seul et même groupe, créant une faille dans la législation. Cela permettait au gouvernement et aux entreprises privées d’exploiter nos terres sans notre consentement libre, préalable et en connaissance de cause (CLPCC).
La terre a toujours été un sujet de discorde en RDC. Les puissances rivales, tant nationales qu’étrangères, s’intéressent à la terre et aux ressources qu’elle contient. Depuis les années 1960, bon nombre des guerres que nous avons subies ont porté sur la terre : du bois dur tropical, aux terres rares qui sont le moteur des économies durables d’aujourd’hui, en passant par la ruée vers l’exploration pétrolière et gazière ou les marchés du carbone nouvellement créés.
Avant la découverte de ces ressources, toutefois, nous attachions une grande importance à nos terres pour la richesse que contiennent les forêts et les tourbières. Les chercheurs parlent de l’importance de la biodiversité et de la faune riche des forêts tropicales. Mais pour nous, la richesse vient de la nature et doit être chérie et préservée, pas extraite ou rasée.
Pourtant, nos forêts sont toujours assiégées. L’an dernier, lors de la conférence de Glasgow sur les changements climatiques, le gouvernement de la RDC s’est engagé à mettre fin à la déforestation d’ici 2030. La déforestation dans le pays a tout de même augmenté de 3 % en 2021.
Nos demandes étaient relativement claires. Si nous sommes dépossédés de nos terres, nous devons recevoir une forme de compensation équivalente aux terres qui nous ont été prises. Mais avant qu’il y ait compensation, il faut qu’il y ait dialogue. Il faut qu’il y ait des consultations et un consentement. Ces mécanismes qui permettent la compensation ne doivent pas être unilatéraux, mais déterminés en collaboration.
Pour les projets qui n’ont pas encore démarré, qu’il s’agisse de développer des ressources, d’établir de nouvelles aires protégées ou de commercialiser des crédits carbone, il faut obtenir notre consentement. Ce consentement doit également intervenir à la suite de dialogues qui nous informent sur les impacts à long et court terme du projet concerné. Et si les conditions ne nous paraissent pas acceptables, nous devons pouvoir refuser.
Maintenant que le président a ratifié et promulgué ce projet de loi, nous espérons que le droit au CLPCC des peuples autochtones pygmées sera protégé. Nous savons que tout ne changera pas en un claquement de doigts et que la mise en place de cette loi demandera du temps. Cependant, nous disposons maintenant de plus d’outils afin d’exercer nos droits. C’est une victoire, mais ce n’est que le début.
Partick Saidi Hemedi est le coordonnateur de Dynamique des Groupes des Peuples Autochtones (DGPA) de la RDC, un réseau de 45 organisations autochtones et partenaires. Ensemble, ils œuvrent à garantir les droits des peuples autochtones et à améliorer la reconnaissance de leur rôle dans la protection des forêts.
Image de bannière : Patrick Saidi Hemedi (au milieu, à gauche), coordonnateur de Dynamique des Groupes des Peuples Autochtones (DGPA) de la RDC. Image reproduite avec l’autorisation du Rights and Resources Institute.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/11/after-14-years-of-advocacy-the-drc-president-signs-new-indigenous-peoples-law-commentary/