- Une nouvelle étude montre que le changement climatique est susceptible d’amplifier les risques de conflit de quatre à cinq fois dans un rayon de 550 kilomètres. Dans les zones concernées, la hausse des températures et des pluies extrêmes agirait comme des déclencheurs.
- Une grande partie des pays les plus vulnérables face aux impacts climatiques sont frappés par des conflits armés. C’est le cas par exemple de la Somalie, qui fait face à une sécheresse étendue dans un climat de guerre civile. L’étude suggère que le pays est enfermé dans un cercle vicieux de désastres climatiques et de conflit qui ne font qu’empirer.
- Selon l’article, le manque et l’excès de pluie sont tous deux des déclencheurs de conflits : sur la durée, des pluies insuffisantes accroissent l’instabilité dans une région géographique vaste, tandis que des précipitations extrêmes augmentent la probabilité d’affrontements sur une zone plus restreinte et pendant une période plus courte.
- L’étude souligne l’importance d’allier action contre les impacts du changement climatique et médiation des conflits, car des stratégies d’adaptation climatiques peu judicieuses pourraient au contraire intensifier les tensions existantes.
En octobre 2021, Guriel, une ville de la région somalienne de Galguduud, est devenue l’épicentre de combats violents entre l’armée et un groupe paramilitaire qui ont fait plus d’une centaine de victimes et déplacé près de 100 000 personnes. En novembre, le gouvernement a déclaré l’état d’urgence en réponse à l’intensification de la sécheresse dans 80 % du pays, dont Galguduud.
« On peut fuir les combats, mais on ne peut pas échapper à la sécheresse », a déclaré Deeko Adan Warsame, qui préside le conseil des femmes de Guriel, à un représentant du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Une nouvelle étude africaine suggère quant à elle que les conflits pourraient, en réalité, suivre les sécheresses. Cette année encore et pour la quatrième fois en deux ans, les pluies ont fait défaut en Somalie. Selon une étude publiée dans la revue Economía Política, si les conditions de sécheresse persistent pendant trois ans, alors le risque d’affrontements violents augmente considérablement. Le changement climatique peut multiplier le risque de conflit par quatre ou cinq dans un rayon de 550 km.
La Somalie, l’un des pays côtiers de la Corne de l’Afrique, est parmi les plus vulnérables aux effets du changement climatique. En 2019, elle était classée 181e sur 182 pays selon l’indice ND-GAIN de l’université de Notre-Dame, qui classe la préparation à l’adaptation au climat. D’après le CICR, qui opère dans des régions ravagées par les conflits, la plupart des 25 pays les plus à risque de subir les effets du changement climatique est déjà le terrain de combats armés.
Il est de plus en plus évident que le changement climatique façonne le paysage politique, mais les spécialistes des sciences sociales ne savent pas encore comment. Les chercheurs de l’institut espagnol INGENIO, l’université de Rome III et l’université d’Urbino « Carlo-Bo » en Italie ont cherché des réponses dans des données concernant l’Afrique entre 1990 et 2016. Ils ont ainsi cartographié la portée de l’impact du changement climatique sur les conflits et la manière dont le risque est réparti dans le temps.
L’absence de précipitations tend à avoir des conséquences sur des aires géographiques plus vastes. Des conditions sèches mènent à des pénuries en eau et en nourriture et provoquent parfois des déplacements de population. La Somalie est particulièrement sujette à la sécheresse, mais la fréquence des épisodes plus graves est désormais sans précédent. Rien que ces 15 dernières années, le pays a été touché par trois sécheresses majeures. Entre 2010 et 2011, le pays a connu sa pire sécheresse depuis 50 ans. Puis de nouveau entre 2016 et 2017.
Dans le même temps, les climatologues s’attendent à ce que la Somalie reçoive des précipitations annuelles abondantes dans les années à venir, sous forme de courtes et fortes averses. Cette année encore, les averses se sont perdues par ruissellement sans réalimenter les sources d’eau ni nourrir les pâturages. Au contraire, ces épisodes de pluie intense érodent souvent le sol. Des précipitations excessives, en particulier lors de la saison de croissance des cultures, peuvent détruire les économies locales. Toutefois, les analyses ont conclu que les effets des inondations sont plus limités. Elles augmentent le risque d’affrontement pendant des périodes plus courtes et dans des zones plus restreintes.
Si le changement climatique affecte fortement les modes de vie humains, il n’est que rarement à la source des conflits. En réalité, il ne fait qu’aggraver des tensions préexistantes. Certaines poches du Sahel, la zone aride et sèche située sur la frange méridionale du désert du Sahara, sont particulièrement instables, car les conditions de vie sèches et difficiles peuvent rapidement devenir insupportables. Les affrontements entre les pasteurs et les éleveurs sédentaires sont fréquents en raison de la concurrence pour les ressources telles que la terre et l’eau.
Les pratiques pastorales sont dépendantes de la disponibilité de l’eau et du fourrage. Mais des traditions séculaires peuvent vaciller face à des changements massifs tels que des sécheresses plus fréquentes et intenses et des précipitations irrégulières. Les routes de transhumance sont tracées à partir des connaissances passées sur la disponibilité de l’eau et des pâturages. Lorsque les pluies viennent à manquer et que les pâturages flétrissent, les pasteurs sont forcés de s’aventurer au-delà de leur domaine traditionnel.
Ces déplacements peuvent les amener au contact d’autres groupes nomades avec lesquels ils n’ont pas de liens historiques. Il y a également un grand nombre de zones où les pasteurs et les agriculteurs vivent côte à côte. Là où les droits fonciers sont mal définis, des affrontements finissent souvent par éclater. Au Nigéria, les tensions entre les pasteurs Fulani, majoritairement musulmans, et les fermiers, principalement chrétiens, ne sont pas causées par les crises environnementales. La diminution des terres disponibles pour l’agriculture et le pâturage exacerbe cependant des frictions séculaires.
En effet, d’après un rapport de 2020 la probabilité que des conflits éclatent est plus élevée dans les régions où les pasteurs et les agriculteurs sont en proximité directe. Une hausse de température de 1 °C peut mener à une augmentation de 54 % du risque de conflit entre agriculteurs et pasteurs. Dans les régions où ces deux groupes ne cohabitent pas, ce chiffre tombe à 17 %.
Une fois ce cercle vicieux lancé, les conflits réduisent presque systématiquement la capacité des communautés à faire face aux chocs climatiques. Les conflits armés provoquent des dégâts durables, en détruisant par exemple des institutions et des infrastructures qui répondent à des besoins fondamentaux tels que l’accès à l’eau et aux soins. Durant les attaques d’octobre, Guriel a vu son hôpital principal endommagé et tandis que le deuxième plus important a été détruit. D’après le CICR, un puits de captage qui fournissait de l’eau à plusieurs milliers de personnes a été rendu inutilisable.
La nouvelle étude conclut que le bilan du changement climatique est plus lourd que ce que les estimations conventionnelles suggéraient. Une étude publiée en 2009 a montré qu’une augmentation du risque de conflits en Afrique subsaharienne d’ici 2030 provoquerait 393 000 décès supplémentaires. Elle souligne également l’importance d’allier action contre les impacts du changement climatique et médiation des conflits. En effet, certaines stratégies visant à alléger les pressions exercées par le climat peuvent alimenter les conflits sociaux. C’est le cas par exemple lorsque des financements climatiques sont octroyés à certains groupes plutôt que d’autres, ou lorsque les ONG offrent des alternatives à des communautés et en laissent d’autres de côté.
Image de bannière : Des jeunes filles font la queue à un centre alimentaire à Mogadiscio, en Somalie, durant l’épisode de sécheresse extrême et de quasi-famine de 2017. Image de Tobin Jones/UN Photo depuis Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Sources :
Cappelli, F., Conigliani, C., Consoli, D., Costantini, V., & Paglialunga, E. (2022). Climate change and armed conflicts in Africa: Temporal persistence, non-linear climate impact and geographical spillovers. Economia Politica. doi:10.1007/s40888-022-00271-x
Harari, M., & Ferrara, E. L. (2018). Conflict, climate, and cells: A disaggregated analysis. The Review of Economics and Statistics, 100(4), 594-608. doi:10.1162/rest_a_00730
Maystadt, J. F., & Ecker, O. (2014). Extreme weather and civil war: Does drought fuel conflict in Somalia through livestock price shocks? American Journal of Agricultural Economics, 96(4), 1157-1182. doi:10.1093/ajae/aau010
Burke, M. B., Miguel, E., Satyanath, S., Dykema, J. A., & Lobell, D. B. (2009). Warming increases the risk of civil war in Africa. Proceedings of the National Academy of Sciences, 106(49), 20670-20674. doi:10.1073/pnas.0907998106
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/07/climate-change-amplifies-the-risk-of-conflict-study-from-africa-shows/