- Au Kenya, les agriculteurs expérimentent la méthode « push-pull » (repousser-attirer) pour lutter contre les insectes nuisibles sans avoir à utiliser des pesticides coûteux et polluants.
- La technologie implique d’intercaler entre les plantes de culture des légumineuses ayant un pouvoir répulsif contre les insectes pour les repousser (push), et d’entourer la parcelle avec des plantes qui les attirent (pull) pour les éloigner encore plus loin
- Travaillant avec 642 agriculteurs de 56 villages dans huit comtés, les chercheurs ont observé que les agriculteurs qui appliquaient la méthode push-pull ont presque doublé leurs rendements par rapport à leurs voisins.
- Même si l’adoption de l’agriculture push-pull reste faible, en partie à cause des coûts de main-d’œuvre plus élevés, les partisans disent qu’elle offre un scénario gagnant-gagnant pour les agriculteurs grâce à des rendements plus élevés et au fait d’éviter l’utilisation de pesticides chimiques.
NAIROBI — Munene Njoka, un jeune agriculteur du centre du Kenya, est furieux. La raison de sa colère est un ballot de maïs en décomposition posé dans un coin de son foyer.
Le maïs a été attaqué par des perce-tiges tachetés, un ravageur qui envahit les champs de maïs. L’invasion de perce-tiges tachetés a forcé Njoka à enlever les cultures touchées de son exploitation pour empêcher le ravageur de se répandre au reste de ses cultures.
Ça n’a pas marché.
« Le ravageur semble inarrêtable », dit le trentenaire. « Pour sauver ma récolte de maïs, je l’ai pulvérisée avec des produits chimiques achetés auprès d’agrocommerçants locaux. Cet achat a épuisé mes économies. »
Les pesticides ont fonctionné et Njoka a finalement arrêté la propagation des ravageurs. Toutefois, il n’était pas conscient qu’en résolvant un problème, il en avait peut-être aggravé un autre.
Selon des études, les produits agrochimiques font partie des principaux polluants des étendues d’eau au Kenya rural, parce qu’ils s’infiltrent dans les rivières et les lacs.
En outre, les produits agricoles qui ont été pulvérisés avec des produits chimiques peuvent toujours contenir des résidus de la substance lorsqu’ils sont consommés.
Une façon que Njoka pourrait utiliser pour lutter contre les prochaines attaques de ravageurs sans encourir de coûts supplémentaires et sans polluer l’environnement est d’adopter la technologie appelée « push-pull », selon Claire Nasike, de la campagne Food for Life de Greenpeace Afrique.
Nasike dit que la technologie est une innovation qui consiste à intercaler des cultures céréalières avec des légumineuses ayant un pouvoir répulsif contre les insectes du genre Desmodium, puis de planter des plantes fourragères telles que l’herbe à éléphant en bordure de la culture.
La plante intercalée émet un mélange de composés qui repousse (push) les ravageurs, alors que les plantes en bordures émettent des substances sémiochimiques qui attirent (pull) les ravageurs vers la bordure, dit Nasike.
« La technologie push-pull n’est pas nocive pour le sol et les sources d’eau, qui sont des éléments agricoles critiques », dit-elle. « Il s’agit d’une méthode agricole écologique qui combine l’innovation et la science moderne avec le respect de la nature et de la biodiversité. »
La lutte de Njoka était contre les perce-tiges tachetés, mais ailleurs au Kenya, des agriculteurs ont des difficultés depuis des années avec des pertes de récolte en raison d’une combinaison du perce-tige tacheté et de Striga, un genre de plante parasitique communément appelée herbe des sorcières.
Selon un article de 2018 dans Land Use Policy, le perce-tige tacheté peut entraîner des pertes de récolte allant jusqu’à 88 %, tandis que Striga peut détruire une récolte entière, alors même que les agriculteurs sont aux prises avec une dégradation des sols.
Mais l’étude dans l’ouest du Kenya a observé que l’utilisation de la technique push-pull peut préserver les agriculteurs de beaucoup de ces pertes, car elle améliore la fertilité des sols en amenant de l’azote et en ajoutant de la matière organique. Cela peut entraîner des augmentations importantes de rendements.
Travaillant avec 642 agriculteurs de 56 villages dans huit des onze comtés, les chercheurs ont observé que les agriculteurs qui appliquaient la méthode push-pull doublaient presque leurs rendements par rapport à leurs voisins qui ne l’utilisaient pas.
Alors qu’intercaler des plantes dans les cultures empêche la propagation de la striga et d’autres mauvaises herbes, il y a encore d’autres avantages : le fourrage récolté de l’herbe à éléphant peut augmenter la production de lait, si l’herbe est donnée aux animaux d’élevage. Ceux qui ont utilisé la technologie ont également augmenté leur revenu global (à la fois le revenu de la récolte et du lait) de 55 % par rapport à ceux qui ne l’ont pas utilisé, alors que le rendement laitier annuel était d’environ 460 litres par vache.
Cela peut aider les agriculteurs à obtenir un revenu supplémentaire alors que la consommation accrue de lait dans le foyer peut aider à satisfaire les besoins nutritionnels de leurs familles, selon le rapport.
« Cela devient un système autosuffisant avec le temps si l’on sait ce qu’on fait », dit Josphat Macharia, un agriculteur du sud-ouest du Kenya. « Je pratique l’agriculture biologique depuis des années et j’ai appris que toutes les plantes que vous faites pousser sur l’exploitation peuvent être interdépendantes. Il suffit de connaître les bonnes plantes. »
L’exploitation de Macharia a été utilisée comme étude de cas par des chercheurs en raison de ses vastes connaissances et de sa longue expérience de l’agriculture biologique. Ici, un visiteur remarquera que les champs de maïs sont intercalés avec des légumes à gousse.
Des vaches laitières bien en chair mâchent toute la journée l’herbe à éléphant qui a été récoltée sur les bords de chaque parcelle de culture de l’exploitation Macharia. Même le champ de légumes frais est entouré d’herbe à éléphant imposante.
Macharia dit que la technologie push-pull n’est qu’une des innovations qu’il utilise sur son exploitation biologique. D’autres comprennent le fait de faire du jus de vers pour enrichir ses cultures au lieu d’appliquer de l’engrais. Ici, Macharia élève des vers de terre pour générer un liquide à teneur élevée en nutriments. Il ajoute leur liquide directement au sol pour augmenter la fertilité. Les vers de terre utilisent naturellement leur système corporel pour dégrader des particules de nourritures et de sol et les transformer en un sol riche.
Macharia élève également plusieurs espèces d’oiseaux, y compris des chouettes, pour qu’elles puissent chasser des ravageurs comme les souris, les chenilles et d’autres insectes des cultures, au lieu d’utiliser des pesticides.
« Les avantages de l’agriculture biologique sont nombreux, y compris le fait d’être sûr que mon eau de forage est à l’abri des fuites de produits chimiques », dit-il. « La technologie push-pull est particulièrement fiable parce que vous laissez votre culture se gérer elle-même et vous passez à autre chose. »
Tout n’est pas plus facile, cependant. La technique push-pull nécessite souvent plus de main-d’œuvre. L’étude a observé que le coût de la main-d’œuvre était supérieur de 48 % pour ceux qui utilisent la technologie push-pull. Tout de même, pour de nombreux agriculteurs les comptes seront bons, compte tenu des rendements potentiellement bien plus élevés.
Samuel Ledermann, un des co-auteurs de l’article de 2018 qui est professeur assistant à l’Elliott School of International Affairs de l’université George Washington (aux États-Unis), dit que les résultats observés dans l’ouest du Kenya pourraient être reproduits ailleurs dans le pays.
Toutefois, les chercheurs disent que l’adoption de la technique push-pull est actuellement limitée et, que par conséquent, il faut en apprendre beaucoup plus sur ses avantages économiques et environnementaux, y compris la santé du sol, malgré son potentiel prometteur.
« Je n’avais jamais entendu parler de la technologie push-pull. Mais si c’est quelque chose qui peut m’aider à augmenter mes rendements, je serai très heureuse de l’adopter », dit Jane Muthoni, une maraîchère de la région du mont Kenya.
Muthoni dit qu’elle préfère l’agriculture conventionnelle, qui utilise des produits agrochimiques pour traiter ses cultures. Selon elle, l’agriculture conventionnelle a une rentabilité plus élevée que les autres systèmes agricoles.
Un rapport de 2016 par l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL) basé en Suisse remarque que décider quel système de production est le meilleur, en termes de productivité, de santé environnementale et d’acceptation sociétale, est un débat permanent. Et le changement climatique peut complètement altérer les termes de ce débat.
L’analyse a trouvé que l’agriculture biologique « est généralement perçue comme n’étant pas capable de soutenir et maintenir une productivité élevée pouvant satisfaire la demande alimentaire locale et mondiale ». Mais les résultats de deux sites d’essai où le FiBL a mené des recherches dans le centre du Kenya ont prouvé que les rendements obtenus par les agricultures biologique et conventionnelle (utilisant à la fois des produits chimiques et des engrais) étaient presque égaux.
De nombreux experts ont depuis longtemps critiqué l’agriculture conventionnelle pour ses potentielles répercussions à long terme sur la santé du sol, la durabilité des rendements, et l’écosystème au sens large. En outre, la recherche a également montré que l’agriculture conventionnelle relâche plus de gaz à effet de serre que l’agriculture biologique.
Pendant ce temps, la technologie push-pull se déploie dans les plaines du Kenya où les agriculteurs ont subi des nuées de légionnaires d’automne (Spodoptera frugiperda) et une sécheresse prolongée, potentiellement en lien avec le réchauffement de notre climat.
Dominic Omondi, un fonctionnaire agricole du comté de Makueni (sud du Kenya) dit que les agriculteurs utilisent la Brachiaria à la place de l’herbe à éléphant pour entourer leurs terrains cultivés. Cette herbacée repousse également les ravageurs et peut être utilisée pour nourrir les animaux d’élevage.
« De plus en plus d’agriculteurs adoptent cette technologie. Le seul problème est que la légumineuse Desmodium sèche rapidement à cause des hautes températures qu’il y a ici », dit Omondi.
D’autres utilisations du concept push-pull nécessiteront d’autres petites modifications, compte tenu des différentes régions et de l’augmentation des températures au Kenya et dans le monde. Mais pour de nombreux agriculteurs, la méthode push-pull pourrait être gagnant-gagnant.
Citation:
Kassie, M., Stage, J., Diiro, G., Muriithi, B., Muricho, G., Ledermann, S. T., … Khan, Z. (2018). Push-pull farming system in Kenya: Implications for economic and social welfare. Land Use Policy, 77, 186-198. doi:10.1016/j.landusepol.2018.05.041
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2021/09/in-kenya-push-pull-method-tries-to-debug-organic-farmings-pest-problem/