- Le gouvernement congolais a officiellement reconnu la propriété communautaire d'une zone de conservation reliant deux parcs nationaux en République démocratique du Congo, donnant ainsi de l'espoir pour la survie du gorille de Grauer, une espèce en danger critique d'extinction.
- Le gorille, que l’on trouve uniquement en RDC, est menacé par la perte de son habitat, le braconnage de viande de brousse et les effets de l’instabilité civile persistante dans la région.
- La zone de conservation de Nkuba est cogérée par les communautés locales et le Dian Fossey Gorilla Fund. Ce dernier propose des emplois et des programmes de formation pour les femmes.
- Les efforts déployés pendant des années pour développer la zone de conservation et pour aujourd’hui l'entretenir prouvent que l’implication des communautés locales dans la conservation est importante.
Dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), les gorilles de Grauer (Gorilla beringei graueri), une espèce en danger critique d’extinction partagent leur forêt avec des communautés rurales, ce qui pourrait contribuer à sauver leur population et leur habitat qui est en déclin.
En avril, le gouvernement de la RDC a officiellement reconnu la propriété communautaire de trois concessions forestières, qui, ensemble, constituent la zone de conservation de Nkuba. Cette zone protégée de 1 580 km2, dont la superficie équivaut à environ deux fois celle de la ville de New York, est située entre les parcs nationaux de la Maiko et de Kahuzi-Biéga.
La reconnaissance officielle de la zone de conservation de Nkuba est une victoire pour les droits des communautés et la conservation. Selon le Dian Fossey Gorilla Fund, une organisation à but non lucratif qui travaille avec les dirigeants locaux depuis 2012 dans le but d’assurer la protection de la zone, un haut lieu de la biodiversité, cette réussite permet d’augmenter de plus de 70 % la superficie des forêts appartenant aux communautés dans le territoire de Walikale.
Selon le cadre juridique de la RDC instauré en 2016, une concession forestière gérée par les communautés ne peut pas dépasser 50 000 hectares, ce qui correspond aux trois concessions qui composent la zone de conservation de Nkuba. Bien que les titres fonciers officiels ne soient pas considérés comme des sites de conservation, les communautés de Nkuba ont conclu un accord de 25 ans pour cogérer l’entreprise de conservation de la zone avec le Fossey Fund, qui est responsable du plan de gestion et des décisions de gestion avec l’approbation d’un syndicat représentant les communautés.
En échange de la protection des gorilles, c’est-à-dire en ne les chassant pas et en alertant les autorités en cas de braconnage, les dirigeants du Fossey Fund s’engagent à fournir une éducation, des emplois et une formation à la conservation aux habitants locaux afin de contribuer aux efforts de protection du gorille de Grauer et d’autres espèces menacées vivant dans les forêts.
Maintenant que les concessions forestières appartiennent aux habitants, ils sont incités à les protéger et reconnaissent leur valeur, a déclaré à Mongabay Tara Stoinski, PDG et directrice scientifique du Dian Fossey Gorilla Fund.
“Ils les utilisent [les concessions forestières] d’une façon qui est durable pour eux ainsi que pour la faune sur le long terme”, a-t-elle déclaré.
Sauver le gorille de Grauer
La situation stratégique de Nkuba sert de refuge à certaines des espèces les plus menacées et les plus rares de la RDC, notamment le gorille de Grauer, que l’on trouve uniquement dans l’est de la RDC. Cette espèce, également appelée gorille des plaines orientales, est confrontée au braconnage, à la perte d’habitat due à la déforestation massive et aux effets de l’instabilité civile causés par les groupes rebelles armés qui alimentent les opérations minières illégales, explique Stoinski.
Les scientifiques estiment que près de 17 000 gorilles de Grauer existaient à l’état sauvage avant la guerre civile en RDC au milieu des années 1990. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 6 800 à l’état sauvage, d’après les estimations les plus récentes.
“On ne les trouve nulle part ailleurs sur la planète, donc les conserver ici est le seul moyen de garantir la survie de l’espèce”, a indiqué Stoinski.
Les chercheurs du Dian Fossey Gorilla Fund estiment qu’environ 200 gorilles vivent dans la zone de Nkuba, mais la majorité des gorilles de Grauer (environ 75 %) vivent en dehors des zones protégées. Nkuba représente environ 10% de l’habitat total du gorille en RDC, a déclaré Urbain Ngobobo, directeur chargé des programmes du Congo pour le Dian Fossey Gorilla Fund. Les recherches montrent que le plus grand nombre de gorilles de Grauer vivent dans les forêts communales d’Oku, situées près du parc national de Kahuzi-Biega.
En tant qu’ingénieurs de l’écosystème, les gorilles contribuent à maintenir l’ensemble de l’écosystème en bonne santé. Stoinski explique qu’ils jouent un rôle essentiel dans la dispersion des graines car ils mangent les fruits et sèment les graines qu’ils défèquent à travers toute la forêt, et ils créent des chemins pour les autres animaux.
S’ils venaient à disparaitre, d’autres animaux sauvages et espèces d’arbres de la région pourraient également s’éteindre, a ajouté Ngobobo. Préserver l’habitat des gorilles garantit donc également la protection d’autres espèces sauvages.
De récentes études montrent que les populations de gorilles de Grauer ont subi une diminution de la diversité génétique en raison de la fragmentation de l’habitat, ce qui rend crucial le rôle de Nkuba en tant que corridor faunique entre les deux parcs nationaux. Une étude de 2018 a révélé que les gorilles de Grauer vivant dans la zone de Nkuba, une population de gorilles située au centre, étaient plus diversifiés génétiquement que les gorilles vivant aux abords de cette zone, ce qui rend Nkuba plus importante encore pour la connectivité des forêts.
“Elle endosse un rôle de corridor écologique, assurant la connectivité, permettant aux animaux sauvages [de se déplacer] d’un point à un autre”, a déclaré Ngobobo.
La fragmentation de l’habitat se produit lorsqu’un habitat contigu, une forêt par exemple, est découpé en plus petites parcelles d’habitat, souvent en raison d’activités humaines telles que la déforestation à des fins d’exploitation forestière ou de plantations de palmiers à huile. Les animaux vivant dans ces parcelles sont ainsi contraints de vivre dans une zone plus petite, ce qui peut menacer leur survie et diminuer la diversité génétique car le nombre de partenaires potentiels est restreint.
“Nous préférons éviter ces groupes de population isolés, si possible”, a déclaré Stoinski. “Une seule catastrophe pourrait avoir un effet marquant, le maintien de la connectivité est vraiment important.”
La biodiversité en jeu dans le Bassin du Congo
Le Bassin du Congo en Afrique centrale, deuxième plus grande forêt tropicale humide du monde, s’étend sur 3,7 millions de km2. Cette forêt tropicale humide abrite une large diversité d’espèces endémiques et menacées, dont les charismatiques gorilles de montagne (Gorilla beringei beringei) que la primatologue américaine Dian Fossey a étudiés au Rwanda, et plus de 600 espèces d’arbres qui jouent un rôle essentiel et sont l’un des plus grands puits de carbone de la planète.
Mais ces dernières années, les scientifiques ont averti que la capacité des forêts africaines à stocker du carbone devrait diminuer en raison de la déforestation et du changement climatique. Les données satellitaires montrent que la déforestation s’accélère dans le nord de la RDC.
Selon la Commission des Forêts d’Afrique centrale, la part des fonds destinés à la conservation des forêts versée au Bassin du Congo est moins importante que celle destinée à l’Amazonie ou aux forêts d’Asie du Sud-Est. Stoinski a déclaré que l’Afrique centrale a besoin de plus de fonds pour protéger les écosystèmes forestiers dont dépendent les populations.
“Finalement, la santé de ces forêts dépend d’écosystèmes intacts”, a affirmé Stoinski. “Puis, à notre tour, nous dépendons de ces écosystèmes pour garder notre planète intacte.”
Bien que le changement climatique menace les espèces vivant dans les forêts tropicales humides, la biodiversité du Bassin du Congo est surtout menacée par les activités humaines et le braconnage de la faune sauvage.
Dans une interview accordée à Mongabay, Dominique Endamana, chargé de programme régional de conservation des forêts de l’UICN pour l’Afrique centrale et occidentale, a déclaré que “derrière toutes les activités de braconnage se cache un business. Les gens tuent pour l’argent. Les gens tuent pour [manger]”.
Par exemple, les éléphants ne vivent plus dans la région car ils ont été victimes de braconnage pour leur ivoire jusqu’à leur extinction. C’est un destin que le Fossey Fund s’efforce d’éviter aux gorilles de Grauer.
Travailler avec les communautés pour soutenir la conservation
Dans un email à Mongabay, Ngobobo a écrit qu’avant la guerre civile, la population dépendait de l’agriculture et des petites entreprises pour subvenir à ses besoins. Mais Endamana a expliqué que la violence constante a plongé les communautés de l’est de la RDC dans une pauvreté extrême, les obligeant à chasser la viande de brousse ou à travailler pour des exploitations minières nuisibles à l’environnement qui récoltent des minéraux à des fins de fabrication d’appareils électroniques vendus dans les pays développés du Nord.
Les groupes rebelles de la RDC, pays riche en minéraux, contrôlent les mines artisanales et chassent souvent les gorilles pour leur grande quantité de viande. Ngobobo a témoigné que lui et son équipe ont été enlevés quatre fois par des groupes rebelles. Cependant, les habitants de Nkuba ont à chaque fois négocié pour les libérer, ce qui, selon lui, représentait une preuve du soutien local pour leur travail de conservation.
De plus, l’insécurité alimentaire répandue dans la région a poussé les habitants à surexploiter les ressources forestières telles que les plantes médicinales et à chasser la viande de brousse. Selon Stoinski, cela représente la cause principale du déclin de la faune sauvage.
Maintenant que les forêts appartiennent aux communautés, ces dernières sont incitées à les protéger, encouragées par l’emploi stable, les soins de santé, le financement des frais de scolarité et l’amélioration des conditions de vie qu’offre le Fossey Fund, a déclaré Ngobobo. Il a ajouté que les habitants préviennent désormais le personnel du Fossey Fund lorsqu’ils soupçonnent la présence d’un braconnier dans leur forêt.
Stoinski conclue que “pour que la conservation fonctionne, les populations doivent s’investir”.
Selon Stoinski, l’organisation caritative a embauché 70 personnes à temps plein issues de la communauté locale à Nkuba et recrute environ 250 employés à temps partiel chaque mois. Des équipes d’enquêteurs effectuent des travaux sur le terrain pour repérer des gorilles, des gardes forestiers non armés patrouillent dans les forêts à la recherche de traces de braconnage, et plusieurs anciens braconniers font également partie du personnel du Fossey Fund.
Mais l’établissement de Nkuba en tant que forêt gérée par la communauté n’a pas été un processus simple, et convaincre les personnes qui gagnaient leur vie grâce à l’exploitation minière de passer à la conservation n’a pas été facile, a déclaré Ngobobo.
“L’exploitation minière offrait des avantages directs alors que la population estimait que sans le tourisme, il n’y avait aucun autre avantage matériel à tirer de la conservation”, a écrit par email Ngobobo.
Par exemple, les éléphants ne vivent plus dans la région car ils ont été victimes de braconnage pour leur ivoire jusqu’à leur extinction. C’est un destin que le Fossey Fund s’efforce d’éviter aux gorilles de Grauer.
Outre les réticences initiales des communautés, il est juridiquement difficile d’obtenir une concession communautaire. Le soutien d’une ONG, telle que le Dian Fossey Gorilla Fund, peut donc aider les communautés à travers tout le processus.
La direction du Fossey Fund affirme que ses programmes de formation et de conservation ont contribué à atténuer ces pressions car ils offrent une autre source de revenus et se concentrent sur des techniques de récolte durables. Par exemple, certains membres de la communauté analysent les échantillons de selles des gorilles de Grauer pour découvrir de quoi ils se nourrissent. Les régimes alimentaires des gorilles peuvent fournir des indices sur les types de fruits sauvages comestibles. Selon le Fossey Fund, si ces graines sont cultivées au sein de la communauté, il n’est plus nécessaire de récolter des fruits et d’autres produits forestiers non ligneux dans l’habitat des gorilles.
Les communautés qui dépendent des forêts jouent un rôle essentiel dans la lutte contre le changement climatique, affirment les chercheurs de Human Rights Watch, qui plaident pour que ces communautés soient au centre des politiques climatiques.
De la même façon, Endamana a signalé le fait que des scientifiques tels que lui-même ignorent les besoins, les connaissances et les valeurs des communautés locales et indigènes lorsqu’ils prennent des décisions de gestion. “Nous ne pouvons pas parler [de] la conservation sans aborder les communautés locales”, a affirmé Endamana. “C’est impossible. Nous ne pouvons pas œuvrer à la conservation sans elles.”
Ngobobo a déclaré que grâce à des programmes éducatifs, le Fossey Fund forme désormais la prochaine génération de défenseurs de l’environnement. On compte actuellement 240 étudiants. Aujourd’hui, davantage de jeunes, y compris des femmes, obtiennent des diplômes d’études secondaires et vont à l’université, a-t-il ajouté.
“Nous sommes vraiment ravis que Nkuba devienne un endroit où de jeunes biologistes congolais pourront venir faire leur thèse ou leur doctorat, ou simplement acquérir une meilleure compréhension de la biodiversité qui se trouve dans leur jardin”, a déclaré Stoinski.
Alors que le changement climatique et les activités d’extraction continuent de faire pression sur les forêts denses et riches en biodiversité d’Afrique centrale, les scientifiques soulignent la nécessité d’une action continue et de la création de plus de zones protégées gérées par les communautés, telles que Nkuba.
“Moi, en tant que Congolais, je pense qu’il est de ma responsabilité d’accorder ma vie, mes connaissances, mon énergie, mon temps pour protéger [les gorilles]”, a déclaré Ngobobo. “Nous devons agir maintenant. Aujourd’hui, et non demain.”
Image de bannière d’un gorille de Grauer timide. La population de ces gorilles en danger critique d’extinction a diminué de 80% au cours des 25 dernières années. Image offerte par le Dian Fossey Gorilla Fund.
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Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2021/07/in-drc-community-ownership-of-forests-helps-guard-the-grauers-gorilla/