- L’année dernière le monde a perdu 119, 000 km2 de son couvert forestier selon les données collectées par le satellite de la UMD (Université du Maryland) publiées aujourd’hui par le WRI (Institut des ressources mondiales). Un tiers de ces pertes correspond au couvert forestier des forêts tropicales primaires.
- Le Brésil, Le RDC et l’Indonésie se retrouvent en tête de liste en matière de perte du couvert forestier primaire, suivi de près par la Bolivie, le Pérou et la Malaisie. Mais les données montrent également une réduction de la déforestation en Colombie, à Madagascar, au Ghana et en Côte d’Ivoire.
- Selon les chercheurs, pour ralentir le taux de déforestation il faut changer la façon dont sont incentiver les systèmes de gestion forestière locaux.
- Les chercheurs s'inquiètent également de la façon dont la crise COVID-19 pourrait affecter les forêts en 2020.
L’année dernière le monde a perdu une superficie de couvert forestier équivalant à 119 000 km2 selon les données collectées par le satellite de la UMD (Université du Maryland) publiées aujourd’hui par le WRI (Institut des ressources mondiales), soit une superficie similaire au Nicaragua. Un tiers de ces pertes – soit une superficie similaire à la Suisse – correspond au couvert forestier tropicale primaire qui abrite la plupart des espèces de la faune et flore de la planète et jouent un rôle important dans la régulation du climat.
Les données recueillies depuis 2001 indiquent une augmentation globale de la déforestation des forêts primaires en 2019 par rapport à l’année dernière. Cela marque la fin du déclin de la déforestation de deux années précédentes et qualifie 2019 de la pire année en matière de perte de superficie de forêt primaire depuis le début du siècle. Le Brésil, Le RDC et l’Indonésie se retrouvent en tête de liste quant à la perte du couvert forestier primaire, suivi de près par la Bolivie, le Pérou et la Malaisie. Mais les données montrent également une réduction de la déforestation en Colombie, à Madagascar, au Ghana et en Côte d’Ivoire.
Perte de forêt primaire, 2002-2019
Les 10 pays ayant perdu la plus grande superficie de forêt primaires en 2019 (en hectare)
Sans avoir de vision exacte sur la situation de 2020, les chercheurs n’envisagent rien de bon pour les forêts primaires suite aux données pessimistes de la UMD et de l’éventuel impact de la crise du COVID-19.
Les champions de la déforestation
Comme par le passé, le Brésil se classe en tête de liste des pays à plus fort taux de déforestation avec environ 46% de perte de forêt primaire, soit 14, 000 km2 en 2019. A l’exception du record national de déforestation lié aux incendies de 2016 et 2017, la perte des forêts primaires au Brésil a été plus importante en 2019 qu’à tout autre moment au cours des 13 années précédentes.
Le Brésil a connu une légère baisse de ses taux de déforestation en 2018 avec 27 000 km2 de perte de forêt secondaire, de forêt sèche et grâce à l’occasionnelle plantation d’arbre dans le pays. Depuis les années 2000, cela représente une perte de 11% du couvert forestier avec une augmentation dans l’ensemble du bassin amazonien.
Perte du couvert forestier et de forêt primaire au Brésil, 2002-2019 / Perte annuelle moyenne du couvert forestier et de forêt primaire au Brésil, 2000 vs 2010
Pourcentage de la perte du couvert forestier au Brésil en 2019
Au Brésil, nombreux sont les facteurs de déforestation : l’exploitation forestière, minière et agroalimentaire ainsi que les incendies récurrents ont de lourdes conséquences sur les forêts du pays. Certains affirment que la politique d’extrême droite de l’actuel président, Jair Bolsonaro, attise les flammes et encourage les exploitants forestiers, les éleveurs et les mineurs à les exploiter, y compris celles des zones protégées. Les chercheurs craignent que la perte du couvert forestier ne fasse qu’augmenter en 2020, car les incendies qui servaient à défricher les terres pour l’agriculture l’année passée se répandent dans les forêts voisines.
En second sur la liste, on retrouve le RDC avec une perte de forêt primaire sur une superficie de 41, 000 km2 en 2019 et 12 000 km2 de son couvert forestier l’année dernière. Bien qu’il y ait eu un léger déclin des taux de déforestation entre 2018 et 2019, les chiffres oscillent toujours autour du point culminant de 2016-2017.
L’agriculture à petite échelle semble être le moteur principal de la déforestation en RDC et dans d’autres pays du bassin Congolais. Les chercheurs avertissent tout de même qu’une « nouvelle vague » de déforestation industrielle pourrait se profiler. Si le bassin Congolais ne fait rien pour diminuer les taux de déforestation c’est toute la couverture forestière qui risque d’y passer.
Perte du couvert forestier et de forêt primaire des nations du bassin Congolais, 2002-2019 / Perte annuelle moyenne du couvert forestier et de forêt primaire des nations du bassin Congolais, 2000 vs 2010
Pourcentage des pertes du couvert forestier par province du RDC en 2019
En Bolivie, 2019 est une année record en matière de déforestation, le pays a perdu plus de superficie forestière que depuis le début de la collecte de données de l’UMD en 2001. Dans l’ensemble, le pays a perdu 1,3 % de son couvert forestier l’année dernière. Des incendies records se sont propagés de manière incontrôlée en fin d’année. Les incendies ont été dévastateurs notamment dans les forêts sèches de Chiquitania et dans le département de Santa Cruz qui a perdu près de 3 % de son couvert forestier en quelques mois.
Suite à l’observation des données de l’UMD, Mikaela Weiss, chef de projet de la plate-forme de surveillance en ligne du WRI chez Global Forest Watch nous explique qu’il faudra des centaines d’années avant que les forêts de Chiquitina se reconstituent.
Les autorités, quant à elles, expliquent que les incendies sont dus aux pratiques de brûlis servant ainsi à convertir les forêts en terres agricoles. Selon certaines sources, cette pratique a augmenté après que l’ancien président Evo Morales ait signé un décret en début d’année 2019 visant à étendre l’exploitation des terres pour l’élevage de bétail et le secteur agroalimentaire. Malgré l’éviction de Morales en novembre, les chercheurs affirment que la Bolivie pourrait connaître une autre saison de grands incendies en 2020.
Perte du couvert forestier et de forêt primaire en Bolivie, 2002-2019 / Perte annuelle moyenne du couvert forestier et de forêt primaire en Bolivie, 2000 vs 2010
Pourcentage des pertes du couvert forestier par province en Bolivie en 2019
C’est aussi une année particulièrement dure pour l’Australie en matière d’incendies ravageurs. Appelée “Black Summer”, la saison des incendies de fin 2019/début 2020 a ratiboisé une superficie estimée à 186 000 km2, tuant au moins 34 personnes et potentiellement plus d’un milliard d’animaux. Les chercheurs affirment que les incendies ont endommagé l’habitat de 648 espèces menacées rien que dans l’Etat du Queensland.
Les incendies ne sont pas choses rares dans les forêts australiennes, certaines espèces d’eucalyptus endémiques dépendent même de ceux-ci pour répandre leurs graines. Pourtant l’ampleur et l’intensité de la saison des feux de 2019-2020 a été sans précédent, et a affecté des écosystèmes qui ne sont pas aussi résistants au feu.
« Alors que les feux dits « normaux » peuvent carboniser l’écorce d’un arbre, les incendies de l’année dernière les ont transformés en charbon de bois », nous explique Rod Taylor, directeur de la plateforme Global Forests chez WRI.
Pourcentage des pertes du couvert forestier par Etat en Australie en 2019
Les chercheurs affirment que le changement climatique et la mauvaise gestion des forêts ont contribué à la gravité des incendies. Le gouvernement de l’État du Victoria a récemment annoncé qu’il interdirait l’exploitation forestière en 2030, mais les chercheurs soutiennent qu’encourager ces pratiques d’ici lors condamnera les forêts à de futurs incendies.
Les bonnes nouvelles
En Indonésie depuis 3 années consécutives on observe une baisse de la perte du couvert forestier. Les forêts primaires ont été particulièrement touchées dans le pays notamment depuis 2003, classant le pays au 3e rang sur la liste mondiale.
Les chercheurs attribuent ce retournement de situation à la fructueuse politique de protection des forêts mise en place après la crise des incendies qui a touché le pays en 2016. Cependant, les analystes du WRI avertissent qu’il est possible que les résultats soient faussés à cause des nuages et de la brume qui auraient pu masquer certains pics de déforestation survenues fin 2019. Le niveau réel de la perte du couvert forestier pourrait s’avérer plus élevé.
Perte du couvert forestier et de forêt primaire en Indonésie, 2002-2019 / Perte annuelle moyenne couvert forestier et de forêt primaire en Indonésie, 2000 vs 2010
En Afrique de l’Ouest, les données indiquent que la perte de forêt primaire a chuté de 50 % au Ghana et en Côte d’Ivoire en 2019, après une forte hausse l’année précédente. Selon les analystes du WRI, cela serait probablement dû à des initiatives de conservation et aux engagements pris par les pays et les grandes entreprises chocolatières pour mettre fin à la déforestation.
En Colombie, on observe également pour la première fois une réduction de la perte du couvert forestier en 5 ans. En 2018, elle a diminué de 35 % par rapport à son niveau le plus élevé en 17 ans et s’est stabilisée au niveau le plus bas du pays depuis 2016. Selon les chercheurs, l’augmentation du taux de déforestation en Colombie au cours des dernières années a été alimentée par la démobilisation du groupe rebelle des FARC, qui a permis à l’agrobusiness de s’installer dans des zones forestières qui étaient auparavant hors de portées. Cependant en Colombie, les données stipulées pour 2020 indiquent que la déforestation pourrait à nouveau augmenter. Certaines sources rapportent que les petits agriculteurs et les groupes armés se déplacent dans les parcs nationaux.
Si Madagascar semble avoir rebondi, ce n’était pas encore le cas en 2018 alors que le pays se trouvait en tête de liste en matière de déforestation. Les données montrent que le pays a réduit de près de moitié son taux de perte de forêt primaire, enregistrant ainsi le taux le plus bas depuis 2012. Cependant, comme pour l’Indonésie, les nuages ont peut-être empêché les satellites de détecter les pics de déforestation de fin 2019 dans certaines régions.
Des temps incertains
« 2020 devait être l’année où l’on arrête la déforestation, mais on prend la direction opposée » explique Frances Seymour, attaché de recherche chez WRI et experte en développement durable.
Dans un article de blog suivant la publication des données de l’année 2019, Seymour souligne 3 points qui pourraient avoir un impact conséquent sur la réduction des taux de déforestation : la reconnaissance légale des droits fonciers autochtones, l’application effective de la loi et le soutien des marchés internationaux et des institutions financières.
Si nous savons quoi faire, pourquoi cela ne fonctionne pas ?
Il semblerait que tout se reporte à l’argent. Effectivement dans un article datant de 2018 en réponse à la croissance fulgurante des taux de déforestation, Seymour explique que les cultures de rente telles que le soja, l’huile de palme et l’élevage bovin sont privilégiés et soutenues par des politiques qui encouragent l’utilisation des produits de base pour l’alimentation du bétail et les biocarburants. Les autorités corrompues ferment les yeux sur l’exploitation illégale des forêts, certains étant directement impliqués dans le commerce illégal du bois. Les communautés autochtones, elles, bien que plus efficace dans la gestion et la préservation des forêts, ne sont pas reconnues comme propriétaires des terres sur lesquelles elles vivent depuis des générations et sont assassinées lorsqu’elles résistent.
« La situation me rappelle les nombreux films qui mettent en scène un train en fuite : La demande mondiale de produits de base a été mise à mal, et les freins de l’application de la loi et de la gestion autochtone ont été désactivés », écrit Frances Seymour dans son article. « La seule façon d’éviter un accident de train désastreux est que le héros (ou l’héroïne) se mette dans le siège du conducteur, enlève la brique de l’accélérateur et actionne les freins d’urgence ».
Pour pouvoir faire fonctionner les freins d’urgences sur les taux de déforestation, Seymour pense qu’il faut changer la manière dont sont incentiver les systèmes d’exploitation forestier locaux.
Seymour s’inquiète également de la manière dont la pandémie COVID-19 et la déforestation pourraient influer l’un sur l’autre. Elle souligne que les feux de forêt pourraient aggraver la situation des personnes touchées par le virus dont les poumons sont plus sensibles à la pollution à cause des fumées et affirme que les gouvernements ne devraient pas se relâcher sur la protection des forêts afin d’utiliser ce moyen pour se remettre financièrement de la pandémie. Elle prévoit également une augmentation des moyens de subsistance dépendant de la forêt à mesure que des emplois se perdent et demande instamment la création d’emplois « favorables à la forêt » et des transferts temporaires d’argent.
« La prise en compte des forêts dans les efforts de redressement de la pandémie déterminera si les chiffres de la perte du couvert forestier évoluent à la hausse ou à la baisse dans les années à venir », explique-t-elle dans son article de 2019. « Au lieu de prendre des mesures qui retardent les transitions déjà tardives vers des économies plus résilientes et à faible émission de carbone pour éviter la crise imminente du changement climatique, les gouvernements ont maintenant la possibilité de les accélérer ».
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2020/06/new-data-show-world-lost-a-switzerland-size-area-of-primary-rainforest-in-2019/