- La déforestation dans l’aire protégée de Menabe Antimena, un vaste écosystème unique de forêts sèches situé sur la côte ouest de Madagascar, a augmenté dans des proportions considérables ces dernières années.
- L’agriculture sur brûlis en est la principale raison. Contrairement à la plupart des autres régions de Madagascar, cette déforestation ne se fait pas à des fins de subsistance, mais pour planter du maïs, culture de rente commercialisée par une puissante élite locale.
- Les groupes de conservation se sont associés pour organiser des descentes, qui ont abouti à un certain nombre d’arrestations, faisant ainsi une incursion dans les réseaux de distribution de maïs.
- Pour l’instant toutefois, seuls des travailleurs pauvres ont été amenés à répondre de leurs actes, nombre d’entre eux venant d’arriver dans la région, ayant fui la sécheresse du sud de Madagascar. Quant aux individus soutenant la déforestation, qui bénéficient de nombreuses relations, aucun d’entre eux n’a été affecté.
MENABE, Madagascar — alors que l’avion amorce sa descente sur Morondava, ville située sur la côte ouest de Madagascar, il survole la rivière Tribihina. À partir de là, plus très loin de Morondava située à 70 kilomètres au sud, s’étend l’aire protégée de Menabe Antimena, 2100 kilomètres carrés de forêt sèche protégée mêlée à l’activité humaine.
Depuis mon hublot, je compte 13 feux de forêt auxquels s’ajoute une poignée supplémentaire au moment où nous pénétrons dans l’aire protégée. Alors que l’avion poursuit sa descente, la fumée se fait soudain plus dense. Pendant quelques minutes, tout est recouvert d’un voile blanc. Le steward confirme qu’il s’agit de pollution atmosphérique provenant des feux qui sévissent depuis des mois.
Le défrichage sur brûlis, qui consiste à abattre et brûler à la torche la végétation existante avant l’ensemencement des cultures, est pratique courante à Madagascar. La période de juillet à novembre est celle où l’on observe le plus de feux de forêt, car c’est le moment où l’on prépare la terre pour la saison des pluies, qui dure de décembre à mars. Cependant, à Menabe Antimena, le défrichage sur brûlis ne se fait pas à des fins de subsistance, mais pour planter du maïs, une culture de rente commercialisée par une puissante élite locale.
Le maïs nécessite un sol très riche, et les forêts récemment brûlées constituent un terrain idéal. Volahy Anselme Toto, directeur du programme Menabe à la Durrell Wildlife Conservation Trust, nous a expliqué comment cela fonctionnait : un agriculteur brûle une parcelle de forêt pour y faire pousser du maïs la première année ; après la récolte, il brûle à nouveau cet espace et y fait pousser du maïs à la deuxième saison, mais avec des rendements inférieurs ; la troisième année, l’agriculteur change de secteur pour le maïs et utilise l’ancienne parcelle pour y cultiver des cacahuètes, autre culture de rente qui tolère des sols plus pauvres. Après deux récoltes de cacahuètes, l’agriculteur abandonne la terre.
Par conséquent, la déforestation à Menabe Antimena a considérablement augmenté. De 2000 à 2009, elle représentait environ 1000 hectares par an ; en 2014, elle en concernait 4000. À ce rythme, Durrell prévoit [PDF] qu’un tiers de la forêt disparaîtra d’ici 2020. Cependant, les années 2017 et 2018 ont été catastrophiques en raison d’un nombre record de feux, et Durrell prévoit désormais que les pertes pourraient s’élever à 44, 9 pour cent en 2020 et à 83,1 pour cent en 2025.
Descentes et arrestations
À l’image de nombreux biomes de Madagascar, la forêt sèche de Menabe Antimena est unique. Elle est l’un des derniers blocs de ce type, renfermant un haut niveau de biodiversité, et bon nombre de ses espèces, endémiques à la région, sont menacées. Deux espèces animales sont même endémiques à l’aire protégée : le rat sauteur géant de Madagascar (Hypogeomys antimena) et le Microcèbe de Mme Berthe (Microcebus berthae), tous deux figurant sur la liste rouge de l’UICN dans la catégorie « En danger ».
Depuis 1997, l’organisation Durrell, basée dans l’île britannique de Jersey, œuvre à la conservation d’espèces clés de cette région de Madagascar. Elle a joué un rôle déterminant dans la création de l’aire protégée en 2006. En 2017, confrontée à un niveau de destruction sans précédent, l’organisation a décidé d’agir. « Nous nous sommes dit : “si nous ne faisons rien, dans cinq ans, il ne restera rien à protéger” », a expliqué Volahy Anselme Toto à Mongabay.
Durrell s’est associée à Fanamby, l’organisation malgache chargée de l’aire protégée, ainsi qu’aux autorités locales. Ensemble, ces partenaires ont obtenu un financement de l’Institut des ressources mondiales (WRI), basé aux États-Unis, afin de surveiller les pertes forestières et d’organiser des descentes dans les zones de conservation strictes en vue d’appréhender les défricheurs et de détruire leurs camps.
Les descentes ont connu un certain succès : depuis leur mise en œuvre en 2017, elles ont abouti à l’arrestation de plus de 40 personnes. Si certaines ont été acquittées, la majorité d’entre elles ont reçu des peines d’emprisonnement de trois mois à deux ans et des amendes de 55 dollars à 1400 dollars.
Cynthia Raveloson, directrice par intérim de la direction régionale du ministère de l’Environnement (DREEF) pour la région de Menabe, a qualifié cette répression de symbolique. Selon elle, « les défricheurs sont de petits délinquants ». « Ils ne pourront jamais payer une amende de 55 dollars. Les arrestations ne seront efficaces que si nous attrapons les cerveaux. »
Les migrants fuyant la sécheresse « défrichent pour survivre »
Les arrestations ont permis aux autorités de démonter l’écheveau du commerce du maïs et de savoir quels en sont vraiment les cerveaux. Toutes les personnes arrêtées sont des migrants venus d’Androy, la région la plus méridionale de Madagascar où sévit la sécheresse. Bien que les migrations de population d’Androy vers l’ouest de Madagascar aient toujours eu lieu, leur flux a augmenté de manière spectaculaire au cours des dernières années, dû à la situation désespérée dans le sud et à la promesse d’argent rapide à Menabe.
Lambokely, un village très étendu au cœur de l’aire protégée, illustre parfaitement cette situation. En 2001, le village comptait 64 habitants ; en 2018, on estime que la population était passée à 20 000, même si le chiffre exact est incertain, car les migrants ne s’inscrivent pas auprès des représentants locaux. Seules 500 personnes s’étaient inscrites au bureau de vote lors des élections présidentielles de fin 2018.
Ce village est situé dans un paysage désolé composé de terres arides et d’arbres calcinés, avec pour seule forêt visible la zone de conservation stricte au nord-est. Zafimamy, le vice-président de l’association du village, lui-même antandroy (habitant d’Androy), a indiqué que les problèmes avaient démarré cinq ans auparavant, lorsque les terres arables sont venues à manquer. « Les gens viennent ici pour cultiver la terre ; par le passé, ils venaient, car ils connaissaient quelqu’un qui avait un lopin de terre qu’ils pouvaient partager » a-t-il expliqué. « Maintenant, il n’y a plus assez de terres ; il est compréhensible que les gens défrichent pour survivre. »
Anthonio Rafiringa, directeur du développement et de la conservation chez Fanamby, a fait observer que les Antandroy sont réputés travailler dur, et c’est pourquoi un grand nombre d’entre eux se retrouvent à travailler ici. Par ailleurs, ils n’éprouvent aucun sentiment pour la forêt. « Là d’où ils viennent, il n’y a pas de forêt », a-t-il poursuivi. « Ils se disent : “Il y en a beaucoup ici, ce n’est pas cette petite parcelle qui va faire une différence.” »
Le système est bien huilé. Les défricheurs paient 50 000 ariarys malgaches (environ 12 euros) par hectare déboisé. Ils vivent dans des abris très basiques, au fin fond des zones de conservation strictes, et retournent généralement à Androy à la fin de la saison. Il arrive même que les entrepreneurs prennent en charge les frais de voyage des migrants en provenance du sud. Nombre d’entre eux cultivent aussi du maïs en lisière de trois zones de conservation strictes de Menabe, les semences étant fournies par les entrepreneurs ; bien que le pâturage du bétail soit autorisé dans ces zones, la culture ne l’est pas. Selon Cynthia Raveloson, « Les migrants sont devenus la main-d’œuvre de la déforestation ».
Un relevé aérien réalisé en novembre 2018 par l’ONG World Wide Fund for Nature (WWF), qui œuvre à la conservation des mangroves à Menabe Antimena, montre que le taux de déforestation est bien plus élevé dans les zones de conservation strictes que dans le reste de l’aire protégée, surtout pour la région au nord de Lambokely. « Il est clair que les communautés préfèrent se rendre directement dans la zone de conservation stricte, sans crainte de répercussions. » a conclu le rapport.
Pots-de-vin et menaces
Au total, le DREEF, Durrell et Fanamby ont identifié environ 20 entrepreneurs qui soutiennent activement la culture du maïs dans l’aire protégée et en bénéficient directement. « Ce sont tous des représentants élus et des notables », a relevé Cynthia Raveloson.
Les Antandroy entretiennent de solides liens de solidarité, et le personnel de Fanamby suspecte que les communautés établies de longue date prêtent leur concours aux nouveaux arrivants qui s’installent dans la forêt, ou du moins ferment les yeux. Ils pensent que certaines patrouilles de village (des groupes locaux mis en place pour signaler des activités illégales, appelés par Rafiringa « nos yeux et nos oreilles dans la forêt ») ont été corrompues par les défricheurs illégaux. « Nous ne savons plus à qui faire confiance », a-t-il déclaré.
Un garde forestier, dont Mongabay s’est engagé à respecter l’anonymat pour le protéger, a dit que lors d’une descente près du village de Kirindy, un défricheur a été appréhendé, mais que l’équipe a ensuite été agressée par la communauté locale. « D’abord, ils nous ont offert un pot-de-vin ; ensuite, ils nous ont intimidés », a-t-il expliqué. « Les militaires voulaient simplement accepter le pot-de-vin ; les gens de cette région sont armés. »
La situation est similaire à celle qui couve dans le corridor forestier de Bongolava au nord-ouest du pays, où la culture du maïs a pris le dessus dans une aire protégée dénuée de ressources. En juin dernier, des agriculteurs armés, en colère contre les arrestations au motif de défrichements illégaux, ont détruit les bureaux de l’organisation caritative qui gère l’aire protégée ainsi que la maison du coordinateur du groupe et celle de l’administrateur du gouvernement local.
Les descentes à Menabe Antimena ont hérissé quelques plumes, et pas les moindres. Le garde forestier a déclaré avoir reçu — ainsi que ses collègues — des menaces de mort. Ils ont aussi découvert des sanctuaires censés les intimider. Mais il a fait fi de ces menaces. « Je n’ai pas peur ; la loi doit s’appliquer à tout le monde » a-t-il dit. « Nous devons protéger la forêt et montrer qu’elle est protégée. En même temps, on doit mettre en place des activités pour créer des emplois pour la communauté. »
Le développement et la pauvreté sont au cœur du problème de Menabe Antimena : la forêt est un dernier recours pour une population qui n’a rien d’autre. « Les gens ne sont pas à même de pouvoir écouter », a précisé Cynthia Raveloson, ajoutant que leurs tentatives d’expliquer que la déforestation risque de mener à la sécheresse ne sont plus efficaces.
« À Madagascar, nous avons un dicton : “Mieux vaut mourir demain qu’aujourd’hui.” Pour eux, il vaut mieux gagner 50 000 ariarys aujourd’hui, de quelque manière que ce soit », a-t-elle poursuivi.
Selon Volahy Anselme Toto, lorsque les deux plus grands employeurs de la région — l’usine de sucre Sucoma et l’élevage de crevettes Aquamen — ont fermé au milieu des années 2010, des milliers de personnes ont perdu leur emploi. La production de riz locale a également rencontré des difficultés, dues à une pénurie croissante d’eau et à des infrastructures d’irrigation tombant en ruine. « Tous ces gens se sont retrouvés dans la forêt », a-t-il expliqué.
Une approche holistique
Fanamby et Durrell ont également essayé de faire pression sur les acheteurs de maïs. Bien que la chaîne logistique soit opaque et complexe, comptant de nombreux acheteurs, on considère que les principaux marchés pour le maïs de Menabe Antimena sont les producteurs d’aliments pour animaux et l’industrie brassicole.
STAR, le brasseur national, détenu par le groupe français Castel spécialisé dans les boissons, a nié dans un e-mail toute implication. En réaction aux questions de Fanamby, STAR a répondu qu’il achetait son maïs auprès de fournisseurs dans les villes d’Antsirabe et de Miandrivazo, en dehors de l’aire protégée.
Tiana Andriamanana, directrice de Fanamby, a expliqué que son groupe travaillait avec STAR pour identifier tous les acteurs de la chaîne logistique. « Nous avons besoin de preuves avant de pouvoir accuser qui que ce soit », a-t-elle dit. « Nous voulons travailler avec STAR pour qu’ils puissent nous aider à replanter à Menabe Antimena et à sensibiliser leurs fournisseurs. »
Après des années passées à surveiller la situation à Menabe Antimena, de hauts fonctionnaires ont fini par en prendre acte. Le 7 décembre, le Premier ministre Christian Ntsay a rencontré des organisations de conservation et des membres du gouvernement pour discuter de l’aire protégée. Suite à la réunion, le Premier ministre a approuvé une descente d’envergure pour réprimer les plantations illégales dans des zones de conservation strictes. Huit membres armés du personnel y ont pris part, ce qui a abouti à trois arrestations et à la destruction de plantations de maïs et de camps illégaux.
Le Premier ministre a également demandé à Fanamby d’engager des poursuites contre les 20 auteurs de haut niveau identifiés par le DREFF, Durrell et Fanamby. Au vu du caractère sensible des noms figurant sur la liste, Tiana Andriamanana a suggéré que le ministère de l’Environnement et du Développement durable, qui supervise les aires protégées et qui est propriétaire juridique des terres, devrait s’en charger.
Richard Lewis, directeur du programme Durrell Madagascar, a accueilli ces développements avec prudence. « Nous sommes quelque peu incrédules : cela fait deux ans que nous tirons la sonnette d’alarme et lorsque tout le monde était enfin prêt, la saison des feux était terminée », a-t-il commenté. « Mais il est encourageant de voir que cette histoire s’est terminée dans le bureau du Premier ministre. »
L’application de la loi s’est avérée un choix difficile pour Durrell : « Pour l’instant, nous sommes très loin de notre zone de confort ». « Les descentes sont un véritable dilemme pour nous. Ce sont des gens pauvres. »
À court terme, Durrell et Fanamby prévoient de continuer à protéger les zones de conservation de Menabe Antimena, et le personnel de Durrell est désireux de commencer à replanter les aires défrichées. Richard Lewis a indiqué qu’il était par ailleurs essentiel de planifier maintenant comment aborder la prochaine saison de feux de forêt, qui commence en juillet. Les parties prenantes, notamment Durrell, le DREEF, Fanamby et d’autres ONG actives dans l’aire protégée sont également d’avis que des réformes institutionnelles sont nécessaires pour améliorer la coordination entre les partenaires.
À moyen terme, il s’agira de développer des alternatives économiques pour les communautés locales. L’agence américaine pour le développement internationale (USAID) est sur le point de déployer un programme de cinq ans appelé Mikajy, qui se concentrera sur la gestion des feux, la gestion de la conservation et le développement agricole. Outre l’apport de liquidités bienvenues dans l’aire protégée, ceci permettra à la région de bénéficier de l’influence politique d’un bailleur important.
Selon Tiana Andriamanana, une stratégie holistique est également essentielle pour s’attaquer à la question de la migration. « Les gens disent qu’ils veulent rester, et ceci ne nous pose aucun problème », a-t-elle commenté. « Nous avons commencé à cartographier de potentielles régions agricoles [au sein de l’aire protégée], mais cela signifie que les gens devront déménager. »
Selon elle, c’est à ce niveau que les contributions d’autorités telles que le ministère de la Population et le ministère de la Planification foncière, de l’Habitat et des Travaux publics seront essentielles. Le gouvernement doit par ailleurs renforcer son action pour promouvoir le développement dans le sud, afin de juguler le flux de migrants.
Revenons à la forêt ; selon le garde forestier, il est urgent de s’attaquer aux pratiques corrompues des élites locales. « Elles affirment leur pouvoir et j’ai peur qu’elles fassent pression sur le nouveau président pour les protéger » a dit-il indiqué, en faisant référence à Andry Rajoelina, récemment investi sur une plateforme en faveur du développement. Un groupe de défenseurs de l’environnement très en vue a publié aujourd’hui une lettredans la revue Science le pressant de défendre l’état de droit.
« Même si nous appréhendons quelqu’un dans la forêt, ils feront venir encore plus de monde d’Androy », a expliqué le garde forestier. « La solution est de convaincre les gens en haut de l’échelle. »
Image de bannière : quelques baobabs qui subsistent dans un coin de l’aire protégée de Menabe Antimena, près du village de Kirindy, boisé il y a quelques années. Image de Pierre Koval.
Emilie Filou est une journaliste indépendante spécialisée dans les questions commerciales et de développement en Afrique. Son adresse tweet est @EmilieFilou.
COMMENTAIRES : utilisez ce formulaire pour envoyer un message au rédacteur de ce post. Si vous voulez publier un commentaire public, ceci peut être fait au bas de la page.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2019/02/illegal-corn-farming-menaces-a-madagascar-protected-area/