- Une étude menée dans le nord de la RDC (République Démocratique du Congo) révèle que les populations de gorilles et de chimpanzés connaissent toutes deux une diminution quand l'exploitation de la forêt commence.
- Cependant, les gorilles sont plus enclins à repeupler les zones exploitées, tandis que les chimpanzés ont tendance à en rester éloignés.
- Les chercheurs concluent que les gorilles sont mieux à même de s’accommoder de l’exploitation de la forêt, étant moins territoriaux que les chimpanzés et apparemment plus enclins à adapter leur alimentation.
À mesure que les sociétés d’exploitation du bois se mettent à l’œuvre dans les forêts d’Afrique centrale, les grands singes doivent trouver de plus en plus de nouveaux modes de survie dans ces forêts changeantes qui sont leur foyer. Les scientifiques ignorent encore quel impact total l’exploitation forestière aura sur de nombreuses espèces, mais une étude suggère que les gorilles ont de meilleures chances de s’adapter à ces forêts décimées que les chimpanzés.
Publiée le 26 novembre 2017 dans la revue Biological Conservation, cette étude dévoile que l’exploitation de la forêt, à ses débuts, conduit à la fois les gorilles des plaines de l’Ouest (Gorilla gorilla gorilla) et les chimpanzés communs (Pan troglodytes troglodytes) à s’en éloigner. Cependant, les réactions de ces deux espèces à l’exploitation de leur forêt se différencient ultérieurement pour mener à des destins distincts.
« Les gorilles ne sont pas territoriaux, ils repeuplent donc ces zones immédiatement et les différents groupes trouvent leur nourriture assez près les uns des autres », confie dans un entretien Dave Morgan, l’un des auteurs de l’étude, biologiste au zoo de Lincoln Park.
Les chimpanzés réagissent quant à eux différemment. « Ils ne tolèrent pas que d’autres communautés se nourrissent à leur proximité. Ils peuvent se battre à mort en certaines occasions », explique Dave Morgan.
L’adaptation des grands singes aux forêts exploitées présentait des interrogations intéressantes pour Morgan et ses collègues, dit-il, parce que les chimpanzés tout comme les gorilles sont des animaux intelligents capables de s’adapter à la variété d’habitats qu’ils ont colonisés à travers l’Afrique.
De 2004 à 2012, des chercheurs de la Wildlife Conservation Society (WCS) et du Goualougo Triangle Ape Project, co-dirigé par Morgan, ont compté le nombre de nids de gorilles et de chimpanzés le long de transects traversant une concession exploitée dans le nord de la RDC. Ils ont rassemblé des données avant, pendant et après l’exploitation du bois. Ils ont également enregistré la proximité des nids et d’autres informations en relation avec les espèces d’arbres que les singes privilégiaient pour leur alimentation.
La concession de Kabo où la recherche s’est effectuée est la première en Afrique centrale à avoir obtenu le label environnemental Forest Stewardship Council. Conformément à son accord avec la WCS et le gouvernement congolais, la société d’exploitation, Congolaise Industrielle des Bois, a répertorié les espèces d’arbres en présence. Ces données ont permis à Morgan et à ses collègues de comprendre quelles espèces d’arbres porteurs de nourriture étaient sur place et comment les modifications apportées à la forêt influençaient le lieu où se trouvaient les différentes espèces de singes.
L’exploitation a ses débuts amène en son sillage activité humaine et perturbations, par exemple la construction de routes dans la zone en question. En conséquence, l’équipe de chercheurs a constaté que le nombre de nids de gorilles tout comme de chimpanzés avait initialement baissé. Pourtant, tandis que le nombre de chimpanzés dans les forêts exploitées restait faible, les scientifiques ont découvert que les gorilles se mettaient à repeupler ces zones lorsque des plantes recommençaient à pousser dans le sous-bois.
« Nous avions longtemps pensé que puisqu’ils se nourrissent de beaucoup de ces herbes au sol, ils s’accommoderaient d’un tel habitat avec ce type de sous-bois », explique Morgan. Les chimpanzés préfèrent les fruits, comme les gorilles, mais ont plus de difficulté à adapter leur alimentation pour se nourrir d’herbes et d’autres produits de la végétation qui se met à pousser après que les arbres ont été coupés. Bien que la compagnie d’exploitation n’ait pas sciemment exploité les arbres fruitiers en particulier, il est possible selon Morgan que certains de ces arbres aient été coupés lors de la construction de routes ou lorsque les équipes d’abattage s’attaquaient à d’autres espèces.
Cette recherche suggère que les gorilles sont plus à même de s’accommoder des changements que l’exploitation des forêts leur fait subir, au moins jusqu’à un certain point. Le gorilles des plaines de l’Ouest est une espèce en danger critique au classement de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), et le chimpanzé commun une sous-espèce en danger.
Par ailleurs, la concession de Kabo aura subi de nouvelles perturbations lorsqu’une seconde période d’exploitation s’achèvera d’ici à 2020. Morgan fait remarquer que de nombreuses espèces de bois de grande valeur auront alors disparu, ce qui conduit à s’interroger sur la façon dont la compagnie continuera à faire des profits et quel impact les changements stratégiques qu’elle pourrait opérer auront sur les grands singes.
Les auteurs rapportent que les sociétés exploitant la concession de Kabo ont travaillé main dans la main avec le gouvernement et les groupes de défense de l’environnement pour limiter l’impact que l’exploitation aurait sur la faune présente sur place, notamment en sélectionnant les lieux et les horaires d’abattage pour que tous les habitats de grands singes ne soient pas affectés en même temps. La société a également fermé les routes devenues inutiles pour encourager la repousse forestière. L’avenir de la concession et de son exploitation n’est cependant pas encore connu.
La concession de Kabo se trouve au sud de Nouabalé-Ndoki National Park. Morgan estime qu’elle doit abriter « de très nombreux chimpanzés, gorilles et éléphants » qu’il travaille encore à compter avec ses collègues pour une publication future.
Les auteurs suggèrent que des stratégies de délimitations de zones de haute priorité en matière de conservation, parmi lesquelles les zones contenant de grandes réserves carboniques, pourraient à l’avenir constituer une alternative à l’exploitation forestière qui contribuerait également à la protection de la faune de la région. Cependant, Morgan avance que les pressions sont fortes pour poursuivre l’exploitation de concessions comme celle de Kabo.
« À mesure qu’ils exploitent une plus grande diversité d’arbres », comme c’est le cas de par le monde, « quel impact vont-il avoir sur les grands singes ? », s’interroge-t-il. « Je crois que ça leur sera plus préjudiciable encore. C’est inquiétant. »
RÉFÉRENCES
Morgan, D., Mundry, R., Sanz, C., Ayina, C. E., Strindberg, S., Lonsdorf, E., & Kühl, H. S. (2017). African apes coexisting with logging: Comparing chimpanzee (Pan troglodytes troglodytes) and gorilla (Gorilla gorilla gorilla) resource needs and responses to forestry activities. Biological Conservation.
Image de bannière : gorille des plaines de l’Ouest du Limbe Wildlife Center au Cameroon, photo de John C. Cannon.
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