- Aziz Ismail, 85 ans, est un citoyen français né à Madagascar. Il a investi dans l’industrie de la crevette de Madagascar en 1973. Son empire, généralement connu sous le nom d’Unima, est composé désormais d’au moins huit entreprises privées basées en Europe et en Afrique qui sont principalement impliquées dans le commerce de fruits de mer de Madagascar où les opérations sont regroupées.
- Depuis 2000, Ismail détient également une société écran basée aux îles Vierges britanniques : Ergia Limited. Au cours de la dernière décennie, Ergia semble avoir effectué des transactions financières s’élevant à un total de plusieurs millions de dollars avec une autre société écran, basée à l’île Maurice, qui est intimement liée à Unima ainsi qu’avec des sociétés d’Unima basées en Europe.
- Bien qu’il soit généralement légal de posséder et d’utiliser des sociétés offshores, les défenseurs de la loi et le fisc examinent de plus en plus minutieusement les transactions passant par les paradis fiscaux tels que les îles Vierges britanniques et l’île Maurice. Les contrôleurs des impôts de Madagascar et d’autres experts ont déclaré que l’utilisation de plusieurs sociétés offshores par Unima augmente le risque de pertes fiscales pour l’un des pays les plus pauvres au monde.
- Les fichiers obtenus dans le cadre des « Panama Papers » par Mossack Fonseca, le cabinet basé au Panama qui n’existe plus à l’heure actuelle, ont constitué la base de l’investigation menée par Mongabay et le Consortium international des journalistes d’investigation.
Un magnat influent de l’industrie de la crevette à Madagascar a eu recours à des sociétés écrans basées dans des paradis fiscaux offshores pour déplacer des millions de dollars, soulevant la possibilité que l’un des pays les plus pauvres du monde passe à côté de recettes fiscales importantes.
Aziz Ismail, 85 ans, est un citoyen français né à Madagascar. Il a investi dans l’industrie de la crevette de Madagascar en 1973. Son empire, généralement connu sous le nom d’Unima, est composé désormais d’au moins huit entreprises privées basées en Europe et en Afrique qui sont principalement impliquées dans le commerce de fruits de mer de Madagascar où les opérations sont regroupées.
Depuis 2000, Ismail détient également une société écran basée aux îles Vierges britanniques (IVB) appelée Ergia Limited, selon les fichiers obtenus par Mossack Fonseca, l’ancien cabinet basé au Panama. Les fichiers, qui datent de 2000 à 2016 et qui ont été divulgués par Mossack Fonseca en même temps que le reste des « Panama Papers », ont constitué la base de cette investigation menée par Mongabay et le Consortium international des journalistes d’investigation.
Au cours de la dernière décennie, Ergia semble avoir effectué des transactions financières avec une autre société écran, basée à l’île Maurice, qui est intimement liée à Unima ainsi qu’avec d’autres sociétés d’Unima basées en Europe.
Bien qu’il soit généralement légal de posséder et d’utiliser des sociétés offshores, les défenseurs de la loi et le fisc en Afrique examinent de plus en plus minutieusement les transactions passant par les paradis fiscaux. Les contrôleurs des impôts de Madagascar et d’autres experts ont déclaré que l’utilisation de plusieurs sociétés offshores augment le risque de pertes fiscales pour l’un des pays les plus pauvres au monde.
« Monaco et les IVB sont des paradis fiscaux où il n’y a pas d’impôts sur les bénéfices ni sur les transactions » a déclaré à Mongabay un contrôleur des impôts de Madagascar qui a demandé à rester anonyme afin de pouvoir parler librement. « Il y a des risques de fraude fiscale ou de profit grâce à ces paradis fiscaux. »
« C’est exactement ainsi que certaines sociétés échappent à l’impôt dans les pays en voie de développement comme Madagascar » a confié Tovony Randriamanalina, un chercheur malgache et doctorant en droit fiscal international à l’Université Paris-Dauphine qui est familier avec la législation fiscale de Madagascar.
Une affaire de famille
D’origine indienne, la famille Ismail a été active à Madagascar pendant cinq générations et est l’un des géants économiques du pays. L’an dernier, Forbes a classé l’un des cousins d’Aziz Ismail comme étant l’un des multimillionnaires les plus riches de Madagascar. Ismail lui-même avait la réputation d’avoir une influence politique, bien que cela soit difficile à démontrer. Un ancien Premier ministre, Emmanuel Rakotovahiny, a été critiqué pour avoir reçu du soutien d’Ismail dans les années 1990, selon La Lettre de l’océan Indien, une publication régionale. Dans un livre consacré à la direction des entreprises, Amyne Ismail, qui a repris la gestion d’Unima en 1998 lorsque son père a pris sa retraite, a écrit : « Je suis d’origine indienne, de nationalité française et j’ai donné mon cœur à Madagascar. »
Unima est l’acteur le plus important de l’industrie de la crevette à Madagascar, dont le chiffre d’affaires s’élève à 75 millions de dollars par an. Chaque année, la société écoule des milliers de tonnes de crevettes sauvages ou d’élevage venant de chalutiers ou de fermes aquacoles en Europe, au Japon et aux États-Unis.
Unima a été saluée par certaines institutions internationales. Les Nations Unies ont désigné la société comme étant un modèle à suivre, car elle a participé à plusieurs initiatives, comme celle consacrée à l’aménagement de toilettes dans les écoles primaires défavorisées. L’élevage de crevettes de Madagascar d’Unima a été le premier élevage d’Afrique à recevoir une certification de l’Aquaculture Stewardship Council. De plus, Unima promeut fièrement un partenariat avec l’ONG internationale WWF (World Wide Fund for Nature) sur son site Internet.
« Je crois passionnément en l’avenir de Madagascar et c’est notre rôle, en tant que créateurs de richesses, de contribuer à son progrès » a dit Amyne Ismail à un journaliste en 2006.
Cependant, la pêche à la crevette sauvage d’Unima à Madagascar, comme celui d’autres sociétés de chalutage industriel du pays, est controversée. Les navires traînent leurs filets de pêche le long des fonds marins, une pratique appelée le chalutage, comparée par les scientifiques à la coupe à blanc d’une forêt. Ils travaillent le long des côtes, ce qui les met en compétition directe avec les pêcheurs artisans. Les chalutiers sont réputés pour leurs nombreuses « prises accessoires » ; des poissons qui seraient autrement disponibles pour la population locale.
Ces quinze dernières années, les réserves de crevettes de Madagascar ont considérablement diminué. Une zone de pêche à la crevette dans le nord-ouest de Madagascar, l’une de meilleures du pays historiquement, s’est effondrée. Actuellement, plus aucun chalutier n’y travaille. Entre 1986 et 2000, quelques années avant l’effondrement de cette zone, Unima était la seule société à y avoir accès. La cause de cet effondrement reste un sujet très débattu. Les pêcheurs artisans accusent les chalutiers, et les sociétés de chalutage accusent les pêcheurs artisans qui utilisent également quelques méthodes destructrices. Un article de la Marine Policy datant de 2012 conclut que les chalutiers menacent les ressources de fruits de mer disponibles pour la population locale.
Lorsqu’une société fait des profits en utilisant des méthodes dommageables à l’environnement et que ses propriétaires stockent une partie de ces bénéfices offshore, cela peut aggraver l’impact sur le pays d’origine, a déclaré Victor Galaz, un professeur associé de sciences politiques à l’Université de Stockholm (Stockholm Resilience Centre). « S’il s’agit d’un stratagème de planification fiscale agressive, cela signifie une perte de revenus pour le pays où les activités économiques ont effectivement lieu » a dit Galaz à Mongabay après avoir été informé au sujet des transactions d’Unima et d’Ergia.
Galaz a récemment rédigé un article, publié en août dans Nature Ecology and Evolution, où il expose les liens entre les paradis fiscaux et la dégradation de l’environnement dans le domaine de la pêche à l’échelle mondiale. L’article conclut que le problème des paradis fiscaux devrait faire partie des « objectifs de développement durable » car, entre autres, les recettes fiscales qui devraient être investies pour atteindre ces objectifs de développement durable sont en fait transférées sur des comptes privés dans des paradis fiscaux tels que les îles Vierges britanniques. La perte de recettes fiscales est particulièrement mauvaise pour Madagascar, car les programmes gouvernementaux y sont souvent sous-financés et presque 80 % de la population vit avec moins de 1,9 dollar par jour.
Mode opératoire des sociétés écrans
Les dossiers divulgués par le cabinet Mossack Fonseca ont révélé quelques fonctionnements internes d’Ergia, la société écran des Ismail basée sur les îles Vierges britanniques. Aziz Ismail et son fils Amyne ont toujours occupé deux des trois postes de direction chez Ergia. Le troisième poste a changé de mains. Dans des documents provenant des « Panama Papers », Ergia est décrite comme générant des revenus à Madagascar et en Europe.
Bien qu’Ergia semble dépourvue d’employés et de véritable bureau, et que, par conséquent, elle ne soit en principe pas apte à fournir des biens et services, la société recevait des fonds d’autres sociétés basées à Monaco ou à l’île Maurice et gérées par les Ismail.
Par exemple, les fichiers de Mossack Fonseca contenaient un contrat daté de 2014, valable pour une année, par lequel Ergia s’engageait à fournir des services de gestion, de management et de « réflexion stratégique » à Unima Europe, établie à Monaco. En contrepartie, Unima Europe devait payer la somme de 1,32 million de dollars à Ergia, selon le contrat signé par Ismail père au nom d’Unima Europe, et par le fils au nom d’Ergia. Dans un courriel de janvier 2016, les gestionnaires de fortune d’Unima ont demandé à Mossack Fonseca de transférer cette somme, 1,32 million de dollars, à Unima S.A, une autre société des Ismail, vers le paradis fiscal du Luxembourg, où Ergia détenait un compte en banque.
Jason Braganza, un économiste dans l’organisation à but non lucratif Tax Justice Network Africa (réseau pour la justice fiscale en Afrique), basée à Nairobi, a déclaré à Mongabay que si le contrat de consultance de 2014 portait sur des conseils donnés pour des opérations à Madagascar, « les signaux d’alarme mettent en évidence le fait que les sociétés déclaraient que les revenus générés à Madagascar étaient imposables aux îles Vierges britanniques et à Monaco. »
« Il s’agit de l’évitement fiscal 101 » a-t-il dit. « Cette situation est typique de la façon dont plusieurs pays en voie de développement continuent de perdre des millions de dollars en recettes fiscales, car celles-ci sont cachées dans des paradis fiscaux et dans des juridictions où le secret absolu prime. »
En effet, les Ismail semblent avoir mélangé l’argent d’un pays à l’autre, entre les différentes sociétés qu’ils possédaient.
Selon les documents, à la fin de 2010, Ergia a fait état d’une perte de 7,92 millions de dollars. Au même moment, Ergia devait recevoir 7 millions de dollars d’une autre société écran, Ergia Maurice Ltd, basée dans un autre pays à faible imposition, l’île Maurice, et qui a de forts liens avec Unima.
Indépendamment, en 2011, Ergia Maurice Ltd a accepté de gérer et fournir des services de consultation à une filiale d’Unima impliquée dans l’aquaculture de crevettes dans le nord-est de Madagascar. Amyne Ismail a signé le contrat d’un montant inconnu au nom d’Unima selon le site Internet d’informations Africa Intelligence.
Les activités de la famille semblent en grande partie avoir échappé à un examen minutieux. Cependant, en 2012, les régulateurs de la criminalité financière dans les îles Vierges britanniques ont contacté Mossack Fonseca, le cabinet impliqué dans les « Panama Papers », à propos d’Ergia afin d’obtenir des détails au sujet de la société. Les régulateurs n’ont toutefois pas expliqué la raison de leur requête. De même, ils n’ont pas répondu à la demande d’information formulée par Mongabay.
Les Ismail et Unima n’ont pas répondu aux requêtes répétées pour obtenir des commentaires. Ces requêtes contenaient des questions afin de comprendre pourquoi les régulateurs gouvernementaux étaient intéressés par Ergia ou pourquoi le commerce d’exportation de crevettes de Madagascar d’Unima utilisait des sociétés offshores dans les îles Vierges britanniques et à l’île Maurice.
Note de l’éditeur: D’autres versions de cette histoire sont disponibles sur le site Internet du Consortium international des journalistes d’investigation, où Will Fitzgibbon, le co-auteur de cet article, est journaliste, ainsi que dans le journal français Le Monde.
Citations
Le Manach F, et al. (2012). Unreported fishing, hungry people and political turmoil: the recipe for a food security crisis in Madagascar? Marine Policy 36(1): 218-225.
Galaz, V., et al. (2018). Tax havens and global environmental degradation. Nature Ecology & Evolution 2:1352–1357.