- Au cours d’une enquête de deux ans portant sur un projet pilote REDD+, une équipe de chercheurs s’est entretenue avec plus de 450 ménages touchés par la création d’une vaste zone protégée appelée le corridor Ankeniheny-Zahamena, une étendue de 3 820 kilomètres carrés (1 475 milles carrés) de forêt vierge dans l’est de Madagascar.
- Le projet REDD+, soutenu par Conservation International et la Banque mondiale, visait à soutenir ces communautés proches de la zone protégée du corridor Ankeniheny-Zahamena en leur apportant une aide pour des moyens de subsistance alternatifs.
- Les chercheurs ont constaté que les études préliminaires du projet REDD+ avaient identifié moins de la moitié des personnes affectées par la décision du site du corridor.
- Ils ont aussi remarqué que la valeur de l’indemnisation, qui devait servir à créer d’autres moyens de subsistance était bien insuffisante comparé aux coûts des opportunités auxquelles les populations pourraient être confrontées en perdant leur accès à la forêt lors des prochaines décennies.
Les communautés locales et indigènes semblent détenir la recette de la protection des forêts et d’importantes quantités de carbone qu’elles contiennent — et dont nous dépendons tous. Cependant, une telle responsabilité pourrait devenir un fardeau pour ces communautés comme l’a démontré récemment une étude d‘une initiative de développement en rapport avec un vaste projet de conservation à Madagascar.
« La conservation peut être très bénéfique pour de nombreuses personnes, mais il y a des coûts privés » , a déclaré Julia Patricia Gordon Jones, scientifique spécialisée en conservation à l’Université de Bangor au Pays de Galles et auteure principale de l’étude. « Certains des plus pauvres au monde sont aussi affectés par ces coûts. »
Jones et son équipe se sont focalisés sur le corridor Ankeniheny-Zahamena. CAZ, son acronyme français, détient 3 820 kilomètres carrés (1 475 milles carrés) d’aires protégées cousues ensemble dans l’est de Madagascar. Ce bloc de forêt tropicale grouille de vie : Elle abrite au moins 15 espèces de lémuriens, des dizaines d’oiseaux, de reptiles et d’amphibiens, et des milliers d’espèces de plantes, dont 85 % ne se trouvent nulle part ailleurs sur Terre. Elle est aussi entourée des communautés qui en dépendent pour la nourriture, l’eau et matériaux de construction et dont 9 sur 10 pratiquent l’agriculture sur brûlis.
L’ONG Conservation International (CI) travaille avec le gouvernement et les partenaires locaux depuis le début des années 2000 pour protéger CAZ. Au cours de cette période, CI a également dirigé un projet pilote de développement, avec l’appui de la Banque mondiale, qui visait à donner aux membres des communautés forestières les compétences et le capital nécessaires pour assurer différents moyens de subsistance, tels que l’apiculture, l’élevage du bétail et la riziculture irriguée.
La communauté de la conservation considère souvent ces projets de subsistance, de concert avec la protection des biomes menacés comme le CAZ, comme des projets gagnant-gagnant : Les forêts sur pied, ainsi que le carbone, la biodiversité et les autres services écosystémiques qu’elles soutiennent, restent debout. Pendant ce temps, les populations locales peuvent subvenir aux besoins de leurs familles sans avoir à abattre les forêts.
« Nous en sommes tous ravis, » dit Jones.
Ces projets s’inscrivent dans le cadre de la stratégie mondiale REDD+, abréviation de réduction des émissions résultant du déboisement et de la dégradation des forêts. Le plan prévoit la vente de crédits basés sur le carbone qui reste protégé dans les forêts, au lieu d’être émis à la suite de la déforestation, et ces bénéfices sont ensuite destinés à être injectés dans les communautés affectées. .Il s’agit d’une approche qui a recueilli d’énormes soutiens sur le plan international au point où l’Accord de Paris sur le Climat de 2015 a établi son rôle indéniable dans la lutte contre le changement climatique.
Mais, comme dit M. Jones, il est important de se demander si les avantages pour les collectivités locales compensent réellement les difficultés causées par un projet de conservation, comme la création d’un parc comme CAZ. C’est la question à laquelle elle et ses collègues voulaient répondre dans le cadre d’une étude approfondie de deux ans sur le projet REDD+ pour les communautés affectées.
Ils ont passé une partie considérable de ce temps dans les communautés autour de CAZ pour comprendre qui a été sélectionné pour une compensation dans le cadre du projet pilote REDD+ et la valeur de la récompense qu’ils ont reçue. Lors de ce processus, les chercheurs se sont entretenus avec plus de 450 ménages pour comprendre ce que la création de l’aire protégée signifiait pour ces familles. Ils ont constaté que les avantages du projet étaient souvent inférieurs à ce dont les gens avaient besoin pour effectuer un changement aussi perturbateur dans leur mode de vie et dans la façon dont ils subvenaient aux besoins de leurs familles. En plus, moins de la moitié des personnes touchées par la création du parc en ont bénéficié.
Les résultats de l’étude ont été publiés dans le journal PeerJ du 05 juillet.
« Nous devons vraiment réfléchir à la manière dont nous indemniserions les gens, sinon ces personnes paieront le prix des projets de conservation « , a déclaré Rina Mandimbiniaina, géographe à l’Université d’Antananarivo à Madagascar et coauteure de l’étude, dans une interview. « Ici à Madagascar,les pauvres, surtout ceux vivants le long de la forêt, n’ont pas vraiment d’alternative pour les revenus de leur ménage. »
Dans cette étude, les chercheurs se sont penchés sur les coûts d’opportunité de ce projet de conservation, c’est-à-dire ce que les familles renonçaient en acceptant de ne plus utiliser la forêt.
« Nous devons reconnaître que la conservation affecte l’accès des populations aux ressources naturelles en leur refusant la possibilité d’utiliser certaines zones (comme les zones protégées) « , a déclaré Sarobidy Rakotonarivo, économiste de l’environnement à l’Université de Stirling en Ecosse et coauteur de l’étude, dans un courriel à Mongabay.
L’équipe a calculé la valeur médiane des coûts d’opportunité pour les ménages et elle s’élevait à 2 375 $ au cours des 60 années suivantes, mais ce chiffre variait considérablement en fonction, par exemple, de la distance qui sépare un ménage de la limite de CAZ. Le coût annuel, variant de 40 $ à 125 $ dans les ménages à revenu médian, représentait entre 27 et 84 % 100 du revenu annuel des ménages. En général, la proportion était très élevée pour les familles pauvres.
Le projet REDD+ a fini par fournir entre 100 et 170 dollars d’aide à chaque ménage. Cependant, lorsque les chercheurs ont demandé combien valait cette aide, les bénéficiaires l’ont évaluée à environ 80 $. De plus, c’était un investissement ponctuel. En d’autres termes, alors que les familles devaient continuer à trouver des moyens pour subvenir à leurs besoins sans la forêt année après année, ce soutien n’est arrivé qu’une seule fois, Selon M. Rakotonarivo, il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que ce montant d’indemnisation soit suffisant.
« Les impacts des restrictions de conservation qui affectent plusieurs générations ne peuvent pas être compensés par un seul projet de développement ponctuel », a-t-elle dit.
L’équipe a également constaté que le projet n’allait pas assez loin. Des 2 500 ménages qui ont été identifiés comme ayant été affectés négativement par la création de CAZ par, une étude de la Banque mondiale en 2012, plus de 40% n’avaient reçu aucune compensation à la fin de 2015, et plus de la moitié des familles qui ont été affectées négativement ont été identifiées pour ne pas en recevoir du tout. Selon les résultats d’une étude réalisée en 2016 par Jones et ses collègues examinant le même projet, les ménages non identifiés étaient souvent plus pauvres, avaient moins de pouvoir politique et vivaient dans des régions plus éloignées.
« Il semble que l’aire protégée n’était réservée qu’aux personnes qui la gèrent », a déclaré Alexandra Rasoamanana, coauteure et ingénieur agronome de l’Université d’Antananarivo. « Ce n’est pas intégré dans toutes les décisions de la région. »
Un représentant de la Banque mondiale a déclaré qu’elle avait revu son processus pour le rendre plus inclusif.
« Depuis la clôture des projets de Madagascar couverts dans le document, la Banque a soutenu le gouvernement dans la mise en place » d’une approche paysagère de la conservation, a déclaré le porte-parole dans une déclaration écrite à Mongabay. « Grâce à ces efforts, la conservation est considérée comme faisant partie d’interventions de développement plus larges visant à accroître la productivité de l’agriculture et de l’ agroforesterie, et donc les moyens de subsistance, grâce à la planification des zones, à des investissements ciblés et à une meilleure gouvernance locale ».
Selon les chercheurs, l’un des problèmes cruciaux que pose l’indemnisation des projets de conservation à Madagascar est que les revendications de propriété foncière sont complexes et souvent mal définies. Le fait de ne pas savoir clairement le responsable d’une parcelle de terre précise complique un peu l’opération d’estimation des coûts de la perte de l’accès à cette parcelle, a déclaré le coauteur Rakotonarivo. De même, les agriculteurs hésitent souvent à admettre qu’ils sont touchés par les projets de conservation lorsque l’agriculture sur brûlis est illégale dans certaines régions, comme c’est le cas dans CAZ.
« La réforme du régime foncier peut faire une grande différence sur la capacité des populations locales à négocier des compensations adéquates », a dit M. Rakotonarivo.
Et il n’y a guère de raisons de douter que des problèmes similaires en matière d’indemnisation se posent dans d’autres parties du monde, souvent pour les mêmes raisons, pensent les chercheurs.
« Cela se produirait dans de nombreux pays d’Afrique, parce que nous avons cette complexité du régime foncier et de la conservation des forêts, et aussi parce que nous avons affaire à des fonds [limités] pour soutenir les activités de conservation », a dit Rina Mandimbiniaina.
Tokihenintsoa Andrianjohaninarivo est un chercheur de Conservation International à Madagascar qui a participé au projet CAZ REDD+, maispas dans la recherche PeerJ. Dans un courriel, elle a dit que cette recherche serait « utile » pour concevoir des projets similaires à l’avenir.
Mais elle a ajouté : « Nous dirions que l’indemnisation n’a pas entièrement fonctionné’, au lieu dire qu’elle n’a pas fonctionné du tout’.”
Néanmoins, Andrianjohaninarivo a dit qu’elle et ses collègues étaient d’accord pour dire qu’un paiement unique aux ménages ne pourrait pas compenser les coûts à long terme qu’ils supportent. Connaissant les coûts réels d’un tel projet, la société doit déterminer combien elle est prête à payer, a-t-elle dit, ce qui soulève des questions importantes pour la recherche future.
« Sommes-nous prêts à faire un paiement éternel à ces personnes affectées ? » demanda-t-elle. « Devrait-il s’agir d’un investissement ponctuel ou d’un fonds renouvelable ? »
Jones et ses collègues ont calculé que le carbone emprisonné dans les arbres de CAZ pendant 10 ans pourrait valoir 110 millions de dollars. D’après un document de la Banque mondiale, à elle seule, Microsoft a acheté 400 000 $ en crédits de carbone en 2014. Mais le montant total dépensé pour les ménages affectés par ce projet REDD+ s’élevait entre 250 000 $ et 425 000 $.
De l’avis de Jones, la disparité mène à une conclusion simple : « En tant que société, nous ne payons pas assez. »
Elle a dit que trouver des moyens d’enrayer la déforestation pouvait être d’une complexité trompeuse, souvent parce que les impacts sur les vies des personnes les plus touchées n’étaient pas suffisamment pris en compte.
« La réduction de la déforestation sous les tropiques doit faire partie de notre stratégie mondiale de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre », a déclaré M. Jones.
« Je pense que la société a tendance à penser que c’est une façon très bon marché de faire les choses », a-t-elle ajouté. « C’est parce que les gens qui supportent les coûts sont pauvres et marginalisés plutôt que d’avoir à voler un peu moins. »
Image bannière d’un indri à Madagascar par Rhett A. Butler/Mongabay.
John Cannon est un rédacteur de Mongabay basé au Moyen-Orient. Trouvez-le sur Twitter : @johnccannon
Citations
Poudyal, M., Jones, J. P., Rakotonarivo, O. S., Hockley, N., Gibbons, J. M., Mandimbiniaina, R., … & Ramamonjisoa, B. S. (2018). Who bears the cost of forest conservation? PeerJ, 6, e5106.
Poudyal, M., Ramamonjisoa, B. S., Hockley, N., Rakotonarivo, O. S., Gibbons, J. M., Mandimbiniaina, R., … & Jones, J. P. (2016). Can REDD+ social safeguards reach the ‘right’ people? Lessons from Madagascar. Global Environmental Change, 37, 31-42.
World Bank. 2016. Madagascar – Third Environmental Program Support Project (English). Washington, DC: World Bank Group.
World Bank. 2012. Plan de gestion environnementale et de sauvegarde sociale de la reserve de ressources naturelles Ankeniheny Zahamena. Washington, DC: World Bank Group.