- La présence inhabituelle de bœufs, à la recherche de pâturage et d’eau dans certains villages du département du Mbam et Inoubou, région du centre du Cameroun, perturbe l’activité agricole.
- Les produits comme le maïs, parce que très appréciées par les cheptels, et importantes dans l’alimentation et l’autonomie financière des populations, sont de moins en moins cultivées.
- Les autorités administratives et traditionnelles prédisent une menace pour le maintien de la paix et de la sécurité alimentaire, à cause de la multiplication des conflits entre agriculteurs et éleveurs.
- Toutefois, elles reconnaissent que si l’activité de transhumance est bien organisée, elle peut, non seulement générer des ressources financières aux collectivités locales, mais aussi aider au développement de l’agriculture biologique.
Depuis 2013, en raison des changements climatiques caractérisés par le prolongement d’une saison sèche un peu plus rude, la ressource en eau et le pâturage se font rares dans les régions septentrionales (Adamaoua, Nord et Extrême-nord) du Cameroun. En plus, la montée de l’insécurité, dans ces milieux et dans la région Nord-ouest, sont alors la cause de la migration des éleveurs vers la région du Centre. Zone tampon entre le Septentrion et l’Ouest, cette région est caractérisée par un climat intermédiaire et une végétation (savane) appropriée pour l’alimentation des bœufs.
Seulement, la cohabitation n’est pas un long fleuve tranquille ; des femmes et des jeunes, particulièrement, paient un lourd tribut. « Les bœufs arrivent de plus en plus dans nos villages et perturbent notre activité. Nous sommes des agriculteurs. Ces animaux détruisent tout à leur passage. Ce que nous ne comprenons pas, c’est le silence de nos autorités qui fait que certains d’entre nous les soupçonnent d’être aussi propriétaires de troupeaux. Se plaindre, même entre nous, présente des risques, puisqu’il y a parmi nous des indics qui font des rapports aux propriétaires », dit Marie Angoum, habitante de Bokaga, à trois kilomètres de l’arrondissement de Bokito, dans le Centre Cameroun.
Veuve depuis huit ans, elle a décidé de ne plus faire des champs dans la savane de ce village, de peur de travailler pour le bétail. « Je fais de petits champs à Tobagne, un village situé à sept kilomètres du mien. Là-bas, les troupeaux n’arrivent pas beaucoup. Je me dis que c’est parce que les fils de ce village sont moins tolérants que ceux de Bokaga, Balamba ou de Yangben », confie Angoum.
Rencontré le 27 avril dernier dans son palais, le chef de ce village craint une famine pour sa population. « La présence des bœufs sur nos terres est un véritable serpent de mer. Dans ce village, Bokaga, les bœufs appartiennent aux fils d’ici. Ils sont deux pour le moment. L’un d’eux essaie de faire des efforts pour contenir son troupeau. Contrairement à l’autre qui a le plus grand nombre de bêtes (300) ; deux femmes de mon village se sont rapprochées de lui après que ses bêtes ont détruit leurs champs, mais les deux infortunées ont été convoquées à la brigade par son entourage, elles ont été sommées de demander pardon pour leur geste et de jurer qu’elles ne vont plus recommencer, alors que ce sont elles qui ont perdu leurs cultures ».

Boyomo Ambassa redoute déjà une montée de l’insécurité alimentaire chez les siens. « Même les produits, qui s’achetaient à vile prix, se vendent très cher et n’existent presque plus sur le marché. Le maïs est très rare. Pourtant, c’est avec cette culture que l’on gère habituellement la période de soudure (entre mars et juillet) ».
Avec ses confrères de l’Association des chefs de l’arrondissement de Bokito, ils ont rencontré le maire de la localité pour une solution à cette question. « Il nous a dit qu’il est en train d’organiser l’activité », a dit Boyomo. Mongabay a voulu en savoir plus, mais le maire n’a pas souhaité s’exprimer.
Tension alimentaire et sociale
Tout le département du Mbam et Inoubou vit douloureusement la présence des bovins sur son territoire. « Il y a un problème sérieux dans le Mbam et Inoubou et l’arrondissement de Bokito, où les bœufs peuplent les savanes. Or, les populations pratiquent essentiellement l’agriculture dans notre unité administrative. L’élevage des bovins se fait encore de manière anarchique, l’activité a été lancée sans que des zones pour le faire soient circonscrites. Ce phénomène fait qu’on se retrouve avec des champs entiers détruits et des agriculteurs m’informent qu’ils ne peuvent plus produire du manioc, du maïs, etc. », a indiqué le Sous-préfet de l’arrondissement de Bokito dans un entretien avec Mongabay, dans son bureau.
Anicet Valéry Ngodebo Seme, en fonction depuis une année à Bokito, s’inquiète d’une possible dégénérescence du climat de paix et de cohabitation. « Au-delà de l’insécurité alimentaire, c’est une cause potentielle de conflit. Et si un conflit survient, il va s’étendre pour devenir ethnique, non plus entre un éleveur et un agriculteur. Nous avons frôlé cette situation, il y a deux semaines au village Balamba ; nous avons dû expulser un berger qui s’est révélé indélicat. Il refusait d’adhérer à toute tentative de solution pacifique ».
« L’autre problème est le risque de propagation des zoonoses et d’autres maladies, parce que les bœufs libèrent souvent des insectes, qui peuvent transmettre des maladies aux populations », a précisé Ngodebo Seme.
Serge Balonga, fils du canton Yangben, se souvient des relations compliquées entre les populations et les bergers. « Après les agressions sur l’axe reliant Yangben, il y a aujourd’hui, en dehors de la destruction des cultures par les bêtes, des bergers qui nous dérobent des ananas, du plantain, etc. Ils ne travaillent pas dans les champs. Cependant, comme ils doivent manger, ils sont obligés de voler. Nous plantons de moins en moins les ananas, alors qu’ils nous aident bien dans notre alimentation quotidienne et dans la recherche de l’argent pour nos besoins. Cela nous déstabilise », dit Balonga.

Le 23 avril 2025, un jeune berger âgé à peine de 15 ans, derrière un troupeau de plus de cinquante bœufs, traverse la savane de Mfaya, dans le canton Yangben. C’est après avoir constaté une présence humaine dans les champs qu’il redirige ses bêtes en dehors de l’espace cultivé. Furieux et agressif, il n’accepte pas de répondre aux questions de l’équipe de Mongabay qui a réussi néanmoins et discrètement, à obtenir des images du cheptel qu’il conduit. « Allez poser vos questions à mon patron à Yaoundé. Il s’appelle Aboubakar, je ne vous en dirai pas plus », dit le berger, dont l’identité, malgré l’insistance, n’a pas été déclinée.
Opportunité pour le développement
« Or, confie le Sous-préfet de Bokito, à Babémi, dans la région du Nord, mon confrère m’a dit que l’activité est bien organisée ; il y a une zone pour les bovins, et la municipalité a construit des fourrières. Si un bœuf sort de la zone d’élevage, il est mis en fourrière et son détenteur devra verser une somme de 5000 francs CFA (8,62 USD) par jour. En créant des zones pour l’élevage, l’on peut aussi produire de l’aliment pour nourrir ses bêtes ; cela doit favoriser l’agriculture intégrée ».
« Malgré l’accentuation des conflits agropastoraux qui tend à envahir tous les villages de la région du Centre, la cohabitation entre les petits agriculteurs sédentaires et les éleveurs de bovins transhumants peut constituer une opportunité pour le développement de ces villages », a indiqué Aristide Tchounkeu Nyamsi, ingénieur agronome, assistant technique au Service d’appui aux initiatives locales de développement (SAILD), à Yaoundé.
Selon lui, une relation entre ces deux acteurs permet aux agriculteurs de bénéficier de la fumure organique produite par les bovins pendant leurs pâtures, ce qui améliore la fertilité du sol, diminue les charges liées à l’achat des engrais et améliore de ce fait la productivité.
En revanche, d’après ses explications, les résidus des cultures post-récolte constituent une excellente source de nutriments pour la croissance des bovins, ce qui limite les longs déplacements à la recherche de pâturage. « Le législateur a organisé le secteur et l’a encadré par un ensemble de lois comme celle du 03 Septembre 1978 sur la gestion des conflits agropastoraux. Celle porte composition, attribution et modalités de fonctionnement de la commission consultative prévue à l’article 12 du décret du 27 avril 1976 fixant modalités qui avait bien défini les membres de la commission consultative pour les conflits agropastoraux. Cependant, ladite commission ne fonctionne pas faute de moyens financiers. En outre, la loi de 1976 qui traite de la gestion du domaine national parce que les acteurs, à savoir l’agriculteur qui a détruit la forêt, l’éleveur qui a découvert la parcelle, le chef du village et le maire n’arrivent pas à répondre à la question à qui appartient le pâturage ? », explique Tchounkeu.

Entre dialogue et vengeance
« Comme solution à notre niveau, en attendant de rattraper ce qui aurait dû être fait avant, nous avons mis sur pied un système de règlement des conflits à l’amiable. Il s’agit d’un constat des dégâts dans le champ du plaignant, de l’identification du responsable du troupeau, ensuite, l’agriculteur fait l’estimation de ce qu’il a perdu et nous demandons au propriétaire des bêtes de payer », a indiqué Ngodebo.
« Nous avons allégé la procédure qui était un peu compliqué, car après la descente de la commission composée des différents responsables sectoriels, notamment l’agriculture, l’élevage, les domaines et les affaires foncières, les membres demandaient parfois à l’éleveur de payer un million de francs CFA, (soit 2000 USD), ce qui n’était pas réaliste. A présent, il y a des indemnisations de 200 000 francs CFA (400 USD), ce qui est raisonnable. Mais, je pense qu’il faut trouver des solutions durables en créant des zones d’élevage modernes. Je reconnais que l’élevage des bovins peut être bénéfique pour l’arrondissement de Bokito s’il est bien organisé », a dit le Sous-préfet, qui conseille les populations d’éviter de se faire justice.
Dans les villages, les populations, souvent écœurées, se défendent de diverses manières. « Il y a des gens qui pulvérisent leurs champs avec des décoctions d’herbes. Une fois que le bœuf broute la première plante, il est assommé et s’endort. Cela réduit considérablement la surface que le troupeau aurait détruite s’il n’avait pas été assommé », dit Marie Angoum.
Les plus violents se font justice. « Il y a des gens qui tuent les bêtes lorsqu’elles dévastent leurs champs. Ceux-ci s’énervent, parce que même s’ils barricadent leurs plantations, les bergers viennent de nuit ouvrir l’espace à leurs bœufs pour qu’ils broutent les cultures. Il leur arrive même de mettre le feu à côté des champs toutes les cultures s’embrasent alors et on perd le fruit de tant d’efforts », a dit Franck Amayen, un habitant de Yangben.
« Dans un premier temps, les éleveurs coopéraient. Lorsqu’une personne se plaignait de la destruction de son champ et que ladite destruction était prouvée, ils lui versaient une petite compensation et ils construisaient une clôture en fil barbelé. Mais ils se sont rendu compte que des gens mal intentionnés coupaient ces fils de nuit pour fabriquer des pièges », dit Marie Angoum.
« Il faut une approche nuancée et collaborative. En travaillant ensemble, les agriculteurs et les éleveurs doivent s’entendre et construire ensemble les couloirs de transhumance, les pâturages des bovins, ainsi que les points d’eaux où ils doivent s’abreuver. En plus de cela, ils doivent s’entendre sur l’exploitation des résidus agricoles et faciliter ainsi la fertilisation », a dit Tchounkeu Nyamsi.
Image de bannière : Un troupeau de zébus en transhumance à la recherche des herbes sèches. Image de Monicacommavia Wikimédia Commons (CC BY-SA 4.0).
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