- Des méthodes avérées de restauration existent, mais elles demandent beaucoup de travail et elles coûtent cher.
- D’après les experts, si la technologie peut faciliter la restauration, elle sera probablement utilisée sur une échelle assez importante pour faire la différence. Mais il y a encore beaucoup à faire.
- Les chercheurs affirment que les drones peuvent aider à atteindre les objectifs de reforestation définis par l’ONU permettant de fournir un habitat et des ressources pour les individus, ainsi que de stocker le carbone. Par exemple, en 2014, la Déclaration de New York sur les forêts a engagé les dirigeants du monde à restaurer 350 millions d’hectares de terres déboisées et dégradées d’ici à 2030.
Au début de la saison des pluies, des milliers de personnes se fraient un chemin à travers les paysages tropicaux, des paniers pleins de jeunes arbres sur le dos. Ces hommes et ces femmes portent le lourd fardeau de la restauration des forêts.
« Nous mettons toujours des paniers de 20 à 30 kilogrammes de jeunes arbres sur le dos des villageois et leur demandons de marcher, parfois plusieurs kilomètres, sur des sentiers en pente raide dans la chaleur tropicale écrasante afin de creuser des trous avec des outils de l’âge de fer pour planter les arbres. Je pense que dans 50 ans, on considèrera cette période comme la préhistoire de la restauration des forêts », a déclaré Stephen Elliott dans un e-mail à Mongabay. Elliott est cofondateur et directeur de recherche de l’Unité de recherche sur la restauration des forêts de l’Université Chiang Mai (FORRU-CMU) en Thaïlande du Nord.
La restauration des forêts ne bénéficie pas encore des avancées technologiques qui sont aujourd’hui communes dans les industries relatives aux ressources naturelles, notamment dans la plantation forestière, l’agriculture et l’horticulture. Malgré le rôle critique que la restauration joue dans la provision de services écologiques et d’une grande variété de produits forestiers pour les communautés locales — sans parler des réserves de carbone qui aident à réduire les changements climatiques —, l’activité dépend encore largement du travail manuel éreintant avec des outils rudimentaires, notamment, des pelles, des machettes et des houes.
Mais une révolution se prépare. Les chercheurs du monde entier commencent à se tourner vers la création d’une restauration automatisée, ou AFR.
« La restauration des forêts doit sortir de l’âge de pierre et entrer dans l’âge des drones, parce qu’avec un peu de prévision et d’innovation technologique, les drones pourraient réaliser de nombreuses tâches routinières de restauration, sans le dur labeur et le risque qui l’accompagne pour la santé et la sécurité des individus disponibles pour la restauration, » ajoute Elliott.
Mais que doit-il se passer avant que nous voyions des drones planter et prendre soin des arbres de la forêt tropicale ? Pour tenter de répondre à cette question, en octobre dernier, la FORRU-CMU a organisé un atelier, le premier dans ce domaine. Soixante experts du monde entier se sont réunis à Chiang Mai pour réfléchir à un programme de recherche afin que le rêve de l’AFR devienne une réalité.
Les experts affirment que cette révolution sera nécessaire pour atteindre les objectifs de reboisement désormais fixés par l’ONU. En 2014, la Déclaration de New York sur les forêts a engagé les dirigeants mondiaux à restaurer 350 millions d’hectares de terres déboisées et dégradées d’ici à 2030 — cette surface est équivalente à la superficie de l’Inde. La majorité de ces 350 millions d’hectares seront sûrement des terres recluses, sauvages et trop peu fertiles pour l’agriculture. Des endroits difficiles d’accès pour les hommes, mais facilement accessible pour les drones.
Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), quelque 129 millions d’hectares de forêt — une zone équivalente à la taille de l’Afrique du Sud — ont disparu depuis 1990. Non seulement les hommes détruisent les forêts vierges, mais ils détruisent également les mécanismes de régénération. En conséquence de la déforestation, de la culture sur brûlis et du développement des infrastructures qui détériorent les sols et les processus hydrologiques, la nature n’est pas aussi efficace pour restaurer les écosystèmes des forêts qu’elle l’était auparavant.
De surcroît, la chasse aux animaux qui dispersent les graines limite la recolonisation des sites dégradés avec des arbres indigènes. Une gouvernance limitée, des populations humaines croissantes, des titres de propriété vagues et la pauvreté rendent les choses plus difficiles, comme le soulignent Eliott et ses collègues dans leur livre Restoring Tropical Forests : A Practical Guide.
Par conséquent, même si les chercheurs ont mis au point des méthodes prouvées de restauration des forêts, les obstacles à leur utilisation restent très présents. Si la technologie peut faciliter la restauration, il est plus probable que ce soit pratiqué sur une échelle suffisamment importante pour faire la différence, affirment les experts.
« Ce n’est pas facile de convaincre les gens de réaliser un travail très physique, de porter des arbres et de l’engrais sur des lieux éloignés, peu importe le salaire. Même lorsque les ouvriers acceptent, c’est une activité difficile et qui prend du temps. Notre solution à ce problème… est de commencer à automatiser ces tâches », continue Elliott qui travaille dans ce domaine depuis les années 1980.
Les chercheurs pourraient utiliser des drones pour restaurer d’autres forêts, mais la méthode serait plus utile aux forêts tropicales qui absorbent le carbone bien plus rapidement que les autres types de forêts et supportent une biodiversité beaucoup plus importante, commente Elliott.
« C’est très utile pour les régions éloignées non accessibles par les véhicules au sol — l’accès est généralement meilleur dans les pays développés tempérés. Donc la restauration automatique sera moins applicable à ces pays », ajoute-t-il.
Les besoins technologiques pour l’âge des drones
L’automatisation de la restauration n’est pas une nouvelle idée. L’ensemencement aérien pour reboiser les forêts se pratique au moins depuis 1926 ; un avion avait été utilisé pour la première fois pour restaurer une forêt tropicale incendiée à Hawaï.
« Récemment, c’est devenu une procédure standard pour la restauration de forêts après des incendies aux États-Unis, » a affirmé Simone Pedrini à Mongabay, étudiant en doctorat à l’université de Curtin à Perth en Australie, qui a participé à l’atelier de Chiang Mai.
« L’ensemencement aérien peut être très efficace, mais envoyer des hélicoptères ou des avions au-dessus de zones reculées peut s’avérer très coûteux et dangereux ».
Les drones pourraient réduire les coûts, mais les graines peuvent toujours tomber au mauvais endroit ou sur de la végétation existante et ne pas germer. Même quand elles arrivent au sol, de nombreuses variables peuvent empêcher la levée des semis, tels que la composition du sol, la prédation et la concurrence des mauvaises herbes », ajoute-t-il.
Malgré tout, il est certain que les drones ont un grand potentiel pour la restauration des forêts et recherche actuellement des technologies pour encourager la germination des graines et la mise en place de projets de restauration à grande échelle. Ces technologies comprennent des traitements tels que la préparation — l’hydratation contrôlée pour lancer l’activité métabolique de prégermination des graines —, et l’application de substances qui protègent les graines des maladies et des prédateurs.
« La restauration forestière à l’aide de drones est possible. Ce n’est peut-être pas pratique avec les limitations actuelles en matière de technologie et de connaissance, mais c’est pour cela que nous avons besoin de recherche : pour améliorer son efficacité jusqu’à ce que ce soit une procédure standard de restauration », affirme Pedrini.
Selon les scientifiques, il faudra encore améliorer les capacités de détection des drones avant de commencer toute restauration.
« L’un des sujets très discutés lors de l’atelier concerne les possibilités que présente l’identification des plantes par la télédétection », explique Ryan Chisholm, un écologiste théorique à l’université Nationale de Singapour, pour Mongabay.
Ceci aurait son importance si les drones étaient utilisés pour contrôler les mauvaises herbes qui rivalisent avec les jeunes arbres plantés avec des semences déposées par des drones.
La recherche est axée sur l’utilisation de drones pour contrôler les mauvaises herbes à l’aide de deux stratégies, énonce Elliott. Ils peuvent adopter des stratégies de « pulvérisation intelligente », grâce à des systèmes de reconnaissance visuelle de plantes pour garantir que ce sont bien les mauvaises herbes qui sont pulvérisées, et non les arbres. Et ils peuvent utiliser des herbicides biologiques émergents ou des plantes qui libèrent des produits chimiques pour restreindre les espèces d’herbes. Cependant, à ce niveau, les chercheurs ont encore des difficultés avec l’identification des plantes par télédétection.
« Je pense que ce sera facile lorsque les herbes auront des phénotypes évidents, par exemple, si leurs fleurs sont très colorées, ou quelque chose qui permet la création d’un simple logiciel pour les identifier. Mais dans certains cas, les herbes sont très similaires à la végétation native, alors ça peut représenter des difficultés », continue Chisholm. Il est convaincu que ces technologies vont s’améliorer petit à petit. « Pour l’instant, c’est très rudimentaire, conclut-il, mais beaucoup de gens s’efforcent de trouver des moyens de l’améliorer. »
Le suivi de la réussite des projets de reforestation pourrait également être automatisé. Ceci permettrait aux personnes reboisant les forêts d’apprendre de leurs erreurs et d’améliorer leurs techniques. Elles commencent déjà à compter sur des outils de télédétection pour établir la structure des forêts. Mais tandis que les signaux GPS sont disponibles dans les levés au-dessus du couvert végétal ou dans les forêts dégagées, ils peuvent être absents sous la canopée dans les régions boisées denses. Chisholm a indiqué qu’en observant la canopée du ciel, les forestiers peuvent voir les plantes qui fleurissent et la hauteur des arbres, tandis que sous la canopée, ils peuvent voir le diamètre et la structure des troncs. Les chercheurs ont besoin de données des deux points de vue pour comprendre la structure de la forêt, confirme-t-il.
À l’heure actuelle, beaucoup de données sur ce qui pousse sous la canopée proviennent des études des parcelles de forêts à pied. Mais ces levés coûtent cher : un levé pour une parcelle de 50 hectares coûte des centaines de milliers de dollars, explique Chisholm. C’est pour cette raison que lui et ses collègues ont testé un drone équipé d’une batterie et d’une télédétection par laser (LIDAR) pour repérer les arbres et mesurer la distance jusqu’à eux à l’aide d’un laser.
Ils ont télécommandé le drone au-dessus d’une parcelle d’arbres de 20 mètres sur 20 mètres, ils ont créé un logiciel pour estimer le diamètre à hauteur de poitrine de 12 arbres que la LIDAR a détectés, puis ont vérifié les estimations en personne. Toutefois, le drone particulier qu’ils ont utilisé ne peut voler que huit minutes, ce qui est une limitation cruciale.
« Le progrès se fera petit à petit, continue Chisholm. Nous n’en sommes qu’au début et les humains font toujours le plus gros du travail [de reboisement]. Mais progressivement, à mesure que les drones s’améliorent, nous leur transfèrerons plus de travail. »
C’est possible qu’il faille encore à peu près cinq ans avant que les drones ne remplacent les humains sur le terrain, ajoutant : « Il faudra encore du temps avant que les drones reprennent l’activité, et il y aura toujours quelque chose à faire pour les gens, comme les drones ne pourront pas tout faire. »
Le futur de la technologie des drones
Pendant ce temps, la start-up BioCarbon Engineering basée au Royaume-Uni encourage la reforestation automatisée à grande échelle. L’équipe de BioCarbon est en cours de fabrication de drones automatisés qui selon elle pourra livrer avec précision des semences d’arbres dans des zones détériorées 10 fois plus rapidement que la plantation traditionnelle et pour 15 pour cent du prix. Leur but est de planter un milliard d’arbres par an.
En septembre dernier, Susan Graham, ingénieure chez BioCarbon Engineering, a présenté le système de l’entreprise au Solutions Summit, une conférence sur les moyens permettant d’atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies au siège new-yorkais de l’ONU.
« Tout d’abord, nous survolons le terrain et capturons des images détaillées qui nous indiquent les nutriments, la biodiversité et la topologie. Nous transformons ensuite ces données en algorithme d’apprentissage automatique afin de générer un modèle précis de plantation, explique-t-elle.
Nous téléchargeons ensuite ce modèle de plantation dans un UAV de plantation quadrirotor [véhicule aérien non habité ou drone], qui vole à deux ou trois mètres au-dessus du sol et projette des capsules de semences biodégradables à 80 mètres par seconde, à chaque position prédéterminée. La capsule pénètre le sol, elle est activée par l’humidité et contient tous les nutriments. »
Un représentant de BioCarbon Engineering a refusé de commenter la progression de l’entreprise pour cet article. Toutefois, en juillet dernier, elle a gagné l’équivalent en livres sterling de 13 000 dollars du Skoll Centre for Social Entrepreneurship, les fondateurs de l’entreprise ont confirmé que le prix allait leur permettre de « construire et valider la technologie particulière et mènera à des tests complets sur le terrain de la technologie de plantation dans les 6 à 12 mois à venir. » Donc, nous aurons peut-être bientôt des nouvelles.
Pour sa part, Elliott pense déjà au futur de ce qu’il appelle un « écosystème électronique parallèle ».
« Dans un écosystème, les arbres absorbent la lumière et l’énergie fixe dans l’écosystème qui est alors disponible pour les herbivores et les prédateurs à travers la chaîne alimentaire, ajoute-t-il. Avec AFR, les panneaux solaires absorbent l’énergie de la lumière alimentant les drones qui récoltent les graines pour les arbres de la forêt, exactement comme les oiseaux qui mangent les fruits. Puis, vous avez les drones qui déposent ces graines dans les régions déboisées et tuent les mauvaises herbes. Ainsi, les humains utilisent la technologie pour remplacer des mécanismes naturels de régénération de la forêt qu’ils ont eux-mêmes détruits. »
L’idée d’un ciel sillonné de dizaines de drones récoltant des graines, plantant des arbres et contrôlant les mauvaises herbes peut faire peur à certains. Mais un monde sans forêts tropicales pourrait s’avérer bien plus effrayant.
Citations
- Global Forests Resources Assessment 2015. Food and Agriculture Organization of the United Nations: Rome, Italy.