- Le vautour africain (Gyps africanus), le vautour de Rüppell (G. rueppellii) et le vautour charognard (Necrosyrtes monachus) sont répertoriés comme espèces menacées sur la liste rouge de l’UICN.
- Le vautour oricou (Torgos tracheliotos) et le vautour à tête blanche (Trigonoceps occipitalis) sont répertoriés comme espèces vulnérables.
- Les chercheurs affirment que désormais, la seule manière de protéger les vautours consiste à limiter drastiquement les quantités de biocides disponibles et l’acceptabilité de leur utilisation contre la faune sauvage.
Dans l’imaginaire collectif, l’Afrique reste le dernier bastion de la faune et la flore sauvages sur notre planète à bout de souffle, le refuge ultime de l’extraordinaire mégafaune du Pléistocène en grande partie exterminée dans le reste du monde par nos aïeux, le sanctuaire suprême des lions, léopards, éléphants et rhinocéros qui hantent nos souvenirs ancestraux.
Aujourd’hui, l’Afrique fait face à une guerre quasiment totale sur le destin de son héritage naturel contre un nouveau type de braconniers, militarisés et cruels, dotés d’armes perfectionnées, d’hélicoptères et de vision nocturne, mais aussi liés à des terroristes et à des trafiquants de personnes. Les dures images d’éléphants massacrés cachent toutefois un mal méconnu : des milliers de vautours et d’autres charognards sont empoisonnés par des braconniers pour protéger leurs pistes sanglantes.
En juin, un rapport publié dans la revue scientifique Conservation Letters a souligné de manière alarmante la vitesse à laquelle les grands vautours africains disparaissent. Dans « les toutes premières estimations des vitesses de déclin des vautours africains à l’échelle continentale », les auteurs de l’étude, menés par la biologiste Darcy Ogada de The Peregrine Fund, ont découvert que les populations des huit espèces de vautours étudiées ont diminué en moyenne de 62 % au cours des trente dernières années, et sept d’entre elles d’au moins 80 %. Parmi ces dernières, l’étude montre qu’au moins six peuvent prétendre au statut scientifique d’espèce gravement menacée de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
90 % des déclins sont directement imputables à l’action humaine, qu’il s’agisse d’empoisonnement pour le trafic de membres de vautours destinés à être utilisés dans la « médecine » traditionnelle ou de braconniers dispersant délibérément des toxines mortelles sur les carcasses déchiquetées d’éléphants et de rhinocéros afin d’éliminer les tourbillons de charognards ailés, visibles à des kilomètres, dont la présence pourrait guider les autorités jusqu’à la scène du crime.
Avec la disparition de ces grands oiseaux, la nature africaine perd un autre des maillons essentiels de son écosystème et les corps des vautours entourent désormais les cadavres boursouflés de leur dernier repas sous un ciel vide.
Les vautours africains en fort déclin
« L’augmentation rapide du braconnage des éléphants constitue la menace sérieuse la plus récente ayant significativement amplifié les déclins de populations des vautours africains », a déclaré le Dr. Ogada à Mongabay. « Désormais, les braconniers ciblent les vautours et les empoisonnent volontairement sur les carcasses d’éléphants car leurs rondes aériennes trahissent la présence de leurs activités illégales. Cette menace est devenue sérieuse en 2012 ; ces trois dernières années, plus de 2000 vautours ont été empoisonnés volontairement par des braconniers, à notre connaissance, car un certain nombre ne sera jamais ni découvert ni signalé. » En juillet 2013, près de 600 vautours ont été tués après s’être repus d’un seul éléphant braconné dans le parc national de Bwabwata, en Namibie.
À l’heure actuelle, le vautour africain (Gyps africanus), le vautour de Rüppell (G. rueppellii) et le vautour charognard (Necrosyrtes monachus) sont répertoriés sur la liste rouge des espèces menacées de l’UICN, tandis que le vautour oricou (Torgos tracheliotos) et le vautour à tête blanche (Trigonoceps occipitalis) se portent un peu mieux et sont répertoriés comme espèces vulnérables. Au rythme auquel les populations ont diminué au cours des dix dernières années, les chercheurs affirment qu’une nouvelle dégradation de leur statut de conservation semble inévitable.
Ces vingt dernières années, les vautours d’Asie du Sud-Est, apparentés à divers degrés à leurs cousins africains, ont subi des chutes de populations encore plus dramatiques en raison notamment de l’utilisation de diclofénac, un anti-inflammatoire et analgésique servant au traitement du bétail, qui a provoqué des déclins atteignant 99,9 % dans certaines régions. Les malheurs africains, bien qu’extrêmes et allant croissant, se produisent cependant moins rapidement, et Mme Ogada ainsi que son équipe y voient une faible lueur d’espoir, sous réserve d’agir dès maintenant.
Non mais vraiment, qui s’intéresse aux vautours ?
Même le plus virulent des militants anti-ivoire peut être pardonné pour regarder de travers la furie sifflante, tourbillonnante et nu-tête avec laquelle une volée multi-espèces de vautours africains dépèce le gigantesque cadavre d’un éléphant.
Les vautours sont pourtant absolument essentiels au bon fonctionnement de leur écosystème d’origine, notamment dans les régions où la mégafaune est très présente ; le condor de Californie est le seul vestige subsistant de l’excès de mammouths, chameaux et bisons qui vivaient en Amérique au Pléistocène. Ensemble, les vautours africains sont capables de nettoyer la carcasse du plus gros mammifère en quelques heures à peine, réduisant ainsi grandement le risque de propagation de maladies à la faune sauvage et à l’homme.
Les intestins incroyablement acides des vautoursabritent de puissants microorganismes qui attaquent et détruisent les pathogènes ingérés lorsqu’ils se nourrissent de carcasses, les protégeant des toxines mortelles et leur apportant d’importants nutriments qui leur seraient inaccessibles autrement. Une étude remarquable, publiée l’an dernier dans la revue Nature Communications et affirmant fournir « les premiers aperçus de ce qui se trouve à l’intérieur et à l’extérieur des oiseaux », indique que cette adaptation, sorte d’approche protégée contre les matières dangereuses de la digestion, est d’une importance capitale non seulement pour les vautours mais aussi pour les oiseaux en général. Gary Graves, du National Museum of Natural History de la Smithsonian Institution et participant à l’étude, souligne que « le microbiome aviaire constitue un territoire inexploré, mais il n’est pas déraisonnable d’imaginer que la relation entre les oiseaux et leurs microbes a été tout aussi importante dans l’évolution des oiseaux que le développement du vol actif et du chant. » Comprendre l’immunité des vautours face à l’ingestion de poisons pourrait peut-être nous permettre de mieux contrôler nos propres infections bactériennes.
Le spectacle de vautours du Vieux monde en train de se bousculer et de claquer du bec pour accéder à leur repas peut néanmoins se révéler troublant, notamment aux yeux d’Occidentaux bien à l’abri. Il s’agit peut-être d’un héritage : les vautours eurasiens sont étroitement liés aux terrifiants rapaces, aux faucons et aux aigles, tandis que nos espèces plus pacifiques du Nouveau monde (le vautour aura, le vautour urubu, le vautour pape, le grand urubu et même le condor) seraient cousins avec les cigognes… Soit pas exactement ce que l’on pourrait appeler une famille pacifique d’oiseaux (avez-vous déjà regardé droit dans les yeux un Bec-en-sabot du Nil ?), mais elle n’est pas directement liée aux redoutables rapaces de l’ordre des Accipitriformes.
Quels que soient les enjeux esthétiques de leur apparence et de leur comportement, les vautours jouent un rôle essentiel dans le nettoyage de l’environnement des détritus du vivant et leur perte serait irrémédiable.
Une menace invisible et insidieuse
Les fusils d’assaut récoltent une couverture médiatique bien méritée sur les guerres pour la nature africaine ; le poison est leur cousin silencieux et caustique. Les braconniers en utilisent pour masquer les preuves de leurs meurtres d’éléphants et de rhinocéros, faisant disparaître les hordes de vautours tourbillonnants qui pourraient alerter les autorités. Les bergers africains utilisent également du poison, arrosant souvent les carcasses de bétail mort de pesticides abordables et faciles à obtenir comme le carbofuran pour éliminer les lions et léopards de la région qui menacent leurs troupeaux. Tous ces animaux sans lesquels le veld serait jonché de cadavres se retrouvent victimes collatérales de ces toxines : hyènes, chacals, marabouts d’Afrique et vautours, ces peu charmants et mal-aimés cartels de nettoyage dont les rôles de charognards sont essentiels à l’écosystème.
Les chercheurs de l’équipe du Dr. Ogada ont émis des recommandations spécifiques concernant la conservation des vautours, appelant les gouvernements africains à « réguler efficacement l’importation, la fabrication, la vente et l’utilisation des poisons, y compris des produits chimiques agricoles et des produits pharmaceutiques dont nous savons qu’ils sont mortels pour les vautours », mais aussi à adopter « des mesures strictes pour poursuivre en justice les auteurs d’empoisonnements et de commerce illégal de tout ou partie de vautours, ainsi que de leur imposer de dures sanctions ». Étonnamment, les têtes de vautours constituent un précieux trophée et conservent une aura mystique, même au sein de certains des segments les plus urbanisés de la société moderne africaine.
Passons en revue les espèces les plus touchées d’après le rapport de juin 2015, à commencer par le vautour africain. Son surnom de vautour à dos blanc s’explique lorsqu’il déploie ses ailes : vu de dos, une couche cachée de plumes blanches luisantes est alors découverte du croupion à la nuque. Présent en populations de plus en plus restreintes de la Mauritanie à l’Éthiopie et jusqu’en Afrique du Sud, il fait partie des espèces qui apparaissent régulièrement dans les documentaires sur la faune sauvage africaine, côte-à-côte avec ses compagnons dans la bousculade autour d’une carcasse.
Pouvant atteindre jusqu’à 7 kg et 2 m d’envergure, le vautour africain fait figure de poids moyen en Afrique. Il possède un duvet de plumes blanchâtres sur son cou sinueux et sur le haut de sa tête, une poitrine et un ventre beiges parsemés de jolies plumes marron ainsi que l’épais bec noir et l’œil sévère d’un carnivore très combattant. Le Dr Ogada présente le vautour africain comme une « espèce qui ne cohabite pas très bien avec les humains, ce qui constitue certainement un facteur de son déclin puisque les populations humaines continuent de grimper en flèche en Afrique. » Statut UICN : menacé.
Le vautour de Rüppell, autre probablement présent dans la danse frénétique des charognards autour d’une carcasse, serait l’oiseau qui volerait naturellement le plus haut sur Terre, ayant été aperçu plusieurs fois à une altitude incroyable de 37 000 pieds, soit l’altitude moyenne d’un vol commercial transatlantique. Il pèse jusqu’à 9 kg, mesure 2,4 m d’envergure et sa taille avoisine celle du Pygargue à tête blanche. Sa poitrine et son ventre sont couverts de plumes couleur chocolat tachetées de plumes très pâles, comme une peinture murale écaillée, tandis que son cou et sa tête légèrement ébouriffés se terminent par un bec crochu couleur corne. Sociable et généralement observé en train de planer attentivement au-dessus de troupeaux d’ongulés nerveux ou serré parmi ses congénères au sommet d’un acacia, le vautour de Rüppell est un autre vautour commun d’Afrique, même si ses populations diminuent. Statut UICN : menacé.
Le vautour charognard, plus petit, vit lui aussi en Afrique sub-saharienne. Il pèse jusqu’à 2,3 kg et arbore un visage rose squelettique entouré d’une collerette taupe ainsi qu’un lourd plumage couleur boue. Son bec fin indique sa position dans l’ordre du repas : incapable d’arracher la peau ou les tissus conjonctifs durcis par le soleil d’une proie massive, le vautour charognard attend patiemment que ses compagnons plus puissants fassent le gros du travail, puis se précipite parmi les géants chamailleurs pour arracher des morceaux là où il le peut.
Récemment, le vautour charognard est devenu le principal moyen d’élimination des déchets protéiques de nombre de villes et villages africains, s’empiffrant dans les abattoirs et les décharges, réduisant ainsi les concentrations microbiennes et s’appropriant une nourriture qui, à défaut, finirait probablement dans le ventre de chiens errants. En Inde, l’éradication des vautours indigènes a provoqué une explosion des populations de chiens sauvages, ce qui a mené à une forte augmentation du nombre de cas de rage. L’équipe du Dr. Ogada estime que cela a coûté à l’Inde 34 milliards de dollars de dépenses de santé supplémentaires entre 1993 et 2006. Étant donné le déclin régulier des vautours africains, l’Afrique pourrait connaître prochainement une invasion de chiens et une recrudescence de cas de rage. Statut UICN : menacé.
La revue Conservation Letters répertorie deux autres espèces en danger mais qui présentent une condition légèrement plus stable : le vautour oricou et le vautour à tête blanche. Le premier est une bête énorme et capricieuse, le plus grand vautour d’Afrique avec une envergure similaire à celle du condor de Californie, un bec terriblement massif et un poids de 13,5 kg pour les femelles (comme la plupart des vrais rapaces, les vautours africains sont sexuellement dimorphes, c’est-à-dire que les femelles sont parfois nettement plus imposantes que les mâles).
Surmonté d’une tête dépenaillée à l’œil perçant évoquant un avocat furieux de l’époque victorienne, le vautour oricou, tout comme le délicieux marabout d’Afrique, est l’oiseau charognard le plus puissant et peut-être le plus agressif qui soit. Il est souvent l’un des premiers à se jeter dans la mêlée autour d’une carcasse, car hormis l’hyène, il est l’un des seuls à pouvoir percer la peau racornie d’un éléphant. Capable d’engloutir des ligaments et des muscles desséchés que d’autres n’arrivent pas à digérer, l’imposant et austère vautour oricou se laisse souvent submerger par ses congénères de plus petite taille, attendant les restes filandreux. Statut UICN : vulnérable.
Le dernier des oiseaux charognards les plus menacés d’Afrique est le vautour à tête blanche. Pour un ornithologue occidental, il est à la fois le moins distinctement intéressant et pourtant le plus rassurant des vautours africains et il n’est pas sans ressembler à l’urubu à tête rouge vivant en Amérique. Son visage rose vif et ses yeux fiers, son bec rougeâtre monté sur un lore délicatement nuancé de turquoise et même ses cuisses blanches ébouriffées suggèrent un charme voyant peut-être adapté à cette créature solitaire et incomprise.
Vif et d’une grande longévité, se déplaçant près des cimes des arbres au contraire de ses cousins qui préfèrent les vols plus en altitude, le vautour à tête blanche fait généralement partie des premiers présents sur une carcasse, mais il est rapidement écarté par d’autres oiseaux plus grands et plus agressifs. Statut UICN : vulnérable.
Le commerce des membres de vautours « magiques »
L’empoisonnement de masse des vautours africains n’est malheureusement pas l’apanage de bergers protecteurs ni de braconniers paranoïaques. Certaines croyances traditionnelles africaines prêtent à ces animaux des capacités surnaturelles pouvant se transmettre aux humains en possessions de leurs membres.
« Bien sûr qu’il y a ces Africains, notamment les plus âgés, qui respectent les vautours et qui savent encore quel est leur rôle, » affirme le Dr. Ogada. « D’un autre côté, moins reluisant, il existe la commercialisation de remèdes traditionnels incluant les vautours et leurs membres. On pense que les vautours sont capables de “voir“ l’avenir en raison de leur excellente vue. Au cours de la dernière décennie, les vautours ont donc été de plus en plus chassés à des fins de médecine traditionnelle et de fétichisme pour augmenter la réussite d’entreprises commerciales, pour accroître les revenus de parieurs et pour améliorer les résultats scolaires des enfants. »
Cette vénération antique de la vision exceptionnelle des vautours a été cooptée par l’esprit de ville champignon d’une Afrique en urbanisation rapide, le Nigéria étant de loin le pire pays en termes de trafic de vautours et de leurs membres. La demande est si élevée dans les villes nigérianes que les vautours sont importés d’au moins cinq pays voisins avec des conséquences clairement importantes sur les populations de vautours d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest.
Près de 40 % des vautours illégalement utilisés à des fins traditionnelles ont été empoisonnés. Une régulation plus stricte, voire une régulation tout court, des gouvernements africains concernant les pesticides et d’autres poisons, notamment la strychnine et le cyanure, reste indispensable pour inverser l’évolution alarmante des populations de ces charognards volants.
Les vautours africains font désormais partie des oiseaux les plus menacés au monde, avec un cycle biologique ne pouvant pas faire face à des massacres continus. Ces merveilleux oiseaux présentent des générations longues (environ 16 ans) et une fécondité basse, les femelles pondant en général un seul œuf par an, ce qui les rend incapables de remplacer rapidement les individus empoisonnés par braconniers, bergers et trafiquants.
Il existe des organisations qui luttent pour préserver les merveilles ailées d’Afrique, notamment l’African Wildlife Foundation, The Peregrine Fund, VulPro et BirdLife International. Ces groupes financent la recherche et l’éducation tout en exhortant les gouvernements africains à davantage d’action pour réguler l’exploitation anarchique de la nature sauvage, courante sur le continent. Tandis que 38 pays africains interdisent l’utilisation de poisons pour la chasse, la plupart ne disposent pas de réglementations significatives pour restreindre l’utilisation à tort et à travers de poisons ou de pesticides. En parallèle, la police négligente, les amendes insignifiantes et la corruption endémique font sérieusement obstacle aux efforts de conservation, notamment au nord de l’Afrique, où la plupart des empoisonnements ne sont pas signalés.
Les chercheurs affirment que la seule manière restante de protéger les vautours consiste à limiter drastiquement la disponibilité des biocides et l’acceptabilité de leur utilisation dans la nature. Les dirigeants africains, s’ils agissent de manière décisive, ont encore le temps de faciliter le renouvellement des populations de ces défenseurs de premier plan contre les maladies et la décomposition et de préserver ces ombres fugitives qui disparaissent désormais des paysages sauvages africains.