- Dans le Haut-Katanga, province du Sud-est de la République démocratique du Congo, les habitants coupent de jeunes arbres et les utilisent comme étais pour soutenir les dalles des bâtiments à étages en construction.
- Dans le contexte de boom immobilier, que connait la province, cette pratique accentue la déforestation dans une région qui n'a presque plus de forêts naturelles.
- Les scientifiques proposent notamment le respect du code forestier et les plantations de sapins à des fins de construction. L’objectif est de limiter la déforestation liée au secteur du bâtiment.
- Mais, pour l'heure, il n'est pas certain que ces propositions fassent effet. Depuis 2017, l'administration forestière congolaise a suspendu toute exploitation de bois, paradoxalement ses activités de contrôle aussi.
À Lubumbashi, chef-lieu du Haut-katanga, Fiston Kalala est un exploitant forestier inégalable. Son entourage professionnel préfère l’appeler « tronçonneuse », en référence à ses capacités à élaguer les arbres et à les débiter.
Comme depuis des années, jeudi 13 juillet, son amas de perches s’élève à un peu plus de 5 mètres de hauteur, au bord de la Nationale 1 qui traverse latéralement la ville, avant de serpenter à travers l’Afrique australe. La charge constituée de près de 3000 pièces dort ensoleillée et attend des clients. « Comme beaucoup à Lubumbashi construisent des bâtiments à étage, ces perches sont très sollicitées » souligne-t-il sur un ton optimiste au milieu de tas de perches.
Dans la région, les perches sont utilisées pour soutenir les dalles et maintenir les coffrages lors du coulage et du durcissement du béton pendant la construction des bâtiments à étages.

Depuis le boom immobilier que connait la province, précisément ses villes principales comme Lubumbashi, en raison de l’accroissement des demandes d’hébergement et de locations dus à l’afflux d’expatriés et de Congolais d’autres provinces en quête des opportunités économiques dans les mines principalement, les demandes sont donc devenues incessantes et pressantes.
Comme tous les chasseurs de bois, Kalala en profite pour se faire de l’argent. Il fixe à 4000 francs congolais le prix de la perche, soit environ 1.5 USD. La moyenne de vente hebdomadaire varie entre 2000 et 2500 USD.
De bons chiffres qui motivent le quadragénaire et son équipe de cinq personnes à prendre le camion pour avaler des kilomètres, quatre fois le mois, afin de plonger dans les profondeurs de la province.
Ils ciblent plus les forêts des territoires de Kipushi et Kasenga, des territoires respectivement situés dans le sud-ouest et le nord de la province du Haut-Katanga et qui abritent de grandes variétés d’arbres comme le bois rouge ou Mukula en Swahili (Brachystegia) et toutes les autres essences comme lusanga, kabamba appelées en français miombo, de la forêt de miombo.
Les chasseurs de bois les coupent de fond en comble avant de revenir en ville, véhicule lourdement chargé. Puisqu’en plus de jeunes arbres pour servir à maintenir les coffrages, il y a des briques qui demandent le charbon de bois ou du bois lui-même, pour être cuites à des fins de construction. Sur ce point, des scies à mains et tronçonneuses résonnent de manière presque effrénée dans les espaces forestiers Haut-katangais.
À Katofia et Mwanikwa, deux villages à environ 100 km de Lubumbashi, dans le territoire de Kasenga, les habitants s’organisent en équipes pour couper les lusanga et kabamba, deux essences de bois ayant la réputation de produire une chaleur intense et constante. Sur les routes et sentiers qui mènent vers ces espèces, les allers-retours d’hommes et véhicules ne cessent de briser le silence de la forêt de Miombo, une savane boisée menacée par la déforestation.

En moyenne, chaque équipe d’exploitants, que nous avons rencontrée, dit raser plus de 15 hectares, l’équivalent de 21 terrains de football, le mois, pour des besoins de construction, alors que le code forestier en prévoit 50 une nouvelle fois renouvelables, soit 100 hectares (247 acres) par an. Une disposition qui n’est pas suivie dans la pratique. Du coup, sur l’ensemble de la province, les espaces déforestés en l’espace d’une année peuvent être encore plus énormes et inquiétants, considérant le nombre de stères et d’exploitants visibles, que l’administration forestière congolaise peine à répertorier et à organiser.
Lors de notre passage aux différents lieux de vente de perches, aucun exploitant forestier ne pouvait brandir le permis d’exploitation. Mais cela semble ne pas inquiéter les autorités publiques qui « prélèvent des taxes sur la vente des perches », selon Judith Musau, une vendeuse de bois enturbannée pour se protéger contre le soleil et la poussière, qui arrose la périphérie de la ville de Lubumbashi, en cette période sèche.
C’est aussi pour cette raison que « la concurrence devient rude entre exploitants forestiers, et que trouver les perches n’est plus facile comme avant », a-t-elle ajouté, au milieu de ses perches non loin du marché Moise, l’un des plus importants de la ville de Lubumbashi.

Des solutions pour sauver les forêts Haut-katangaises
Cela contribue à accentuer la déforestation dans une province qui n’a plus beaucoup d’espaces couverts de forêts. Depuis la libéralisation du secteur minier Global Forest Watch, Afrewatch soulignent que le Haut-Katanga a perdu 7120 km² de forêts entre 2001 et 2023, ce qui a conduit à des émissions de CO2 considérables et à des impacts sur les communautés locales et le climat.
Pour limiter la déforestation dans le secteur du bâtiment, Omer Kabasele, Président national de la Société civile environnementale, tient notamment au respect du code forestier congolais. Théoriquement cet instrument juridique réglemente l’exploitation forestière, y compris les types d’arbres qui peuvent être coupés, en plus de distinguer les forêts protégées, les forêts classées et les forêts dans le domaine privé de l’État.
Les arbres à couper sont généralement définis par des critères tels que le diamètre minimal, l’âge de l’arbre et l’espèce. En République Démocratique du Congo, le diamètre minimum d’exploitation des arbres est de 40 cm pour le diamètre à hauteur de poitrine (DHP), mesuré à 1,30 m du sol ou au-dessus des contreforts. Le DHP étant une mesure standardisée pour évaluer la taille des arbres et utilisée pour déterminer si un arbre peut être abattu légalement.

Dans la pratique, ces dispositions ne sont toujours pas suivies. Sur ce point, Manager Mbenga, président de l’Association des exploitants forestiers du Katanga accuse certains représentants de l’Etat et les clandestins de bafouer le code forestier. Les agents de l’Etat, d’après lui, prélèvent forfaitairement les taxes sans penser au plan de reboisement. Il en veut pour preuve, le permis de coupe de bois rouge. Celui-ci reviendrait à « 12 500 USD, alors qu’officiellement cela est fixé à 2500 USD », dit-il.
Pour mieux comprendre les solutions à mettre sur pied, afin de lutter contre la déforestation liée au secteur du bâtiment, nous sommes allés à la rencontre de Roland Shinga, ingénieur en génie civil, travaillant à son propre compte. Arborant sa suave écharpe qui enveloppe le cou, le technicien propose les étais métalliques. Cependant, il reste conscient des difficultés pour voir cette pratique se démocratiser en raison du coût élevé, lors des opérations d’importation.
En effet, les pieds droits viennent majoritairement de l’Asie, principalement de la Chine ou de l’Inde. Dans la mesure du possible, peu de personnes à Lubumbashi se limitent à la location. Sauf qu’une pièce se loue à 5 USD, le jour. En moyenne, il faut multiplier par 300 pièces pour près de 30 jours, délai idéal avant le décoffrage. Les chiffres peuvent s’affoler pour atteindre 45000 USD, largement supérieur au plancher. Peut-être que « la solution est dans la fabrication locale des étais ». L’idée est de Shinga, qui s’appuie sur les ressources minérales, comme le cuivre et le cobalt dont dispose incontestablement la région.
En attendant, le spécialiste en construction a une autre formule. Il propose la mise sur pied des plantations de sapins. L’objectif n’est pas seulement d’offrir la possibilité d’avoir des étais en bois pour les bâtiments, mais aussi d’assurer l’équilibre écologique.
En effet, selon lui, le sapin a la réputation de jouer un rôle dans la régulation du CO2, la protection des sols et le maintien de la biodiversité. De plus, une fois correctement recyclé, le sapin naturel peut avoir une empreinte carbone suffisamment faible. Mais, comme pour la fabrication des étais métalliques en RDC, voir le gouvernement entretenir des plantations de sapins, dans un contexte où tout ou presque tout est prioritaire, pourrait ressembler au vœu pieux.

La suspension de l’exploitation forestière accentue la déforestation
Finalement, qui pour décider de mettre fin à la déforestation que connaît la province du Haut-Katanga ? Les autorités, au niveau national, avaient tenté d’apporter la réponse en décidant depuis 2017 de suspendre toute activité de coupe d’arbres, réglementant uniquement le bois de feu au niveau provincial. À l’origine, l’idée était salvatrice pour vaincre la surexploitation du bois rouge, l’une des espèces les plus protégées au monde, qui courait le risque d’extinction. Le mukula (son appellation en Swahili), allait donc sauver toutes les autres essences. Son exploitation impliquait tant les autorités politico-administratives que militaires, selon Manager Mbenga, président de l’Association des exploitants forestiers du Katanga. Pour rappeler le tableau de 2017 d’avant la suspension, 499 camions chargés du bois rouge congolais avaient été saisis en Zambie, selon Congo Durable, média basé à Lubumbashi, Radio Okapi et Actualité.CD, tous deux ayant leurs sièges à Kinshasa.
A ce jour, il difficile de confirmer que ce trafic s’est arrêté lorsqu’ on sait que les clandestins ne cessent de parcourir de bout en bout la province du Haut-Katanga en quête du bois, comme en qualité de perches aussi, pour des raisons de construction. Dans les villages de Katofio et de Mwanikwa, nous n’avons pas vu les camions transporter du bois rouge. Mais les habitants disent voir parfois des véhicules transportant cette essence prendre la direction de la Zambie. C’est peut-être pour cette raison que 8 ans après, la suspension des activités de coupe d’arbres a paradoxalement accentué la déforestation dans la région.

Selon les explications de Manager Mbenga, la suspension de l’exploitation forestière par le gouvernement congolais a donné lieu à un autre phénomène, celui de l’exploitation clandestine. Cela a conduit, d’après lui, à une surexploitation et donc à l’augmentation du taux de déforestation.
Pourtant dans la situation idéale, « aucun arbre n’aurait dû être coupé pendant cette période », rappelle Ilunga Ngwej, Coordonnateur de la division provinciale de l’environnement du Haut-Katanga, qui poursuit en disant que « cette interdiction d’enlever les agents forestiers de certains axes permet, d’une autre manière, que les gens soient libres ».
La surprise est qu’au niveau provincial, confie Ngwej, l’administration forestière avoue en même temps ne pas être capable de mettre fin à l’exploitation illégale d’arbres, faute de moyens de contrôle. Dans ces conditions, on ne peut donc pas s’attendre à une décision ferme pour stopper l’hémorragie.
Conséquences, à ces jours, sur tous les axes principaux qui traversent la province du Haut-Katanga, aucun agent de l’État n’est visible. Pendant ce temps, les camions lourdement chargés de perches notamment, roulent tranquillement, se ressemblant les uns aux autres. Des images qui semblent tout de même déplaire aux officiels. « Bientôt, on va remettre les choses à leur place. Si on trouve quelqu’un avec du bois qui n’est pas motivé par un document, on l’arrête », dit Ngwej.
En attendant, les arbres, vieux et jeunes du Haut-Katanga continuent de subir l’appétit insatiable des exploitants forestiers de plus en plus nombreux. Vues du ciel, beaucoup de forêts sont déjà en lambeaux, d’après les témoignages recueillis. Le boom immobilier, qui vient enrichir les paysages des villes principales de la province, pourrait encore continuer d’aggraver leur dégradation pour plusieurs années.
Image de bannière :Un espace ravagé dans la forêt de Miombo dans le territoire de Kasenga. Image de Willy Mbuyu pour Mongabay.
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