- La nouvelle espèce, Paragehyra tsaranoro, est microendémique aux petits fragments de forêts dans la partie ouest à l’extérieur du Parc national d’Andringitra, dans le sud-est de Madagascar.
- Étant donné cette aire de répartition extrêmement restreinte, les chercheurs estiment qu’il devrait être catégorisé comme en danger critique d’extinction sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
- La gestion des forêts par les communautés locales, qui les considère comme sacrées, confère néanmoins un avantage de taille à la conservation de l’espèce, selon les chercheurs.
Une équipe internationale de biologistes a identifié une nouvelle espèce de gecko dans les petits fragments de forêts éparpillées autour de la partie ouest à l’extérieur du Parc national d’Andringitra, dans le sud-est de Madagascar. Baptisée Paragehyra tsaranoro, elle est microendémique à ces forêts isolées et témoigne de l’étonnante biodiversité des petites zones forestières gérées par les communautés locales.
Le catalogage et la description formelle des espèces constituent un aspect essentiel à leur conservation, en particulier dans le contexte actuel de crise mondiale de la biodiversité. De nombreuses espèces, encore inconnues de la science, pourraient disparaître (si ce n’est déjà le cas) avant même d’avoir été identifiées et formellement protégées. En tant que points chauds de la biodiversité, Madagascar est particulièrement vulnérable à ces risques.
Pour les reptiles, 439 espèces indigènes ont été jusqu’ici décrites à Madagascar, dont 98 % endémiques et environ un tiers microendémique, c’est-à-dire dont l’aire de répartition est inférieure à 1 000 km2.
La découverte de Paragehyra tsaranoro, par Francesco Belluardo et ses collègues, ajoute à cette description, après sept ans de recherches rigoureuses. Belluardo est affilié à l’EnviXLab du département de biosciences et territoire de l’université de Molise, en Italie, et au Centre de Recherche sur la biodiversité et les ressources génétiques (CIBIO) de l’université de Porto, au Portugal.
« Il existe un nombre incroyable [de geckos] à décrire, mais la description est complexe et prend du temps », a expliqué Franco Andreone, conservateur en zoologie au Musée régional des sciences naturelles de Turin, en Italie et rédacteur en chef de la revue « Natural History Collections and Museomics », qui a représenté le groupe de recherche de Belluardo lors d’un appel vidéo avec Mongabay. Selon lui, les travaux sur le terrain, pour identifier P. tsaranoro, ont été effectués en 2018, mais il a fallu plusieurs années pour une description complète.
Les résultats de l’équipe ont été publiés, le 2 juin dernier, dans la revue ZooKeys. Cette nouvelle description porte désormais le nombre de geckos malgaches scientifiquement décrits à 150, a indiqué lors d’une discussion avec Mongabay, Achille Raselimanana, enseignant-chercheur et herpétologue au département de zoologie et biologie animale de la Faculté des sciences de l’université d’Antananarivo et président de Vahatra, une association basée à Antananarivo dédiée à la recherche scientifique et au renforcement des capacités des jeunes chercheurs. Raselimanana n’a pas participé à la recherche de Belluardo.

Un habitat naturel extrêmement restreint
P. tsaranoro a été découvert dans de petites aires de forêts en hauteur situées dans la localité de Tsaranoro, d’Ambatomainty et d’Iantaranomby, dans la partie occidentale en dehors du Parc national d’Andringitra. Il s’agit d’une espèce nocturne et discrète qui apprécie particulièrement les zones rocailleuses. Sa robe brune tachetée se fond presque parfaitement avec la couleur des roches environnantes.
La forêt entourant ces localités est extrêmement fragmentée pour cause de décennies de déforestation. En effet, bien que le Parc national d’Andringitra inclut la majeure partie du massif, il ne protège pas la partie ouest où, seules, quelques portions de forêts subsistent. D’après les analyses de Belluardo et ses collègues, la nouvelle espèce est microendémique à ces forêts. Cela signifie qu’on la retrouve uniquement dans ces forêts et nulle part ailleurs à Madagascar.
Toutefois, « je ne suis pas sûr que l’aire de répartition soit cantonnée à ces zones, mais comme la forêt est fragmentée, c’est pour cela qu’il est difficile de le trouver ailleurs », a dit, dans une interview avec Mongabay, Nirhy Rabibisoa, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences, de technologies et de l’environnement (FSTE) de l’université de Mahajanga et qui n’a pas participé à la recherche.
« Il arrive souvent qu’on pense qu’une espèce est microendémique, mais qu’on la retrouve ultérieurement dans d’autres aires de répartition », a-t-il ajouté. Cela s’est apparemment produit pour le Blaesodactylus antongilensis, un gecko des forêts denses et humides du nord-est de Madagascar, d’après le chercheur.

Néanmoins, étant donné son aire de répartition extrêmement restreinte et l’état de fragmentation de son habitat, les auteurs de l’étude estiment que P. tsaranoro peut être catégorisé comme en danger critique d’extinction sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) – un triste paradoxe si on considère qu’il vient tout juste d’être découvert.
Les communautés locales : un pilier majeur de la conservation
Il est important de savoir que, malgré leur petite taille, les geckos sont d’une importance cruciale aux écosystèmes. Ils participent, par exemple, à la régulation de la population des insectes nuisibles comme les moustiques, ou à la pollinisation en buvant le nectar des fleurs ou en chassant les insectes piégés à l’intérieur. « Chaque être vivant, même les plus petits, joue un rôle essentiel au sein d’un écosystème et c’est cette complémentarité qui confère une résilience aux phénomènes comme le changement climatique », explique Raselimanana.
L’herpétofaune malgache doit cependant faire face à de nombreuses menaces, principalement liées à la perte d’habitat. Les forêts où l’on a trouvé P. tsaranoro sont néanmoins relativement bien gérées par les communautés locales, qui les considèrent comme sacrées, car des rites funéraires y sont pratiqués. Cela a contribué à la conservation du gecko et atténué les pressions sur cette portion d’habitat, selon les auteurs de l’étude.

Pour les travaux sur le terrain, le groupe de scientifiques devrait toujours être accompagné d’un guide local pour assurer la communication avec les communautés. « C’était un challenge, car il fallait convaincre les communautés locales pour dire qu’on était là pour étudier, mais pas pour exploiter », raconte à Mongabay (dans le même appel vidéo avec Andreone), Malalatiana Rasoazanany, chercheuse à la Faculté des Sciences, mention zoologie et biodiversité animale, à l’université d’Antananarivo et qui faisait partie de l’équipe de Belluardo.
« Une personne du village nous accompagnait toujours à la fois pour travailler et pour attester que nous ne saccageons pas les lieux et respectons les « fady » », ajoute-t-elle.
À Madagascar, certains tabous culturels ou « fady », qui réglementent les sites sacrés, peuvent contribuer à protéger l’environnement. « La contribution de la communauté locale est très importante, parce que la connaissance de la valeur de l’espèce, par exemple, pour l’écotourisme, les incite à la protéger », a-t-elle ajouté.
L’herpétofaune malgache menacée par des décennies de trafic
Les geckos, comme de nombreux autres animaux à Madagascar, comme les tortues, font aussi l’objet de décennies de trafics (légaux et illégaux). D’après Raselimanana, certains spécimens, comme l’Uroplatus pietschmanni (en danger d’extinction sur la liste rouge de l’UICN), une espèce de gecko endémique à la forêt dense humide de Fiherenana (dans le sud-ouest de Madagascar), vaut au moins 2 500 USD la paire, sur le marché international.

Toutefois, Andreone pense qu’une gestion optimale de ce commerce pourrait contribuer à la conservation de l’espèce. « Le trafic d’espèces sauvages est souvent stigmatisé. Mais en réalité, si je peux être un peu hérétique, cela pourrait fournir un revenu pour les populations locales. Elles en comprendraient alors la valeur et voudront protéger les espèces et leur habitat naturel pour garantir la collecte », dit-il. « Mais cette stratégie ne fonctionne que si le commerce est légal et géré de manière optimale », précise-t-il. « Si c’est illégal, les revenus iront seulement aux trafiquants… ».
Mais la mise en œuvre de ce type de stratégie est difficile, étant donné le contexte de pauvreté et le niveau élevé de corruption à Madagascar (140e sur 180 en 2024).
La recherche scientifique en herpétologie doit aussi faire face à de nombreuses difficultés comme le manque de moyens techniques et financiers, ainsi que le manque de spécialistes au niveau national, les problèmes d’infrastructures routières pour mener les investigations sur le terrain et bien d’autres encore.
Image de bannière : Paragehyra tsaranoro. Image de Javier Lobón-Rovira avec son aimable autorisation.
Citations :
Belluardo, F., Piccoli, C., Lobón-Rovira, J., Oliveira Alves, I., Rasoazanany, M., Andreone, F., Rosa, G.M. & Crottini, A. (2025). A new microendemic gecko from the small forest fragments of south-eastern Madagascar (Squamata, Gekkonidae, Paragehyra). ZooKeys 1240 : 138. https://doi.org/10.3897/zookeys.1240.151016
Brown, J-L., Sillero, N., Glaw, F., Bora, P., Vieites, D.R., Vences, M. (2016). Modèles de biodiversité spatiale des amphibiens et reptiles de Madagascar. PLoS ONE 11(1) : e0144076. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0144076
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