- L’île Sainte-Marie de Madagascar est la maternité de la baleine à bosse si le pôle Sud est son garde-manger.
- La connaissance de l’interaction mère-baleineau aide à améliorer l’approche de conservation de cette mégafaune marine.
- La baleine est une identité, un emblème et un produit-phare de Sainte-Marie, une des destinations les plus prisées à Madagascar. Sa population n’est pourtant pas assez impliquée dans la gestion de la faune marine.
- L’île Sainte-Marie et les eaux autour d’elle constituent une aire marine et terrestre protégée.
SAINTE-MARIE, Madagascar — Dans la matinée du 28 septembre dernier, une scène fascinante de rare occurrence se produisant en mer à Toamasina, la ville abritant le plus grand port maritime de Madagascar sur sa côte Est, a émerveillé des témoins incrédules. Deux baleines à bosse (Megaptera novaeangliae) adultes y ont été aperçues en train de jouer au large du lieu-dit Miami au grand bonheur des passants chanceux. Des photos prises à la hâte et postées sur Facebook, ont forcé l’admiration du public. Un collègue journaliste, contacté au téléphone, a confirmé le fait. Une vidéo montrant une mère et un baleineau en déplacement au large de la même ville a aussi circulé sur les réseaux sociaux deux jours plus tard.
Chaque année, des amoureux de la nature, nationaux et étrangers, dépensent des fortunes pour le whale watching en mettant le cap sur Sainte-Marie, une île effilée de 220 kilomètres carrées au large de la côte nord-est malgache. Les géants marins de passage au large de Toamasina dans les journées du 28 et du 30 septembre dernier, ont été sur la route du retour vers les mers froides dans l’Antarctique, en suivant un corridor migratoire ou un couloir de navigation, dont ils connaissent les repères. Ces paisibles géants de la mer venaient de clore leur séjour dans l’océan Indien.
Le garde-manger de ces cétacés se trouve au pôle Sud, les eaux de Sainte-Marie sont leur maternité et lieu de reproduction, où elles viennent, chaque année, pour s’accoupler et mettre bas. « L’absence de lumière et le froid extrême durant l’hiver austral amènent presque tous les animaux vivant dans l’Antarctique à migrer ailleurs, sauf les manchons », a expliqué Dr Anjara Saloma, biologiste marine.
Elle préside la Cétamada, une association de droit malgache fondée en 2009, œuvrant pour la préservation de la faune marine à Madagascar et dans l’océan Indien, et ayant son siège à Ambodifotatra, Sainte-Marie.
En 2018, la chercheure, qui coordonne l’unité de recherche de Cétamada, a soutenu une thèse, en cotutelle entre les universités d’Antananarivo et de Paris-Saclay en France, sur l’interaction mère-baleineau, la première de son genre dans le monde. « Très peu d’informations sur cet aspect ont été disponibles au niveau mondial », a-t-elle ajouté.
Selon la scientifique, la température des eaux autour de l’île convient aux baleineaux qui supportent mal le froid extrême de l’hiver austral au pôle Sud, pourtant riche en nourriture. « Les parents y ramènent leurs bébés, lorsque ceux-ci sont suffisamment résistants, pour s’y alimenter en famille », a-t-elle dit à Mongabay, au cours d’un entretien direct en juillet 2024.
Sa recherche a permis d’apprendre plus sur la communication par la vocalisation entre la mère et son petit, le soin maternel, etc. Le résultat de l’étude, qui a nécessité l’usage des dispositifs technologiques de pointe, contribue à l’amélioration de la conservation de la baleine à bosse. La nouvelle règlementation appliquée au safari baleine à Madagascar, s’en inspire pour le renforcement de la protection des baleineaux, en particulier.
En réalité, les quatre baleines, en transit, tout près de la ville portuaire de Toamasina, vers la fin de septembre, ont fait leurs adieux avant de prendre congé de l’océan Indien, pour cette année. Leur prochain retour dans la zone aurait peut-être lieu à partir de la deuxième moitié du deuxième trimestre de 2026.
À Sainte-Marie, et aussi à l’île sœur, La Réunion, les premières venues pointent le bout de leur évent à la fin du mois de mai. Ceci marque le début de la période appelée « saison baleines ». La plupart arrivent mi-juillet et les groupes repartent à la fin de septembre ou en octobre au plus tard. Ce rituel annuel a existé depuis des temps immémoriaux.
Plus de 1 300 individus ont investi les eaux autour de La Réunion en 2013. Mais le record d’affluence revient toujours à Madagascar. Avec quelque 2 400 baleines identifiées durant la même période, l’île Sainte-Marie est considérée par les scientifiques comme l’une des grandes concentrations mondiales, sinon la plus grande, de baleines à bosse, selon le journal en ligne Zinfos974.

Animal sacré pour les habitants de Sainte-Marie
L’animal a toute sa sacralité pour les 30 000 habitants de Sainte-Marie, qui l’appellent zanaharibe (grand dieu), et a sa place dans leur croyance. « Un Arabe nommé Ibrahim vivait avec les autochtones. A la vue du mammifère, parmi les animaux sacrés cités dans le Coran, il s’écriait : ‘Allah Akbar’ (Dieu est plus grand). À la question des curieux d’en savoir le sens, il répondait : ‘Be Zanahary’. Le nom de zanaharibe est désormais accolé aux baleines venues autour de nous », a raconté Issoufa Omary, président de l’association des chefs des dix-sept fokontany de l’île (le fokontany est la plus petite unité administrative à Madagascar, Ndlr). Il est aussi parmi les gardiens des traditions locales.
La baleine fait partie intégrante de l’identité de Sainte-Marie. Elle est son emblème et son produit-phare. Il est hors contexte d’évoquer le nom de Sainte-Marie de Madagascar sans avoir en tête l’image de la baleine. Les habitants s’en approchent en observant un rituel de demande de bénédictions encore conservé par les traditionnalistes. Tout un système coutumier s’organise autour de cette mégafaune marine. Parfois, ces géants paisibles passent des moments sur les berges et c’est là que les humains viennent à eux.
Les baleines à bosse sont un véritable patrimoine vivant. « Auparavant, les gens évitaient de les montrer du doigt. C’était tabou. Pour venir à proximité d’eux, le port des sandales et des sous-vêtements était prohibé. Les gens se drapaient d’une cotonnade et les femmes devaient arborer un type de tresse spécifique », a dit à Mongabay, Jean de Dieu Botou, président en exercice de la Plateforme de concertation et d’appui au développement durable de l’île de Sainte-Marie (PCADDISM), au moment de l’interview en juillet 2024.
Ces cétacés vénérés ont quand même été longtemps ignorés au pays. L’intérêt à leur égard s’est éveillé assez tardivement. « Quand je suis arrivé ici en 1998, les gens ne savaient même pas quelle espèce de baleine il y avait ici », a dit à Mongabay, François-Xavier Mayer, un hôtelier-restaurateur exerçant à Sainte-Marie.
Il a constaté un manque flagrant de connaissances scientifiques sur le mammifère. En 2009, la Cétamada a vu le jour sous son impulsion.

Recours à l’intelligence artificielle
Les chercheurs ont alors commencé à affluer, parallèlement à la formation des guides et des écovolontaires, recrutés parmi les étudiants stagiaires. « Nous avons créé l’association pour la conservation des mammifères marins et leur habitat. Nous avons commencé par les baleines à bosse. Elles s’alimentent en Antarctique, naissent ici et s’accouplent ici. Elles font à Sainte-Marie les deux choses les plus importantes de la vie. Elles les font autour de Madagascar », a dit Mayer.
La recherche sur ces animaux marins coûte cher. Mais, au fur et à mesure, la Cétamada a fini par se doter d’équipements à la mesure de ses ambitions en devenant une plateforme scientifique qui accueille des étudiants malgaches préparant la licence, les masters et le doctorat. Dr Saloma a été au départ parmi les bénéficiaires de l’initiative. Elle encadre maintenant des étudiants et dirige des travaux de thèse. Les chercheurs étrangers aussi se bousculent au portillon. Les actions de conservation se mettent ainsi en place.
Depuis avril 2024, l’approche adoptée intègre une méthode d’identification à base d’intelligence artificielle. Elle consiste à photographier les caudales des baleines, à l’instar des empreintes digitales pour les humains, afin d’alimenter des données interactives en ligne auxquelles les organisations, travaillant sur les baleines dans le monde, ont accès.
« Les renseignements partagés facilitent le suivi, permettent de connaître l’âge des individus… et aident les autres à savoir que tel ou tel animal a déjà voyagé à Madagascar », a dit Misaina Ramanantsoa, étudiant en informatique, océan et climat à l’université d’Antananarivo et stagiaire en traitement des données chez Cétamada.
« L’intelligence artificielle nous aide à reconnaître les individus qui reviennent à Madagascar après leur retour en Antarctique », a corroboré Dr Saloma.
Selon elle, 0,02 % des baleines qui repartent pour le pôle Sud reviennent dans les eaux malgaches, même si la plupart y sont nées. Elles sont donc infiniment mobiles dans les océans. Pendant la période de reproduction, elles sont aussi présentes entre la côte Est de l’Afrique du Sud et le Mozambique, dans le Canal de Mozambique jusque dans l’archipel comorien, à l’ouest de Madagascar, et en Ile Maurice.
D’après le résultat des suivis satellitaires réalisés de 2012 à 2014, les spécimens migrant à Sainte-Marie, à chaque saison, ne sont pas les mêmes du jour au lendemain. Contrairement aux idées reçues avant cette période, les cétacés venus au début de la saison, n’y restent pas longtemps. Ils n’y font que transiter. « En moyenne, elles passent quatre jours ici. Les unes arrivent et les autres s’en vont », affirme l’experte.
Les effectifs des animaux repérés à Sainte-Marie et à La Réunion nécessitent donc une technique de comptage plus affinée.

Le rôle du Festival des baleines
Dès l’an 2000, le Festival des baleines est institué pour attirer l’attention générale sur la mégafaune marine. Le secteur privé a le mérite de créer cet événement grandiose. Il se tient habituellement au mois de juillet et draine une immense foule de résidents et de non-résidents. Les organisateurs ont choisi Julien Lepers pour parrainer la dernière édition, qui s’est déroulée du 12 au 20 juillet. Le célèbre animateur d’émissions télévisées français a alors animé un quizz géant terminé par des finales télévisées.
Les gardiens de la tradition ancestrale demandent une chose à tous les acteurs impliqués à l’économie de la baleine. À leurs yeux, il est judicieux de procéder à un rituel de demande de bénédictions commune avant chaque début de « saison baleines ». « La tradition et le développement sont inséparables. Nous ne devons pas sacrifier la première sur l’autel du second. La première base de la richesse environnementale, c’est l’humain », a dit Omary.
Toute une économie florissante s’articule autour des baleines à bosse. Les statistiques témoignent de la vivacité de la chaîne de valeurs se rapportant à ces animaux.
Selon l’Office du tourisme Sainte-Marie, le nombre d’arrivées enregistrées en 2024, a été de 17 162 résidents et de 6 606 non-résidents, pour ceux qui ont voyagé par bateau, de 3 245 résidents et de 5 644, non-résidents pour ceux qui ont pris l’avion. La communauté locale en tire profit d’une manière ou d’une autre, même si les retombées de l’essor de l’industrie du tourisme baleinier sur la population locale, paraissent floues aux yeux de certains responsables.
De plus, l’île, appelée aussi « île jardin » en raison de la luxuriance de sa végétation, a d’immenses atouts pour séduire les curieux et charmer les visiteurs. Elle est l’une des destinations les plus prisées à Madagascar. Outre sa richesse maritime, elle possède une richesse faunique et floristique envoûtante. La plus grande espèce d’orchidée de Madagascar, et peut-être aussi l’une des plus grandes du monde tropical, la célèbre Eulophiella roempleriana, y est endémique. Des espèces de grenouilles et de caméléons aussi sont parmi les attractions irrésistibles au niveau local sans oublier les plages de rêve.
S’ajoute à ce charme naturel la richesse culturelle et historique autour d’une population avec sa légendaire gentillesse. L’île Sainte-Marie était en effet un repaire des pirates marins du XVIe au XVIIIe siècle. De riches trésors archéologiques, avec les nombreuses épaves de bateaux pirates, tapissent ses fonds marins. Le 3 juillet dernier, le magazine en ligne Live Science, a rapporté les travaux archéologiques ayant abouti à la découverte d’un valeureux trésor portugais à Sainte-Marie.
En outre, la première et la plus ancienne église catholique, construite en pierre, de Madagascar trône à Ambodifotatra, Sainte-Marie. Baptisé Cathédrale Saint-Joseph, l’édifice érigé en 1857, est candidat à la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Pour la petite histoire, des navigateurs portugais ont donné à l’île le nom de Santa Maria en l’honneur de la Vierge. En 1503, ils l’ont découverte le jour d’Assomption, après un naufrage.
Le coûteux safari baleine prospère, si les sorties en mer à bord de vedettes rapides, la plongée sous-marine et le snorkelling ont des fans assidus. À la longue, toutes ces activités humaines génèrent des pollutions sonores nuisibles aux géants de la mer en quête de conditions favorables à leurs parades nuptiales et à la croissance des jeunes baleineaux avant leur grand retour en famille vers les mers froides, surtout si les règles de bonne conduite en matière de whale watching sont inobservées. L’hôtelier breton installé à Sainte-Marie depuis des décennies, Paul Arthur Martin, est le premier à y lancer cette activité lucrative.
La quiétude est primordiale pour les mammifères marins. « À un moment donné, les baleines ont évité Sainte-Marie. À cause des bruits des moteurs, elles sont montés jusqu’à Maroantsetra [plus au nord, Ndlr] et descendues à Taolagnaro [plus au sud, Ndlr] », a dit Herilaza Imbiki, député de Madagascar élu à Sainte-Marie. Plusieurs navires et bateaux empruntent en effet le canal entre l’île et Madagascar.
Omary a aussi raconté le fait suivant. Le calme plat a régné au temps de la COVID-19. « A ma grande surprise, les baleines sont venues jusqu’à la plage pour y jouer, car elles n’ont pas été inquiétées. Nous avons même entendu facilement leurs chants, la nuit. Le safari a repris une fois la pandémie terminée et, du coup, les baleines aussi s’en allaient. C’est là que je suis convaincu qu’elles recherchent réellement la tranquillité », a-t-il indiqué.

L’océan n’est pas un terrain de jeu sans règles
La baleine à bosse est une espèce protégée classée en préoccupation mineure sur la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). La présence des spécimens en eaux peu profondes les rend vulnérables à la pollution sonore et aux perturbations humaines. Les baleineaux sont plus particulièrement vulnérables à la pollution sonore qui nuit à leur communication avec leurs mères.
Selon Dr Saloma, les eaux autour de Sainte-Marie jusqu’à 30 km au large, une nurserie par excellence pour les baleines à bosse, ont une profondeur n’excédant pas les 35 mètres, soit la hauteur d’un immeuble de treize étages. « Ces mammifères, témoins d’un monde fragile, rappellent à l’humanité que l’océan n’est pas un terrain de jeu sans règles », dit le journaliste mauricien, Vashish Nuckchhed.
L’intrusion des organisateurs de safari, évoluant dans l’informel, reste problématique. La sensibilisation continue joue un rôle clé dans ce contexte. « Je trouve très important de sensibiliser les gens. Les touristes qui viennent ici ne connaissent pas forcément l’animal. C’est important de leur expliquer que ce sont des animaux, très beaux, qui jouent un rôle très important pour notre planète », a dit à Mongabay, Océane Chrysostome, une jeune étudiante malgache en L2 en biologie, à Paris. Elle a été une écovolontaire auprès de Cétamada au moment du reportage.
Les campagnes d’éducation touchent l’ensemble de la population et des visiteurs. À juste titre, Imbiki a des soucis à se faire. L’ombre du problème d’inclusion plane. A son avis, les autochtones et les villageois ne sont pas tellement associés à la gestion de la mégafaune marine. « Cet état de chose peut créer un fossé dans la compréhension et générer ainsi des frictions au sein de la société », a affirmé le parlementaire.
La création d’un taskforce spécial pour la baleine à bosse, un patrimoine spécifique, insufflera un élan supplémentaire si le gouvernement en a la volonté. Cette structure, qui lui sera dédiée en permanence, doit émaner à la fois du ministère de la Pêche et de l’économie bleue et du ministère de l’Environnement et du développement durable.
L’île Sainte-Marie et les eaux autour d’elle constituent une aire marine et terrestre protégée dans le cadre d’une gestion intégrée de zone côtière amorcée en 2017. Une nouvelle aire marine protégée de 329 700 hectares, à forte concentration de requins-baleines et de dauphins, est également en cours de création à Sainte-Marie, avec le concours du Fonds pour l’environnement mondial.
Tous ces cadres ont pour finalité de rendre durables les ressources de l’île au profit de la génération actuelle et celles à venir. Pour Mayer, la croissance de la population de baleine à bosse est prometteuse. « Moins les baleines se sentent en danger, plus elles se sentent protégées, plus elles vont revenir ici, plus elles vont rester, plus le patrimoine de Madagascar va grandir, parce que la population va se sentir bien », a-t-il conclu.
Cette croissance démographique profitera à la population, qui vit de la pêche traditionnelle à 80 % des cas. « Des bancs de poissons accompagnent les baleines qui viennent ici. Des espèces, que nous n’avons jamais vues auparavant, font leur apparition, alors que les espèces qui nous étaient familières tendent à se raréfier. J’ai remarqué ces changements à partir des années 1980 », a affirmé Botou.
Image de bannière : Une baleine à bosse dans les eaux de l’île Sainte-Marie, à Madagascar. Image de krishna naudin via Flickr (CC BY-SA 2.0).
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