- Selon une étude, l'acidification des sols est l’une des principales contraintes à la productivité mondiale et à la durabilité de l'agriculture et affecte près de 40 % des terres agricoles mondiales.
- En Afrique, selon l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, 65 % des sols sont dégradés et l’acidité des terres rend l’agriculture difficile dans de nombreux pays.
- Au Burkina Faso, dans certaines régions 80 % des sols sont acides, ce qui menace la production agricole.
- Face à l’acidification des terres, des agriculteurs utilisent la dolomie, un minéral naturel composé de calcium et magnésium qui permet d’améliorer la structure des sols en réduisant leur acidité et en favorisant la croissance des plantes.
À Koubri, à une trentaine de kilomètres de Ouagadougou, au Bukina Faso, Ibrahim Kontogomdé voyait son champ de 12 hectares de tangelos dépérir sans connaître la cause. « Les feuilles des tangelos ont commencé à chuter. Ensuite, les arbres mourraient », dit-il.
Face au risque de perdre le fruit de son labeur, il fait appel à un spécialiste de l’étude des sols. « J’ai fait une étude de son sol. J’ai déterminé plusieurs contraintes. D’abord, le système d’irrigation a fait que le sol sous les pieds des tangelos était suffisamment pauvre et acide. Pour ne rien arrangé, il y a eu une utilisation massive des engrais minéraux. Sur le sol acide et l’apport très disproportionné des engrais ont créé un désordre physiologique chez la plante. Donc, les plantes étaient stressées et il y a avait des mortalités de certains pieds », explique à Mongabay, l’ingénieur pédologue, Christophe Ouédraogo.
Pour corriger les carences de ce sol acide, il recommande à l’arboriculteur d’utiliser la dolomie. « Après avoir utilisé la dolomie, les feuilles sont revenues et j’ai pu sauver les arbres qui s’affaiblissaient. La dolomie est vraiment efficace », affirme-t-il.
Après cette expérience, Kontogomdé est devenu un ambassadeur de la dolomie. « Il y a un producteur qui voulait cultiver du fourrage. Je lui ai conseillé de faire une étude du sol. Je lui ai dit que si le sol est acide, il faut utiliser la dolomie. C’est ce qu’il a fait. Aujourd’hui, son fourrage pousse très bien et il en est fier », dit Kontogomdé.

La dolomie, explique Ouédraogo, est une sorte de poudre utilisée pour amender les sols. Elle est extraite d’une roche naturelle et est riche en calcium et en magnésium qui sont, précise-il, des « éléments indispensables pour le développement, la croissance des cultures et même des microorganismes du sol ».
« Quand vous mettez de la dolomie dans le sol, elle se dissout et libère du calcium. Elle libère aussi une autre substance qui sert à neutraliser l’acidité du sol. Un sol acide, c’est un sol qui est comme aigre, comme si vous aviez versé du citron sur quelque chose. Si vous ajoutez un produit comme de la potasse, ça aide à neutraliser l’acidité. C’est pareil avec la dolomie qui agit pour rendre le sol moins acide. Donc, quand vous apportez la dolomie, elle neutralise l’acidité du sol. Ensuite, elle libère le calcium et le magnésium qui vont aider à bien structurer le sol et nourrir convenablement les plants », explique Ouédraogo, pour qui la dolomie est un allié contre la dégradation des sols.
La dégradation des sols, un problème mondial et africain
En 2021, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), indique, dans une étude qu’en Afrique, 65 % des sols sont dégradés et que les pertes de terres et de nutriments amputent au continent 3 % de son PIB annuel.
Le rapport du Sommet africain sur les engrais et la santé des sols, tenu en mai 2024, à Nairobi, au Kenya, conclut à une dégradation « inacceptable des terres qui menace la durabilité de la production agricole » sur le continent. Selon ce rapport, environ 75 à 80 % de la surface cultivée du continent est dégradée et plus de la moitié des terres arables pourraient être inutilisables d’ici à 2050 et l’acidification est l’une des causes.
L’étude sur la cartographie et l’estimation des terres agricoles, parue en 2024, indique que la superficie totale de terres agricoles cultivables au Burkina Faso est à 20 923 989 hectares. Chaque année, entre 105 000 et 250 000 hectares se dégradent, selon la Grande Muraille Verte, une initiative panafricaine visant à lutter contre la désertification et à restaurer les terres dégradées dans la zone sahélienne de l’Afrique.
Selon cette étude de Dr Issa Martin Bikienga, la superficie des sols acides ou à tendance acide qui nécessitent une utilisation de la dolomie est de 14 450 000 hectares. « Au niveau du Burkina Faso, la majorité des sols qu’on observe actuellement sont dans un état d’acidité prononcé pour la simple raison que nos pratiques agricoles ne prennent pas en compte les mesures de préservation de la survenue de cette acidité », a expliqué Dr Louis Yaméogo, agro-pédologue et Directeur général du Bureau national des sols du Burkina Faso (BUNASOLS).

80 % des sols des Hauts-Bassins sont acides
Dr Yaméogo indique qu’en 2024, une étude du BUNASOLS, en partenariat avec le Programme de résilience du système alimentaire en Afrique de l’Ouest, a montré que plus de 80 % des sols dans la région des Hauts-Bassins, zone de production cotonnière, sont touchés par l’acidité, qui est une forme de dégradation des sols se mesurant par le potentiel d’hydrogène (Ph). « On s’est rendu compte que l’utilisation de la fumure organique est rare et il n’existe presque pas de mesure de conservation des eaux et des sols ; c’est-à-dire que le sol est sujet à l’érosion », dit Yaméogo.
Selon lui, l’acidité des sols dans la région des Hauts-Bassins, à l’ouest du Burkina Faso, est une sérieuse menace pour la production agricole.
Pour voir comment l’acidité des sols affecte le travail des agriculteurs dans cette partie du pays, nous avons rencontré Sylvie Kassongo, une productrice de Diarradougou, un village situé à une quinzaine de kilomètres de Bobo-Dioulasso. Depuis une vingtaine d’année, cette agricultrice de 53 ans cultive neuf hectares de terres, où elle produit, en rotation, de la banane, de la papaye, du manioc et du maïs.
Mais, en 2019, elle constate que certaines cultures ne donnent pas les résultats espérés. « Le rendement n’était pas à la hauteur, et les feuilles jaunissaient », dit-elle. C’est alors qu’elle décide d’utiliser la dolomie et elle amende une tonne à l’hectare. « Quand j’ai appliqué la dolomie, j’ai vu la différence. Et même trois ans après, l’effet est toujours là », dit-elle, ajoutant que « la terre paye toujours lorsqu’on lui donne à manger ».

La dolomie permet d’augmenter le rendement
La dolomie utilisée par Kassongo et bien d’autres agriculteurs provient deTiara, un village situé à près de 400 km de Ouagadougou. C’est là que la Compagnie villageoise d’exploitation minière (COVEMI) extrait depuis 1983 la dolomie.
Le 25 juillet 2025, lorsque nous arrivons sur ce principal site dolomitique du pays, niché sur une colline, une dizaine d’ouvriers extraient des blocs rocheux. Autour de la carrière, une ceinture verte d’eucalyptus entoure le site. « Nous avons planté ces arbres sur 10 hectares, parce que les arbres sont utiles l’environnement », explique Robert Ouédraogo, administrateur délégué de la COVEMI.
Les roches extraites sur le site sont transportées dans l’usine, où elles sont broyées et mises dans des sacs de 50 kilogrammes. « Nous produisons en moyenne 10 000 tonnes de dolomie par an. On peut augmenter la capacité en fonction de la demande. À l’usine ici, la tonne est à 50 000 francs CFA (environ 90 USD), a raison de 2 500 francs CFA (environ 4,40 USD) le sac de 50 kilogramme », a dit Dourignan Soma, commercial à la COVEMI.
Le Burkina Faso a deux importants gisements de calcaires dolomitiques pouvant être utilisés dans l’agriculture : il s’agit de ceux de Tiara et de Souroukoudinga, à Bobo-Dioulasso.
D’après une étude de Dr Issa Martin Bikienga, ingénieur agronome, et ancien Secrétaire exécutif adjoint du Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS), la dolomie produite dans le gisement de Tiara et de Souroukoudinga est « efficace », car elle permet de « réduire l’acidité du sol », afin de favoriser une bonne production agricole.
En effet, en 2020, Christophe Ouédraogo, a mené une étude sur l’efficacité de la dolomie dans la production de la tomate. « Dans les parcelles où le protocole technique recommandé par la recherche a été respecté, le rendement potentiel annoncé par le sélectionneur était de 28 tonnes à l’hectare. Sans dolomie, ce rendement a été atteint. Mais là où de la dolomie a été ajoutée, le rendement est monté à 33,25 tonnes », a expliqué Ouédraogo.

Optimiser l’utilisation des engrais minéraux de 30 % avec la dolomie
L’acidification des sols, selon cette étude, est une des principales contraintes à la productivité mondiale et à la durabilité de l’agriculture et affecte près de 40 % des terres agricoles mondiales.
L’étude précise que l’acidification des sols s’est intensifiée en raison de la surutilisation d’engrais azotés. La FAO ajoute que l’application excessive d’engrais à base d’ammonium est l’une des causes de l’acidification des sols dans le monde. « Au Burkina Faso, les facteurs anthropiques de l’acidification des sols sont plus prononcés. Nous avons le choix des engrais, parce qu’il y a des formes d’engrais qui sont plus acides que d’autres notamment les engrais de formes uréiques, c’est-à-dire qui contiennent beaucoup d’ammonium. Au Burkina Faso, les engrais qu’on utilise sont pour la plupart du temps du NPK et de l’urée. L’urée, c’est essentiellement de l’ammonium. L’utilisation prononce de ces engrais contribue à la libération des ions hydrogène qui acidifient le sol », a indiqué Louis Yaméogo.
Face aux conséquences des engrais, des spécialistes de l’agroécologie suggèrent qu’il faut vulgariser la dolomie qui, soutiennent-ils, peut permettre de réduire l’utilisation des engrais chimiques.
Selon Ouédraogo, l’utilisation de la dolomie permet d’optimiser de 30 % l’application des engrais minéraux tout en maintenant de bons rendements. « Pour une culture de maïs, la recherche recommande 60 kg de NPK et 150 kg d’urée par hectare. Dans l’expérience, une parcelle a reçu cette norme de recherche avec deux tonnes de compost. Une autre parcelle a reçu 30 % de moins d’engrais (NPK et urée), mais en plus, on a ajouté 1,5 tonne de dolomie par hectare, en complément du compost. Après la récolte, la parcelle avec la dolomie a montré un supplément de rendement de 25 à 35 % par rapport à la parcelle témoin. Cela montre que la dolomie permet d’optimiser l’utilisation des engrais minéraux de 30 % tout en obtenant les mêmes résultats, voire un peu plus », a indiqué Ouédraogo.
Ouédraogo estime que la dolomie n’est pas assez vulgarisée par le ministère de l’agriculture. « À l’école de formation, on nous dit que pour corriger un sol acide, il faut faire du chaulage. Il faut apporter, soit du calcaire, soit du calcaire magnésien. Mais dans la pratique, personne n’utilise le calcaire ou le calcaire magnésien. C’est très paradoxal. On n’a pas porté la dolomie à l’utilisation. Ce qui fait que les producteurs ne le connaissent pas. Donc, ne l’utilisent pas », conclut-il.
Image de bannière : Des sacs de dolomie dans l’entrepôt de la Compagnie villageoise d’exploitation minière (COVEMI), à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso. Image de Hadepté Da pour Mongabay.
L’agriculture biologique attire de plus en plus de producteurs au Burkina Faso
Feedback : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.