- 52 nouveaux blocs pétroliers viennent d’être ouverts à l’exploration dans la Cuvette centrale en République démocratique du Congo. D’après des documents internes transmis par des activistes, ces blocs recouvreraient près de la moitié du territoire congolais.
- Depuis l’annonce, des centaines d’ONG congolaises et internationales marquent leur opposition au projet.
- La Cuvette centrale concentre le plus grand complexe de tourbières tropicales au monde. Les tourbières sont un écosystème humide qui possède une grande capacité de stockage du carbone, leur destruction peut avoir un impact négatif sur le climat.
- Ce projet entrerait en conflit direct avec le projet de Couloir Vert Kinshasa- Kivu, visant à protéger les forêts et les tourbières.
52 nouveaux blocs pétroliers viennent d’être ouverts à l’exploration dans la Cuvette centrale en République démocratique du Congo (RDC). C’est le ministre congolais de la communication et des médias, Patrick Muyaya qui l’a annoncé lors du compte rendu du Conseil des ministres du 2 mai 2025. « En plus des trois blocs déjà attribués, Mbandaka, Lokoro et Busira, à la société CoMiCo, 52 nouveaux blocs pétroliers viennent aussi d’être ouverts à l’exploration, constituant un portfolio de 55 blocs dans la Cuvette centrale », a dit le ministre. Une annonce de taille au regard de l’importance de la Cuvette centrale pour le climat.
La RDC concentre 60 % des forêts du bassin du Congo, la deuxième plus grande forêt tropicale au monde. Mais, si le bassin du Congo est considéré comme l’un des deux poumons du monde (le premier étant l’Amazonie), la Cuvette centrale en est ses alvéoles.
D’après une étude parue en 2023, dans la revue Remote Sensing, la Cuvette centrale est le plus grand complexe de tourbières tropicales au monde, s’étendant à la fois sur la RDC et sur la République du Congo voisine.
Les tourbières sont un écosystème humide possédant une grande capacité de stockage du carbone. Bien qu’elles ne couvrent que 3 à 4 % de la superficie des terres émergées de la planète, elles contiennent jusqu’à un tiers du carbone du sol mondial. Cela représente le double de la quantité de carbone présente dans l’ensemble des forêts sur terre. Et lorsqu’elles sont dégradées, le carbone stocké est relâché dans l’atmosphère.
Dans un contexte de changement climatique, à cause en partie des émissions de gaz à effet de serre comme le CO2, la préservation des tourbières est essentielle.
Aussi, l’annonce de l’ouverture des 52 blocs n’a pas manqué de faire bondir les défenseurs de l’environnement. « Comment est-ce que le gouvernement peut faire le plaidoyer pour protéger les forêts en disant que la RDC est un pays solution face aux catastrophes climatiques, et en même temps, faire le plaidoyer auprès des pétroliers pour venir explorer et exploiter le pétrole ? », dit John Toli Lufukaribou, directeur exécutif de l’ONG congolaise Forum des engagés pour le développement durable (FORED).
Surtout que la RDC a déjà l’expérience de l’exploitation pétrolière à l’ouest, à travers un bloc tenu par la multinationale franco-britannique Perenco. « Le résultat est catastrophique. La cité de Muanda (où se trouve l’exploitation, ndlr) est connue comme étant la cité (pétrolière, ndlr), la plus pauvre du monde. Alors que, au contraire, l’extraction du pétrole devrait booster le développement du pays. La cité de Muanda devrait être Qatar, la cité de Muanda devrait être Doha ou Dubaï de la RDC. Mais ce n’est pas le cas », dit Lufukaribou.

Même si cette fois, il ne s’agit pas d’exploitation mais d’exploration, le risque est là comme l’explique l’ONG britannique RainForest UK, dans un rapport publié en 2022, au moment où le gouvernement de la RDC avait procédé à une vente aux enchères de 30 blocs pétroliers et gaziers : « Au-delà des impacts sur le climat, l’infrastructure nécessaire à l’exploration pétrolière dans cet écosystème éloigné et très sensible pourrait elle-même modifier les schémas de drainage, contaminer l’eau et exposer des zones forestières auparavant intactes à une nouvelle déforestation ».
Face à la menace, la riposte s’organise. Les déclarations d’opposition à l’ouverture de ces blocs émanant de différentes organisations congolaises et internationales se succèdent.
Le 14 mai, la coalition « Notre terre sans pétrole », qui rassemble 176 ONG comme Greenpeace ou Extinction Rébellion, manifeste son mécontentement dans les rues de Londres, à l’occasion de l’Africa Energies Summit.
« On est obligé même de protester contre cela. À l’Est (de la RDC, ndlr) les conditions sécuritaires ne nous permettent pas de manifester, mais on tient la population informée et on laisse ceux qui le peuvent, manifester. Avec une coalition, nous sommes plus forts », dit Pascal Mirindi, membre de la coalition et membre d’Extinction Rébellion à Goma, ville de la RDC actuellement sous contrôle du groupe armé M23. « On attend juste la cartographie pour savoir où exactement sont les blocs. Nous savons que ça va toucher les provinces du Maï-Ndombe, de l’Équateur, une partie du Kongo-central. Mais nous voulons voir réellement cette cartographie pour aller parler avec les communautés. Parce que ce sont des forêts qu’elles ont conservées depuis des années qui seront en péril. Elles doivent être consultées ».
Pour le moment, aucune carte des blocs n’est disponible sur le site du ministère des hydrocarbures. Une façon de faire qui contraste avec la mise en vente en grande pompe de 30 blocs pétroliers et gaziers faite en 2022, par le gouvernement congolais, avant d’être annulé en octobre 2024, face au manque d’engouement des entreprises pétrolières.
Pour Lufukaribou, cette discrétion n’est pas due au hasard. « Le gouvernement sait que les communautés ne sont pas d’accord avec ce projet, qu’on va barrer la route. Donc, le gouvernement ne rend pas les documents publics, parce qu’ils savent qu’en nous informant, ils vont nous donner le pouvoir de résister ».
Mongabay a contacté le ministère des hydrocarbures, afin d’en savoir plus, mais notre demande d’interview est restée lettre morte.
Toutefois, plusieurs activistes ont transmis à Mongabay un document interne qui, selon eux, proviendrait de l’une de leur source au ministère. Ce document contient les coordonnées géographiques de 49 de ces blocs pétroliers. La modélisation donne ce résultat.

En tout, selon ce document, 1 054 441 km 2, soit environ la moitié du territoire congolais, serait concerné. Lors de l’annonce, le ministre de la communication et des médias, Muyaya, a précisé que « ce découpage, fait avec l’expertise du ministère de l’Environnement, a abouti à la création de meilleurs blocs ouverts à l’exploration basée sur le contrôle des données techniques respectant ainsi les limites des aires protégées ». Comme on peut le voir sur la carte, c’est le cas, les aires protégées semblent épargnées.
Même si, pour le moment, nous ne pouvons pas identifier cette carte, il est clair que les blocs, par leur superficie, risquent d’entrer en conflit avec une autre initiative de l’Etat, lancée en janvier dernier : le projet de Couloir vert Kivu-Kinshasa. « Nous pensons que le couloir vert Kivu- Kinshasa est un très bon projet. Mais si vous voyez un peu la carte du couloir et la carte de ces blocs, elles sont les mêmes », dit Mirindi.
Long de 550 000 km2, dont 60 000 km2 de tourbières intactes, ce projet vise à sauvegarder le bassin du Congo. Au moment de son lancement, le président de la République, Félix Tshisekedi, avait déclaré : « La déforestation du bassin du Congo met en danger l’humanité toute entière. Sa préservation garantira que les objectifs de l’Accord de Paris restent en contact, tout en jetant les bases d’un nouvel avenir pour le peuple congolais caractérisé par l’unité, la stabilité et la prospérité ». Une préoccupation qui semble bien loin avec l’ouverture de ces blocs.
« Moi, ça me choque de voir que, dans le rapport du Conseil des ministres, il est écrit que même le ministère de l’Environnement a été d’accord avec ça. Je pense qu’il faut aussi arriver à questionner notre ministre de l’Environnement pour lui demander quel est le jeu auquel elle joue », dit Mirindi.
Mongabay a contacté le ministère de l’Environnement, afin d’en savoir plus, mais notre demande d’interview est restée lettre morte.
Image de bannière : Vue aérienne de la rivière Monboyo et de la forêt tourbeuse du Parc national de la Salonga, au sud-est de Mbandaka, en RDC. Image de Daniel Beltrá/Greenpeace.
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