- Un récent rapport présente les conclusions d’une enquête réalisée par l’ONG Global Witness sur les activités d’exploration pétrolière menées dans les plus vastes tourbières mondiales, dans le bassin du Congo.
- La République du Congo et la société ayant obtenu l’autorisation de prospecter un bloc abritant plus de 6 000 km² (2 300 mi²) de tourbières plaident pour le droit du pays à tirer profit de ses ressources pétrolières et déclarent se conformer à une réglementation environnementale stricte.
- Global Witness révèle toutefois que l’étude d’impact environnemental réalisée sur ce bloc remonte à juillet 2013, soit près d’un an avant la découverte par des scientifiques de l’existence de ces tourbières riches en carbone.
- Les auteurs notent également qu’un accord engageant 65 millions de dollars pour la protection des tourbières et des autres forêts tropicales du Congo ne prévoit pas d’assigner de statut juridique spécial aux tourbières avant l’horizon 2025.
Situées en Afrique centrale, les tourbières du bassin du Congo n’abritent pas uniquement d’importants stocks de carbone et certains de nos cousins les plus menacés du règne animal, dont des gorilles ou des chimpanzés. Leurs sous-sols pourraient également receler d’immenses réserves d’hydrocarbures, ce qui incite investisseurs et gouvernements à aménager la Cuvette centrale et notamment ses forêts marécageuses.
Global Witness, une ONG spécialisée dans le journalisme d’investigation, a publié le 28 février dernier un rapport laissant entendre que l’intérêt grandissant pour les potentielles réserves d’hydrocarbures de la Cuvette centrale fait passer au second plan les efforts de protection de son écosystème. En collaboration avec l’hebdomadaire allemand Der Spiegel et le site d’information français Mediapart, l’équipe de Global Witness a mis en évidence l’inadéquation des études d’impact environnemental et le manque de fondement des annonces faites sur la quantité de pétrole présent dans la Cuvette.
L’attention de l’équipe s’est plus particulièrement portée sur le bloc pétrolier de Ngoki, qui renferme plus de 6 000 km² (2 300 mi²) de tourbières et pour lequel le gouvernement a accordé un permis de prospection à la société congolaise privée PEPA (Petroleum Exploration and Production Africa).
En plus de soulever la question de l’impact environnemental, les chercheurs se sont également interrogés sur les liens qui unissent la famille du président congolais, Denis Sassou-Nguesso, et Claude Wilfrid Etoka, le « principal actionnaire » de la société PEPA. Ces relations représenteraient selon l’équipe un conflit d’intérêts.
Etoka a déclaré à Global Witness que, s’il entretient des liens d’amitié avec des membres de la famille dirigeante, il n’est toutefois pas question de relations d’affaires.
En réponse au rapport, la PEPA s’est exprimée dans un communiqué publié en ligne. La société affirme avoir commandité des études avant de forer son premier puits dans le bloc de Ngoki, qui auraient toutes conclu « à un impact limité des opérations de recherche puis d’exploitation d’hydrocarbures à partir du site ».
Le gouvernement de la République du Congo a quant à lui fait valoir son droit à tirer profit de l’exploitation des gisements potentiellement présents dans les tourbières.
Thierry Moungalla, le ministre congolais de la Communication et des Médias, s’est prononcé sur Twitter suite à la publication du rapport de Global Witness : « [a]insi, tout en préservant les tourbières, patrimoine écologique mondial, le pays, soucieux de promouvoir son droit légitime au développement, s’est engagé à effectuer les recherches environnementales les plus strictes ».
Moungalla a également mis en doute la fiabilité de l’une des sources de Global Witness qui affirmait que les tourbières pourraient contenir moins de pétrole qu’initialement annoncé par le gouvernement. (D’autres observateurs se sont ouvertement demandé si le fait d’autoriser les forages dans la Cuvette centrale ferait réellement tripler la production du pays, la portant ainsi à près d’un million de barils par jour).
Colin Robertson, militant chez Global Witness et co-auteur du rapport, a déclaré que l’étude d’impact environnemental (EIE) du bloc de Ngoki ne fait pas explicitement état des dégradations potentielles que pourrait infliger l’aménagement d’infrastructures pétrolières. Lui et ses collègues rappellent en outre que l’EIE remonte à juillet 2013, soit près d’un an avant la découverte des tourbières par des scientifiques en 2014. Des cartes complètes de ces tourbières, dont la superficie d’environ 145 500 km² (56 000 mi²) est comparable à celle du Népal, n’ont été publiées dans la littérature scientifique qu’en 2017. Les spécialistes estiment à 30 milliards de tonnes la quantité de dioxyde de carbone renfermée par ces tourbières.
En septembre 2019, la République du Congo a signé un accord engageant 65 millions de dollars pour la protection de ses forêts dans le cadre de l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI). La lettre d’intention mentionne la « minimisation de l’impact, direct et indirect, des activités d’exploitation minière et d’hydrocarbures sur les stocks de carbone et la biodiversité de la forêt et des tourbières ». Global Witness ajoute que, bien que l’accord évoque l’attribution d’un statut juridique spécial pour décembre 2025, il reste toutefois vague sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir.
En 2018, la République du Congo avait ouvert à la prospection pétrolière plusieurs blocs de terre situés à l’extrémité nord du pays, dans une zone qui recouvre partiellement le parc national de Nouabalé-Ndoki. Ce dernier fait partie d’un site transnational classé au patrimoine mondial de l’UNESCO et est connu pour ses forêts verdoyantes et la grande diversité des espèces qu’il renferme.
« Il nous apparaît comme contradictoire de vouloir continuer à mener des activités de forage tout en promettant de protéger la zone », a déclaré Robertson lors d’une interview. Il a ajouté qu’il pouvait se produire beaucoup de choses en l’espace de cinq ans.
« À l’évidence, si la zone devait être ouverte à l’extraction pétrolière entre aujourd’hui et 2025, elle pourrait se voir considérablement dégradée avant que les tourbières accèdent à un statut d’aire protégée », a-t-il précisé.
Bannière : forêt pluviale du bassin du Congo de Corinne Staley via Flickr (CC BY-NC 2.0).
John Cannon est membre de l’équipe de rédaction de Mongabay. Retrouvez-le sur Twitter : @johnccannon
Bibliographie :
Dargie, G. C., Lewis, S. L., Lawson, I. T., Mitchard, E. T. A., Page, S. E., Bocko, Y. E., & Ifo, S. A. (2017). Age, extent and carbon storage of the central Congo Basin peatland complex. Nature, 542, 86. doi:10.1038/nature21048
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2020/03/oil-exploration-at-odds-with-peatland-protection-in-the-congo-basin/