- Les effets des variations climatiques commencent par perturber la production de l’igname au centre et au nord du Bénin.
- Espérant une bonne récolte, les agriculteurs ont été surpris de constater d’énormes pertes lors de la campagne agricole 2023-2024.
- Pour s’adapter, ils développement de nouvelles pratiques culturales pour contourner la forte chaleur et le déficit de pluie qui balaient les régions de production de ce tubercule, pour sauver les superficies emblavées.
La production de l’igname lors de la campagne agricole 2023-2024 a stressé la plupart des agriculteurs qui ont essuyé des pertes. « Le climat a changé et le soleil brille suffisamment. Pendant la saison 2023-2024, nous avons planté l’igname, au moment où la plante doit germer, on ne voyait rien. Quelqu’un parmi les producteurs a déterré pour voir ce qui se passe et a constaté que l’igname a déjà pourri. Il a donné l’alerte aux autres qui ont fait le même constat. La désolation était totale », raconte Ibrahim Karim, producteur d’igname, à Katabam, dans la commune de Copargo au nord-ouest du pays.
Assis sous un arbre pendant son récit, il avait l’air abattu. « Quand je me souviens de qui s’est passé, je n’ai que de mauvais souvenirs, ça me fait couler des larmes. L’année-là, il y a trop de chaleur et un manque de pluies. On enregistrait jusqu’à 41°C », dit Benjamin Ouorou, lui aussi producteur d’igname, rencontré par Mongabay à Copargo situé à 482 kilomètres de Cotonou, au Bénin.
Dr Alban Etchiha, enseignant-chercheur en ressources phytogénétiques et protection des cultures, à l’université d’Abomey-Calavi, au Bénin, explique « qu’en cas de pluies sporadiques suivies de poches de sécheresse, l’humidité retenue dans les buttes se transforme en environnement humide, chaud et asphyxiant, propice à la pourriture ».
Il souligne que « l’igname est une culture tropicale qui préfère un climat intertropical humide ou équatorial. C’est une espèce héliophile [qui aime la lumière] exigeant une température modérée entre 26 et 30°C pour un bon développement et une pluviométrie de 1 200 à 1 800 mm de pluie par an, surtout au moment de la germination et de la croissance ».
Pendant la dernière campagne agricole au cours de laquelle les producteurs ont eu de pertes, « le département de la Donga [au nord-ouest du pays, Ndlr] a enregistré au 31 octobre 2024, une hauteur moyenne d’eau de 1061,94 mm. En cas de forte chaleur combinée à un déficit de pluie, le développement de l’igname est perturbé. La semence peut pourrir dans le sol s’il y a alternance de périodes de forte chaleur et d’humidité, ou si les pluies arrivent trop tard », précise-t-il.

Au Bénin, l’igname (Dioscorea) est la deuxième culture vivrière derrière le manioc avec une production nationale évaluée à plus de 3 150 248 tonnes en 2020. L’igname est produite dans plusieurs régions du pays, dont les départements des Collines, du Borgou, de la Donga, de l’Atacora, de l’Alibori, du Zou et du Plateau. Les variétés les plus cultivées sont Dioscorea rotundata, Dioscorea alata et Dioscorea dumetorum.
Tirant leçons de ce qui leur est arrivé, les agriculteurs adoptent de nouvelles pratiques culturales pour contourner les effets du soleil dans les champs d’igname. Ils retardent la mise en terre des semences. Au lieu de planter l’igname en novembre ou décembre, les producteurs font la mise en terre des mois plus tard. « Nous avons planté en février et d’autres en mars et avril, pour éviter que le soleil ne fasse le même effet », a dit Karim.
En dehors de ce décalage, la culture de certaines plantes est recommandée aux agriculteurs pour que les buttes ne soient plus directement en contact avec les rayons solaires. « Je me suis rapproché des techniciens qui m’ont proposé le mucuna, une plante légumineuse, et le pois d’angole », a dit Ouorou.
Selon ses explications, le mucuna (Mucuna utilis), est une plante fertilisante qui protège le sol contre les rayons du soleil. « Après le labour des buttes, il faut semer le mucuna dans le champ, une plante rampante qui donne assez de feuilles avant la fin de la saison des pluies et cache les parties nues du champ. Et quand le soleil commence par envoyer ses rayons, ce sont ces feuilles qui atténuent la chaleur. C’est comme un parapluie pour le sol », dit Ouorou.
En dehors de mucuna, précise-t-il, il y a le pois d’angole (Cajanus cajan), qui pousse en hauteur. Il produit des feuilles pendant la saison sèche pour aérer le climat et atténuer l’effet des rayons solaires dans le champ. Le mouvement du soleil fait bouger l’ombrage des plants de pois d’angole et protège les buttes d’igname contre le soleil. « Dès que l’agriculteur fait les buttes, le mois d’août ou septembre, il faut qu’il ensemence le champ avec une forte densité de mucuna qui va mourir pendant la saison sèche. Mais il aurait déjà produit une biomasse qui va permettre de réduire l’effet de la chaleur sur le sol durant les mois de décembre, janvier, février et mars », précise Firmin Amadji, ingénieur agronome, président du bureau d’études Sol Consult Africa SolCA SAS, rencontré à Bohicon, à 134 km de Cotonou, en voyage sur le nord du pays.
Il s’est empressé d’ajouter que le mucuna est une plante fétiche qui a plusieurs avantages. Il peut, selon lui, entre autres, être utilisé pour contrôler les mauvaises herbes dans les champs, car, il ne leur permet pas d’avoir de la lumière et elles meurent. Les feuilles de mucuna forment un paillis et conserve l’humidité. En se décomposant, elles constituent de l’humus pour le sol. « Le pois d’angole est une plante à mettre dans le dispositif de la culture d’igname. Il faut le planter en association avec le maïs. Son ombrage permet de contrôler les mauvaises herbes. C’est une plante biennale qui meurt après deux ans. Ces feuilles enrichissent le sol. Il est conseillé aux agriculteurs de ne pas tout couper, pour que les pieds laissés dans le champ servent de tuteurs pour l’igname », dit Amadji, spécialiste en agroécologie.
Avec ces pratiques culturales, à l’en croire, les producteurs sont à l’abri des pertes liées aux effets de la chaleur. Quant au manuel technique sur la production durable de l’igname, il suggère, en guise de solution, la plantation étalée (semis sur deux ou trois périodes successives dans le temps avec la même variété ou des variétés différentes).

Pertes significatives
« Des agriculteurs ont perdu 100 % de leur production. J’ai failli couler les larmes au moment où j’ai rencontré un agriculteur dans le département du Borgou, au nord, qui a perdu la totalité de son champ d’igname. Il a acheté à nouveau les semences pour 400.000 francs CFA [676 USD], qu’il a replanté, et c’est le statu quo », dit Amadji.
Selon lui, d’autres producteurs des départements de l’Atacora et de l’Alibori, toujours au nord du pays, ont eu d’énormes pertes.
Selon les témoignages des agriculteurs rencontrés dans la Donga, la campagne agricole 2023-2024 a été un cauchemar. « J’ai labouré 3000 buttes dans un champ. Les 70 % n’ont pas germé, les semences ont pourri. Et pour faire la production cette année-là, j’ai fait un prêt que je n’ai pas encore remboursé », dit Karim, en mars 2025.
À Pélébina dans la commune de Djougou, Taïrou Takpara déclare avoir labouré plus de 3000 buttes. Et c’est le quart qui a germé. « Dans mon champ, j’ai fait plus de 2300 buttes, à peine 650 ont bien germé. Ce qui fait environ 71 % de perte enregistré pendant cette saison 2023-2024. Dans les autres localités de Djougou, Ouaké et Copargo, c’est la panique dans le rang des producteurs », a confié Ouorou.
Cependant, dans la commune de Dassa-Zoumè (située à 208 km de Cotonou), Sossim Karo, producteur à Soclogbo déclare avoir perdu une partie de son champ d’igname. « J’ai eu de perte liée à la chaleur, évalué à environ 40 %. Le soleil était tellement ardent, il faisait chaud partout, au point où je n’arrivais pas à rester dans le champ. Cette chaleur a fait que beaucoup de semences ont pourri dans les buttes », dit-il, assis sur une pierre sous un arbre non loin des buttes.
Les chants des oiseaux, les bruits de machettes d’autres agriculteurs des champs voisins et le bruit des bœufs à la recherche de pâturage déchirèrent le silence de temps en temps. Plus loin, deux jeunes hommes, dos arrondis sous les rayons ardents du soleil, labourent des buttes d’igname et posent les coussinets faits à base d’herbes, en cette fin de matinée du 26 mars 2025.
Pendant que les producteurs des communes du nord Bénin ont enregistré d’énormes pertes de 70 % et plus, ceux de Dassa-Zoumè et Savalou (située à 236 km de Cotonou) dans le département des Collines, ont constaté des pertes de 25 % lors de la même saison. « J’ai eu environ 25 % de perte des semences d’igname dans les buttes l’année 2024 », a confié Nassirou Zakari, producteur d’ignames à Daaga Doho, à Savalou.
Selon les explications de Etchiha, « pendant que la Donga a eu une moyenne de 1061,94 mm de pluie, la zone du département des Collines a enregistré une hauteur moyenne d’eau de 1198,11 mm. Ce qui montre que le seuil pluviométrique annuel (1200 mm) pour le bon développement de l’igname est presqu’atteint. Cela explique les différences de pertes entre ces deux départements qui ne sont pas dans les mêmes zones agroécologiques ».
Pour éviter ces pertes, il invite les producteurs à choisir la bonne période de plantation, en fonction des prévisions agrométéorologiques et agroclimatiques et de diversifier les variétés d’igname car, certaines sont plus résistantes à la sécheresse.

L’effet des arbres sur les buttes d’igname
De Dassa-Zoumè à Savalou en passant par Djougou, Ouaké, Copargo, les agriculteurs sont restés unanimes sur le fait que les arbres dans les champs sont bénéfiques pour la culture de l’igname. Dans le champ de Karo, à Soclogbo, il y a des buttes labourées sous des arbres. « Quand j’ai effectué une descente sur le terrain, les quelques buttes qui croissaient étaient celles sous les ombres. Toutes les buttes exposées au soleil n’ont rien donné. J’ai attiré l’attention des agriculteurs sur la conservation d’au moins 25 arbres à l’hectare. Un principe qu’ils ne respectent pas. Et les conséquences sont là », dit Amadji.
Pour Etchiha, « les arbres procurent de l’ombre, donc réduisent la température au sol. Ils régulent l’humidité en ralentissant l’évaporation. Ils peuvent aussi protéger les buttes contre les pluies violentes et réduire l’érosion. Cela montre toute l’importance de l’agroforesterie (cultiver sous couvert végétal) en tant que piste sérieuse d’adaptation ».
Ce principe de maintien d’arbres dans les champs d’igname est confirmé par Ouorou qui a fait remarquer que l’igname peut être produite sous les arbres de néré (Parkia biglobosa) et de karité (Vitellaria paradoxa), des arbres à hauteur. Car, quand l’arbre est bas avec son ombrage, le phénomène de photosynthèse ne peut pas se produire et l’igname ne donne pas le résultat escompté.
Aussi, il soutient que quelques arbres laissés dans les champs contribuent à réduire l’effet de la chaleur. Il dit avoir constaté lors de la campagne 2023-2024, que c’est dans les endroits où il y a d’arbres, que l’igname a produit. Les buttes exposées au soleil n’ont rien donné. La mortalité était très prononcée. « J’ai enregistré beaucoup de pertes dans les zones où il n’y a pas d’arbres. J’ai poussé ma curiosité pour voir comment se comporte l’ombre de l’arbre dans la journée à partir de 10 heures jusqu’à 17 heures. J’ai constaté que la mortalité est forte avec le soleil, entre 11 heures et 17 heures. Là où l’ombre passe de 10 heures à 17 heures, je n’ai pas enregistré beaucoup de mortalité. Dans un autre champ où il y a d’arbres, la mortalité est très faible par rapport au champ dans lequel il n’y a pas assez d’arbres. J’ai conclu que la présence d’arbres a un avantage dans la production d’igname », dit-il.
De l’expérience de cet agriculteur, le déboisement a des conséquences négatives sur l’agriculture. À Daaga Doho, Zakari Soumanou, producteur d’ignames, a rappelé que « par le passé, la végétation était dense. Au point où, pour produire de l’igname, l’agriculteur abattait quelques arbres et laissait d’autres. Ce qui fait que l’igname ne recevait pas assez de soleil et la production étaient abondante. Actuellement, l’homme détruit la végétation avant d’emblaver des superficies ».
Le rendement
Dans les champs parcourus, les tailles des buttes diffèrent. Les agriculteurs ont expliqué que le volume de la butte dépend de la variété. Dans le département des Collines, ce sont des buttes moyennes. Dans le département de la Donga, les buttes sont de différentes tailles.
Selon Ouorou, « l’igname précoce nécessite de grandes buttes. Cette variété n’aime pas les endroits durs. Plus la taille de la butte est grande, plus l’igname à l’espace pour grossir. Ainsi, il y a de gros et longs tubercules. Si le tubercule dans sa progression dans la butte, rencontre un sol dur, il ne peut plus aller en profondeur et commence par faire des ramifications. Quand la butte est de grande taille, avant que le tubercule n’atteigne la limite de la butte, il a déjà atteint sa phase de maturité. La grosse igname a beaucoup de racines. Avant qu’elle ne commence par pousser, elle envoie ses racines dans toute la butte ».
« Si la butte est petite, les racines se retrouvent hors de la butte et ne peuvent plus capter les nutriments et la plante n’a plus de feuillage. Ce qui impacte le rendement. Or, plus le plant d’igname a de feuilles, plus il produit de bon tubercule », ajoute Ouorou.
« L’igname ordinaire n’exige pas de grandes buttes. Il y a l’igname intermédiaire qui n’est ni grosse ni petite. Pour cela, il faut des buttes moyennes. Elle n’est pas assez grande parce qu’elle n’a pas beaucoup de racines comme la grosse igname. La réalisation des buttes est fonction de la variété d’igname. Il y a aussi l’igname ordinaire. Ce type d’igname aime s’enfoncer dans le sol dur pour chercher ses nutriments », précise-t-il.
Parlant du rendement, des agriculteurs ont fait savoir qu’il y a des interdits dans les champs d’igname. Et le non-respect peut contribuer à la baisse de rendement.
Selon Karim, une femme en menstrues n’a pas accès aux champs d’igname. Ce sont, dit-il, des traditions reçues des grands-parents. De même, poursuit-il, on ne porte pas de chaussures pour rentrer dans un champ d’igname. « Une femme ne doit pas uriner dans un champ d’igname. Quand les tubercules commencent par produire, le champ ne doit pas être traversé avec chaussures aux pieds », dit Karim.
Pour Ouorou, « ce n’est pas scientifiquement prouvé que ces interdits ont d’effets sur le rendement. Même si c’est réel, nous manquons d’éléments d’appréciation ».

Une culture agroécologique
Les agriculteurs rencontrés soutiennent que l’igname ne peut être cultivée qu’avec de l’engrais naturel. A les en croire, ses engrais sont issus des racines d’arbres abattus et des résidus de récoltes. « Quand l’arbre est détruit, la décomposition de ses racines constitue de l’humus pour l’igname », dit Zakari.
Rejetant l’utilisation des engrais chimiques, Ouorou, souligne que l’igname n’a pas besoin de l’engrais chimique. « C’est à nos risques et péril quand on produit les céréales avec de l’engrais chimique. Même quand la dose est respectée, il y a toujours des traces des produits chimiques et qui ont des effets secondaires sur la santé de l’homme. L’igname est un tubercule. Si vous mettez de l’engrais chimique, les produits vont directement dans le tubercule. Cela pose le problème de conservation et de consommation », dit-il.
Pour Nassirou, l’igname perd ses qualités quand elle est produite avec des intrants chimiques. « Quand cette igname est pilée, elle n’est pas élastique », dit-il. N’Tchrabi Opalè et Karo, tous producteurs, à Soclogbo, condamnent l’utilisation de l’engrais chimique pour la production de l’igname.
Selon Etchiha, « dans les pratiques traditionnelles de production d’igname, l’utilisation d’engrais chimiques n’intervient généralement pas ».
Il nuance et confie que l’usage d’engrais chimiques mal dosés ou mal choisis peut déséquilibrer le sol, favoriser certaines maladies, ou bloquer la germination Amadji indique que « l’igname ne supporte pas les engrais chimiques. Dès que l’amendement chimique passe par là, cela dénature la qualité organoleptique du tubercule. Pour avoir de l’igname de qualité, il faut que la production soit faite dans des conditions agroécologiques ».
Appel aux producteurs d’igname
Amadji pense que la manière de cultiver l’igname doit changer, parce qu’il y a eu rupture dans la tradition. L’igname se faisait sur des jachères de plus de 20 ans. Mais, avec la pression démographique et l’occupation de terres, aucune jachère de ce genre n’est plus disponible dans les espaces coutumiers de l’agriculture.
Etchiha appelle les producteurs à adopter des pratiques plus résilientes : observer le climat, adapter les dates de semis, enrichir le sol naturellement, intégrer des arbres dans les champs et choisir des variétés adaptées.
Ouorou demande aux agriculteurs de changer de méthodes culturales et de laisser les anciennes pratiques des parents. Il demande aussi de cesser de détruire tous les arbres avant la production de l’igname. « Il faut que nous commencions par revoir la période de plantation. Si le champ n’est pas assez ombrageux, il faut retarder la mise en terre des semences d’igname », dit-il. « L’agriculteur peut commencer par planter là où il y a des grands arbres avec de l’ombrage. Et, dès que les pluies commencent, les autres buttes exposées au soleil vont recevoir les semences. Il faut que les producteurs d’igname expérimentent le mucuna et le pois d’angole pour sauver les champs d’ignames », précise-t-il.
« Même si on plante en avril, la récolte peut toujours se faire en août », conclut Takpara.
Image de bannière : Des tas d’igname en vente dans le marché de Copargo au nord-ouest du Bénin. Image de Patrice Soglo pour Mongabay.
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