- À Upemba, un Parc national de la République démocratique du Congo (RDC), une vingtaine de gardes-parc a pris sa retraite, après avoir longtemps œuvré dans la conservation.
- La conservation de la faune et de la flore exige des personnes disponibles, qui se déplacent à travers la nature, en vue d’identifier et de protéger des espèces.
- Mais ce travail attise souvent des conflits parfois meurtriers en RDC. Le Parc Upemba essaie de trouver un équilibre entre conservation et bon voisinage.
Lubumbashi, République démocratique du Congo. – Dans les environs de la ville de Likasi, la 2ème de la province congolaise du Haut-Katanga, précisément à Luambo, parmi le brouhaha du marché local et du trafic routier sur la Nationale n°39, s’ouvre une route de laquelle sortent des camions chargés des roches brutes contenant cuivre et cobalt. Puis, peu à peu, la savane herbeuse et la savane boisée imposent leurs murmures, que trahissent les soufflements de l’asphalte. À quelques 240 kilomètres de là, se tiennent debout des hommes en treillis verts, armes en bandoulière, à côté d’une plaque annonçant le « Parc national de l’Upemba ». Ce sont les éco-gardes. Ceux-ci assureront bientôt notre escorte : un 4×4 et un camion.
Salutation et échange des consignes de sécurité terminés, sur une route en terre battue, le convoi s’enfonce dans la forêt de Miombo, dans la zone sise avant le parc, touffue par endroits, laissant dévoiler des clairières et ses strates à couper le souffle. Plus d’une heure plus tard, apparaît le quartier général du Parc national de l’Upemba (PNU) juché à 1800 m d’altitude. « Bienvenue à Lusinga », annonce le chargé de communication du parc, Antonio Lungangi, la trentaine révolue. C’est là qu’a eu lieu, le 1er avril 2025, la cérémonie de mise à la retraite de 23 éco-gardes.

Mardi 1er avril, tôt le matin, le drapeau de la République démocratique du Congo (RDC) hissé, les derniers réglages finis, la cérémonie démarre à 11 heures en présence de l’administrateur du territoire de Mitwaba, situé au nord du parc, dans la Province du Haut-Katanga et un responsable l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), le service public responsable de la conservation de la faune et de la flore.
Sébastien Kishimba, l’un des agents à l’honneur, avance sous les applaudissements de l’assistance, devant le chapiteau et reçoit une médaille et un foulard. Il obtient aussi ses documents de mise à la retraite, dont le décompte-final, « un montant consistant », assure la directrice du parc, Christine Lain, au cours d’une interview enregistrée peu avant la cérémonie. Kishimba reçoit aussi un cadeau et un peu d’argent, à titre symbolique. Puisque l’administration du parc a décidé de tout payer par voie bancaire, pour des raisons de sécurité.
Kishimba a démarré sa carrière en 1982 à l’unité de patrouille de Kalue dans le Parc Upemba, où il est né d’un père éco-garde. Il a totalisé 42 ans au service de la conservation du parc, et a longtemps compté comme le plus expérimenté de l’équipe. Il se dit « très heureux en partant ».
« Parce que jadis, explique Kishimba, le parc évoluait bien. Mais lorsque les Maï-Maï sont arrivés [en 2008], nous avons beaucoup souffert. Nous dormions dehors avec nos femmes. Mais, puisque nous savions que c’est notre patrimoine, nous devions le défendre. Et nous l’avons beaucoup défendu, et aujourd’hui, nous avons des partenaires qui nous appuient. Nous avons formé des jeunes, grâce au soutien des partenaires. Parce qu’avant de partir, il faut se préparer. Nous aussi, nous nous sommes préparés ».

Pour la première fois, « ce n’est pas dans la mort qu’on se sépare »
Pour la directrice du parc Upemba, ce 1er avril est « une très bonne journée pour le parc de l’Upemba », parce que pour la première fois, « ce n’est pas dans la mort, mais c’est dans la vie » qu’on se dit au-revoir, explique Christine Lain, Cheffe de site et représentante de Forgotten parks en poste à Lusinga depuis octobre 2022.
Pour Lain, cette cérémonie montre que la « renaissance est en train de prendre place et qu’on arrive aussi à soutenir nos anciens éco-gardes dans leur futur en tant que retraités ».
« Cela montre qu’on arrive à dire au-revoir à nos éco-gardes comme il se doit. Malheureusement, les trois, quatre dernières années, on a dû dire au-revoir à nos éco-gardes, parce qu’ils ont été tués sur le champ au cours de leur travail. Ce n’est pas de cette façon que nous aimons dire au-revoir. Et là, c’est la première fois qu’on peut le faire correctement », explique Lain.
Avec ses 203 éco-gardes, le Parc national de l’Upemba (PNU) a grand besoin de rangers. Puisque seule une centaine est en état de résister aux conditions physiquement éprouvantes du travail dans la nature. L’appui financier de l’Union européenne a été nécessaire pour que l’ICCN organise cette mise à la retraite, d’après la direction du parc.

Des armes et pas le braconnage seul
L’un des plus anciens de l’Afrique et l’unique à abriter les zèbres sauvages, fondé en 1939 par l’administration coloniale belge, le Parc national de l’Upemba a vu venir jusqu’en son cœur les violences qui écument encore l’Est de la RDC depuis près de 3 décennies. En 2004, les May-May, un groupe armé local qui avait soutenu le gouvernement au cours de la deuxième guerre du Congo conduite notamment par les rébellions RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie) et MLC (Mouvement pour la libération du Congo) soutenues par le Rwanda entre 1999 et 2005, avait tué 7 personnes à Lusinga.
Le Parc national de l’Upemba et son voisin de Kundelungu, se trouvent dans la région, où opèrent les May-May formés des Mitwaba, des Pweto et des Manono, qui forment le funeste « triangle de la mort », où, en 2012, des miliciens ont tué des chefs de localités et des civils, et forcé à l’errance 400 000 personnes, d’après le HCR.
Dans ces parcs, les May-May s’adonnent au braconnage pour se nourrir et financer leurs activités, d’après les agents du parc interrogés par Mongabay. Les chemins des rangers à qui ils tendent des embuscades les intéressent également, afin de leur arracher les armes. Ce fait a été confirmé par, le responsable de la communication à Upemba, Antonio Lungangi.
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Mais le parc fait également face aux pressions d’exploitations des ressources naturelles. La recherche des ressources minérales, dont la région est pourvue, met également les rangers en conflit avec les exploitants. « Les gens attaquent les éco-gardes à cause du braconnage. Mais actuellement, le braconnage diminue. Il y a maintenant le problème de creusages. Ils cherchent de l’or du côté de Kasenga, du cuivre du côté de Kyubo et Kimpayi. C’est la principale source de conflits », explique Kishimba.

Des Comités de coordination au cœur de l’approche intégrée de conservation
En outre, inspiré s des méthodes des groupes armés, que sont les braconnages et les tueries, le Mouvement du 23 mars (M23) exerce une pression sur les aires protégées de la région orientale de la RDC. À Rwindi, dans le Rutshuru (Virunga), par exemple, le M23 avait forcé les rangers à quitter leurs postes en avril 2024, alors que les May-May en avaient tué 6 la même année.
Pour le directeur des ressources humaines à l’ICCN, Mwamba Matanzi Godefroid, présent à la cérémonie de mise à la retraite des éco-gardes à Lusinga, il faut que tous les acteurs respectent la neutralité des aires protégées et que le Congo et la communauté internationale y contraignent les groupes armés.
« Tout le monde condamne. Mais la condamnation verbale ne suffit pas. Il faut mettre la main pour mâter ce genre d’agression, pour que le Congo puisse bien protéger la nature et que plus ou moins 17 % du territoire national soient sécurisés », explique Mwamba Matanzi.
L’ICCN forme ses rangers aux techniques de guerre, comme paramilitaires. Mais mis au service de la conservation, selon Mwamba Matanzi, ils ne peuvent être mêlés aux conflits politiques.

Tout l’enjeu du renouvellement des gardes-parc, par ailleurs, se veut ainsi tourné vers l’avenir. Comme l’explique Michaël Bakakunda, responsable de la conservation communautaire et développement à Upemba, pour se confirmer comme parc, « il faut rassurer et mesurer chaque jour et chaque instant l’intégrité des ressources et de l’aire protégée ». Il faut des gardes-parc pour cela.
Or, ces derniers sont associés à la force. D’où la nécessité de dialogue permanent avec les populations voisines, souvent démunies, et d’une éducation à l’écologie, insiste Antonio Longangi, le chargé de communication de Upemba. Ce dernier explique que des sensibilisations sont en cours, et qu’en plus, il importe de proposer des alternatives à l’accès limité aux ressources du parc.
Pour cela, les Comités de coordination des sites initiés par le PNU ont été initiés autour du parc. Les paysans associés à la conservation apprennent des techniques de production agricole plus rentables. Ces comités, constitués des leaders locaux et des chefs de localités, sont impliqués régulièrement dans l’élaboration des projets destinés à renforcer leur autonomie alimentaire et leur pouvoir d’achats. Mais comme souvent, le défi est la disponibilité des moyens : les actions dépendent des financements étrangers qui ne s’inscrivent pas dans la durée.
Image de bannière : Des retraités de Lusinga. Image de Didier Makal pour Mongabay.
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