- L'exploitation de l'or dans le lit du fleuve Faléné par les chinois à l’aide de différents engins lourds a détruit l'environnement et le cours d’eau.
- Les orpailleurs maliens, burkinabés, guinéens et d'autres nationalités ont installé les chantiers de cyanure près du fleuve, un produit toxique qui se retrouve finalement dans l'eau tuant les animaux, les plantes, et menaçant la vie des populations.
- Pour laver les boues de minerais, les orpailleurs ont aussi installé des « crasseurs » le long du fleuve, ce qui l'a complètement obstrué.
- Face à ces crimes environnementaux, les populations sont divisées quant à la sauvegarde de ce cours d'eau. Si une partie de la communauté est engagée contre le fléau, certaines populations et autorités locales sont de mèche avec les criminels environnementaux.
En 2023, lors d’une manifestation sur la pollution du fleuve Falémé au cyanure utilisés par les orpailleurs dans le cercle de Kéniéba au Mali, nous avions observé une population totalement désunie sur l’avenir de ce cours d’eau qui se dessèche. En plus de sa pollution au cyanure et au mercure, la Falémé se meurt, non seulement à cause des pelles, des godets, des engins lourds utilisés par les chinois dans le lit du fleuve, mais aussi avec l’utilisation des broyeurs communément appelés «crasseurs » installés par les populations locales pour laver les boues de minerais.
Malgré cette destruction de l’environnement, les populations demeurent divisées quant à la sauvegarde de ce principal cours d’eau qui s’agonise. Si certains s’activent pour l’arrêt de l’orpaillage, afin de sauvegarder ce qui reste, d’autres au contraire soutiennent les destructeurs de l’environnement, notamment les Chinois, à cause des faveurs que ces derniers font à la communauté comme la construction des écoles, des centres de santé, des lieux de culte, l’installation des adductions d’eau et surtout le recrutement de certaines populations locales en qualité de manœuvres.
Le fleuve Falémé traverse le Cercle de Kéniéba, une ville malienne qui fait frontière avec le Sénégal et la Guinée. D’une longueur 650 kilomètres, ce cours d’eau prend sa source en Guinée et il est la frontière naturelle entre le Sénégal et le Mali. Avec une population estimée à 42 657 habitants, selon le dernier recensement de 2024, le Cercle de Kéniéba est situé à 243 km au sud de la ville de Kayes (chef de région). C’est la plus grande zone aurifère du pays avec plusieurs sites miniers industriels et aussi artisanaux. On y retrouve les ressortissants de plusieurs pays comme le Burkina Faso, le Sénégal, le Nigéria, le Ghana, etc.

En 2015, des orpailleurs chinois se sont rués dans ce Cercle avec les machines comme les pelleteuses, les godets, les dragues, les bulldozers, qui creusent dans le lit du fleuve et ses abords à la recherche de l’or. Ce qui a considérablement accentué le dessèchement de ce cours d’eau. Le peu d’eau qu’on retrouve désormais dans quelques parties du fleuve, est aujourd’hui toxique, avec l’avènement des chantiers de cyanure et de mercure installés par les orpailleurs maliens et surtout burkinabés.
« De nos jours, on peut marcher plus 7 km dans le lit du fleuve sans voir la moindre trace d’eau. Pour y voir l’eau, il faut attendre l’hivernage. L’orpaillage a eu raison du fleuve et des pêcheurs », confie, en juin 2024, à Mongabay, Bakary Famanta, un pêcheur professionnel à Macouké, un village situé près de la frontière guinéenne. Selon lui, l’absence d’eau dans le fleuve a poussé nombre de pêcheurs à se reconvertir en orpailleurs ou à immigrer.
Avant sa dégradation avancée, ce fleuve faisait vivre des milliers de familles à travers le maraîchage, le jardinage et la pêche. Ce qui faisait que le poisson était moins cher, de même que les légumes dans la zone de Kéniéba.
Arouna Fofana, membre de l’Association des maraichers du Kéniaba affirme qu’il vendait des camions chargés de bananes et de manioc au Sénégal. Puisqu’il y avait de l’eau pour les animaux, en plus des troupeaux des populations locales, les bergers nomades y élisaient domicile pendant toute la saison sèche. Ils quittaient des localités comme le Cercle de Yelimané, de Nioro, du Sahel ou encore de Diema à la recherche de l’eau à Kéniéba.

Pour mieux protéger le fleuve, afin qu’ils puissent vivre de leur métier, les pêcheurs ont mis en place une association dirigée par Yacouba Konota qui a nous a accordé une interview à Kéniéba. Ce dernier ne cache pas son doute par rapport à la sauvegarde du fleuve Falémé. « Nous avons mené beaucoup de combat pour protéger le fleuve, mais au final, nous nous sommes résignés, car nous avons constaté que les destructeurs de ce cours d’eau sont plus puissants que nous. Je n’ai aucun espoir sur ce fleuve, nous avons notre récépissé et nous demandons à l’Etat et aux projets de nous aider à mettre en place des bassins d’eau dans lesquels nous pourrons faire la pisciculture pour nourrir nos familles », dit Konota, Président des pêcheurs du Cercle de Kéniéba. Selon lui, les « crasseurs » et les pelleteuses ont, non seulement pollué l’eau, mais ont aussi bouché le fleuve.
Mamadou Dabo est le président de l’Association pour la Protection et la survie de l’environnement de Kéniéba et il préside aussi le Conseil local de la société civile de Kéniéba. Il crée son association en 2013 pour lutter contre la destruction du fleuve. Joint au téléphone, Mamadou Dabo admet que la destruction a commencé avant l’arrivée des chinois. « Avant l’arrivée des chinois, on pouvait compter plus de 100 « crasseurs » installés à moins de 2 km sur les bords du fleuve Falémé dans la commune de Dabia, précisément vers les villages de Mamoudouya et Mancouké », dit-il.

Les « crasseurs » étant à l’origine de la destruction, l’arrivée des chinois avec des machines très puissantes comme les pelleteuses, les pelles, les dragues et les godets, qui opèrent directement dans le lit du fleuve pour chercher l’or, a accentué ce crime environnemental sous le regard complice des services techniques de l’Etat chargés de protéger l’environnement.
Pourtant, le Code minier malien interdit ces pratiques : « L’exploitation de substances minérales dans les lits des cours d’eau par dragage, ainsi que par toute autre méthode est interdite ». L’article 195 du Code « punis d’un emprisonnement d’un mois à trois mois et d’une amende de 1 000 000 à 5 000 000 francs CFA », soit 1 598 à 799 USD pour tout contrevenant.
Les femmes du Cercle Kéniéba se battent également pour la protection du fleuve. Elles sont réunies en un groupement local dénommé Coordination des associations et organisations féminines du Cercle de Kéniéba. Djeneba Dansoko en est l’actuelle présidente. Jointe au téléphone, elle souligne que les activités de maraîchage des femmes sont à l’arrêt faute d’eau dans le fleuve.

Selon elle, les machines chinoises ont détruit le fleuve et ses environs et les produits chimiques utilisés par les burkinabés ont pollué le cours d’eau. Mais, elle accuse particulièrement les villageois qui acceptent de vendre leurs terres aux chinois et aux burkinabè. « Ils détruisent le seul héritage légué par leurs ancêtres au profit de l’argent chinois et compromettent l’avenir de leurs enfants. Ces terres ne sont plus utilisables », dit-elle. Elle reconnaît que beaucoup de chef de villages et responsables de la jeunesse locale sont achetés par les chinois et les burkinabè.
L’Association Wassa Ton, qui est implantée dans les 12 communes du Cercle de Kéniéba, a initiée des marches en faveur du fleuve, dont celle de 2022, à la suite de laquelle, trois membres du gouvernement malien et des membres du Conseil national de transition (CNT), se sont rendus à Kéniéba pour constater la dégradation du fleuve. Le président de l’Association Wassa Ton, Aliou Diallo, explique au téléphone à Mongabay, que lors de cette visite, des grandes annonces avaient été faites. Mais, il déplore aujourd’hui la présence massive des pelleteuses, des godets et des « crasseurs » dans le lit du fleuve.
Il rappelle quelques-unes de leurs actions : « Nous avons mené un meeting en 2020, trois meetings en 2021 et la grande marche, quatre meetings en 2022 dont un dans la capitale à Bamako et trois autres en 2023 ». Les nombreux courriers de Mamadou Dabo dans 12 ministères et à la primature, n’ont toujours pas empêché la destruction du fleuve.

Des populations favorables à la présence chinoise dans le fleuve
Bien que le fleuve soit dans un état agonisant, certains sont contre l’arrêt des activités d’orpaillage dans son lit. Pour eux, les chinois sont des partenaires fiables, des créateurs d’emplois. Ils minimisent le désastre écologique causé par les chinois au profit du gain personnel qu’ils obtiennent. Déjà en 2021, un regroupement de jeunes qui soutient la présence chinoise dénommé Association des jeunes leaders du Cercle de Kéniéba avait organisé un meeting pour s’opposer au départ des chinois. Dans les colonnes du journal Délibéré, leur porte-parole, Mamadou Danfaga, s’appuie plutôt sur les réalisations des chinois qui ont aussi donné du travail à beaucoup de jeunes. « J’ai un ami qui travaille avec les chinois et il perçoit 750.000 francs CFA (soit 1251,138 USD) par mois », dit-il.
Comme l’a souligné Djeneba Dansoko, présidente de la CAFO, certains jeunes sous-estiment les effets négatifs des machines chinoises dans le fleuve. Mamadou Diallo en fait partie. Il est membre de l’Association des jeunes leaders de Kéniéba et il est aussi le secrétaire général du Conseil local de la jeunesse de Kéniéba. Il s’oppose au départ des chinois et vantent leurs bienfaits dans le Cercle, dans les colonnes du journal Délibéré : « Nous ne sommes pas d’accord pour le départ des Chinois. Aujourd’hui, les chinois ont creusé plus 100 forages dans le Cercle de Kéniéba. Aujourd’hui dans le domaine du commerce aussi, les motos sont moins chères à Kéniéba qu’à Bamako grâce aux chinois ».
Karim Kanouté est orpailleur dans le village de Mancouké. Il travaille avec les chinois depuis 2021. Il ne cache pas son opposition au départ des orpailleurs chinois. Il a accepté de nous accorder un entretien téléphonique : « Je soutiens les chinois à travers leurs réalisations au profit des communautés. Ici, c’est rare de voir un village à Kéniéba où les chinois n’ont pas creusé deux ou trois forages d’eau. Ils ont construit des mosquées, construit et équipé des centres de santé et des écoles. L’avantage chez eux est qu’ils réalisent dans le village avant de commencer à y travailler ».

Kanouté rappelle les multiples emplois qu’ils créent pour les jeunes et même les femmes qui sont recrutées et payées par mois pour la restauration des chinois. Selon lui, ni les collectivités, ni les sociétés minières industrielles ne pourront faire autant de réalisations comme les chinois.
Les acteurs de la société civile de Kéniéba, à travers Aliou Diallo, président de Wassa Ton et Yacouba Konota, président des pêcheurs dénoncent la complicité et surtout la passivité des autorités locales et des services techniques chargés du contrôle et de la répression.
Adama Guindo est le chef du service local de l’environnement, des nuisances du Cercle de Kéniéba. Avec ses agents, ils sont chargés du contrôle et de répression de tous ceux qui détruisent l’environnement. Malgré nos sollicitations, il n’a pas voulu s’exprimer sur le sujet.
Le Professeur Adama Tolofoudjé est spécialiste en Génie chimique et génie des procédés à la Faculté des sciences et techniques de l’université de Bamako. Il mène des études sur les sites d’orpaillage. Il affirme que le Falémé est sur le point de disparaître et propose une solution. « Même si on arrêtait toutes les activités de dragage et d’orpaillage, il faudrait attendre près de 20 ans pour que la couleur de l’eau de la Falémé devienne normale », dit Tolofoudié à Mongabay au téléphone.

Le maire de Dialafara, une commune traversée par le fleuve, joint aussi au téléphone, déclare que le principal acteur de ce crime environnemental, est la population locale, qui est attirée par l’argent facile. Seydou Sacko parle « des futures générations sacrifiées qui n’auront ni terre, ni eau par une population analphabète à 90 % ». Les 10 % de la population qui sont conscientes des dangers de ces machines et des produits chimiques sont impuissantes pour mettre fin à ces pratiques. Il prône la sensibilisation des populations qui s’autodétruisent.
Le fleuve Falémé se meurt. C’est pourquoi, le Sénégal, a, en août 2024, interdit les activités minières sur la Falémé pendant une période de trois ans. Ce cours d’eau étant la frontière naturelle entre le Sénégal et le Mali, il est indispensable que les deux pays soient sur la même longueur d’onde. Surtout que la dégradation est plus avancée du côté malien. C’est pourquoi le Sénégal propose que « l’État malien prenne aussi de son côté des mesures interdisant l’exploitation de l’or au moins à 500 mètres des berges de la Falémé ».
Plusieurs associations pour la protection de l’environnement ont les yeux tournés vers le gouvernement malien pour sauver la Falémé.
Image de bannière : Une installation d’engins lourds utilisés par les Chinois dans le lit du fleuve. Image de Nouhoum Keita, ancien Directeur exécutif de l’ASFA 21 (Association Solidarité des 21 villages de Faléa) avec son aimable autorisation.
FEEDBACK : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.