- Fin janvier, le groupe rebelle M23 a capturé Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, une région riche en minerais de la République démocratique du Congo, marquant ainsi une escalade majeure dans la violence qui sévit dans la zone depuis des décennies.
- Le conflit en cours dans l’Est de la RDC est alimenté par ses ressources minières, en particulier le coltan et les métaux dits « 3T » (étain, tungstène, tantale), dont une grande partie est actuellement transportée illicitement au Rwanda, selon Jean-Pierre Okenda, expert en ressources de la RDC.
- La chaîne d’approvisionnements de ces minerais est opaque, notamment depuis que le M23 s’est emparé de sites miniers clés comme Rubaya.
- Si la Chine est le plus gros acheteur de coltan au Rwanda, des militants de la société civile de la RDC, dont fait partie M. Okenda, ont appelé l’UE à suspendre son accord sur les minéraux avec le pays.
Le 28 janvier, le groupe M23, soutenu par le Rwanda, s’est emparé de Goma, la capitale de la province riche en minerais du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). La chute de Goma marque un tournant dans un conflit de longue durée dans l’Est de la RDC, qui a fait des millions de morts depuis qu’il a éclaté en 1996. Profondément enraciné dans l’histoire coloniale de l’Afrique centrale, ainsi que dans le génocide rwandais de 1994, l’un des principaux moteurs des combats dans la région est la richesse minière immense de la RDC. En effet, le pays possède la plus vaste réserve de coltan au monde. Ce métal est essentiel pour la production d’appareils électroniques grand public tels que les téléphones et les ordinateurs portables. Toutefois, son extraction est associée à de la déforestation, à de la perte d’habitat et à une pollution des cours d’eau.
Goma n’est cependant pas la seule ville à être tombée aux mains des rebelles. L’année passée, le M23 a pris le contrôle de nombreuses mines lucratives de coltan, d’étain, de tungstène, de tantale et d’or dans l’Est de la RDC, dont la plus grande mine de coltan au monde qui se trouve près de la ville de Rubaya. D’après un groupe d’experts convoqué par les Nations unies, les Forces rwandaises de défense sont présentes en RDC et sont pleinement intégrées aux unités du M23. En outre, la majorité du coltan extrait des mines de Rubaya est illégalement transporté au Rwanda. Lors d’une interview récemment accordée à CNN, le président Paul Kagame a démenti les allégations selon lesquelles le Rwanda exporterait du coltan congolais et a affirmé qu’il n’était pas certain que des soldats de son pays participent au conflit.
Afin de comprendre les dynamiques du secteur minier congolais, la crise actuelle et le rôle joué par le Rwanda, Ashoka Mukpo a interviewé Jean-Pierre Okenda, directeur de l’ONG congolaise Sentinel Natural Resources, pour le compte de Mongabay. Vétéran du secteur extractif depuis 19 ans, M. Okenda a précédemment travaillé avec l’ONG Resource Matters, axée sur la RDC, ainsi qu’avec des organisations américaines telles que le Carter Center et le Natural Resource Governance Institute, en tant que directeur national pour la RDC. Il a créé Sentinel Natural Resources en 2018 et en a pris la tête en juillet 2024, citant la nécessité d’une « voix congolaise nuancée supplémentaire » dans l’élaboration de la politique des ressources de la RDC.
L’entretien qui suit a été révisé par souci de clarté et de concision.

Mongabay : Ce n’est pas la première fois que des combats ont lieu dans l’Est de la RDC, puisqu’ils se déroulent par intermittence depuis des décennies. Quel a été l’impact de la richesse minière de la région sur ce conflit par le passé ? Qu’en est-il aujourd’hui ?
Jean-Pierre Okenda : Je pense que l’accès aux ressources minières de la RDC est au cœur de ce conflit. Le modèle économique [rwandais] nécessite un accès à ces ressources. C’est également d’un petit pays avec une population importante et il semble manoeuvrer pour qu’il s’approprier une partie du Congo. Je sais qu’il y a tous ces conflits ethniques, mais selon moi, la cause principale est l’accès aux minerais et aux terres. Si vous regardez les statistiques de production de coltan, vous verrez que le Rwanda en est le premier exportateur. Comment expliquez-vous cela ? Kigali affirme qu’il y a des mines de coltan au Rwanda, mais peut-il prouver que la production y est aussi importante ? Leur modèle économique inclut l’aide de la communauté internationale, mais les minerais représentent tout de même 30 % du budget de Kigali.
Mongabay : Quels minerais quittent la RDC via cette région et pour quoi sont-ils utilisés ?
Jean-Pierre Okenda : Le plus important est le coltan. Il y a aussi les métaux dits « 3T » [l’étain, le tungstène et le tantale], qui sont dérivés du coltan. Le coltan est utilisé dans de nombreuses technologies, notamment dans la fabrication de téléphones portables. Le Congo est l’un des plus grands producteurs de coltan au monde. Je crois que l’année dernière, il a approvisionné le marché mondial à hauteur de 50 % environ ; il s’agit donc d’un produit d’exportation important.
Mongabay : Je crois savoir qu’au début de l’année dernière, le M23 a pris la ville de Rubaya, où se trouve la plus grande mine de coltan au monde. Comment les chaînes d’approvisionnements ont-elles évolué depuis ?
Jean-Pierre Okenda : Nous ne savons pas vraiment ce qui a changé. Pourquoi ? La chaîne d’approvisionnement elle-même n’est pas tout à fait transparente. Cette mine et celles environnantes avaient mis en place des initiatives de traçabilité, afin de déterminer si les minerais provenaient de « sites verts ». Ce n’est plus le cas depuis que le M23 a pris le contrôle de la région. La chaîne d’approvisionnements est donc très opaque. Il y avait un semblant de transparence auparavant, car il était possible de tracer certains minerais en provenance du Congo, ce qui n’est plus du tout faisable aujourd’hui. Désormais, ils quittent Rubaya en direction du Rwanda et disparaissent.
La chaîne d’approvisionnements au départ du Rwanda vers le marché international, était déjà opaque avant que la guerre n’éclate. Tout cela pour dire que je ne peux pas vous dire avec certitude quels changements elle a subis. Nous savons toutefois que les entreprises chinoises achètent bien leurs minerais au Rwanda. Ils sont ensuite utilisés pour fabriquer des batteries et autres produits qui sont envoyés en Europe, au Royaume-Uni et aux États-Unis.
[Note de l’éditeur : L’International Tin Supply Chain Initiative, qui était active à Rubaya, a été critiquée par le passé par des groupes de la société civile, car elle ne parvenait pas à assurer une traçabilité précise des exportations de minerais.]
Mongabay : Cela nous amène à une question intéressante : savons-nous quelles entreprises chinoises ou européennes s’approvisionnent en coltan rwandais ou en produits fabriqués à partir de celui-ci ?
Jean-Pierre Okenda : Je sais qu’Apple, Samsung et Nikon en ont acheté. Il s’agit d’entreprises américaines, sud-coréennes [et japonaises], mais je n’ai pas les noms de leurs homologues chinois. Il est important de souligner que la Chine est une véritable zone d’ombre dans la chaîne d’approvisionnements du coltan, mais aussi du cobalt ou du cuivre. Cela a toujours été le cas. Nous manquons d’informations sur un acteur majeur qui n’a pas beaucoup investi pour rendre sa chaîne d’approvisionnements transparente. Nous devrions donc faire pression sur elle à cet égard.
[Note de l’éditeur : En décembre 2024, la RDC a déposé une plainte pénale contre Apple, l’accusant de recourir à des minerais de conflit dans sa chaîne d’approvisionnement. Apple déclare avoir demandé à ses fournisseurs de cesser d’acheter des minerais provenant du Rwanda ou de la RDC. Nikon affirme de son côté ne pas utiliser de « minerais de conflit extraits ou traités par des groupes armés ».]

Mongabay : Les contrats entre les importateurs chinois et le Rwanda sont-ils accessibles au public ?
Jean-Pierre Okenda : Non, ils n’ont pas été rendus publics. C’est un autre obstacle auquel nous sommes confrontés, car le Rwanda ne participe pas à des programmes comme l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives. Je n’ai donc malheureusement rien pu trouver malgré des heures de recherche documentaire.
Mongabay : Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la chaîne d’approvisionnements du côté congolais ? Qui sont les mineurs et les acheteurs dans des endroits comme Rubaya, par exemple ?
Jean-Pierre Okenda : La plupart de ces mines sont contrôlées par des mineurs artisanaux. Cela complique la situation, car il est difficile de savoir exactement qui fait quoi. Ils restent rarement au même endroit. Nous avons eu quelques grands acteurs, comme la Société Minière de Bisunzu (SMB), qui intervient dans le traitement initial du coltan. Nous avons aussi des usines à Goma. Elles achètent du minerai aux mineurs artisanaux, le transforment partiellement, puis l’envoient au Rwanda. Nous avons cartographié certains des acteurs congolais : ce sont de très petites entreprises, mais nous disposons de données à leur sujet. La SMB a été le plus gros.
Mongabay : Ces entreprises appartiennent-elles à des citoyens congolais ? Sont-elles toujours en activité maintenant que le M23 contrôle la région ?
Jean-Pierre Okenda : C’est une bonne question. La licence de la SMB a été suspendue avant que le M23 ne s’empare de Rubaya. L’entreprise est confrontée à d’énormes difficultés. Son dirigeant a été arrêté et se trouve ici à Kinshasa ; il est notamment accusé d’avoir collaboré avec Kigali.
[Note de l’éditeur : L’année dernière, le fondateur de la SMB, Édouard Mwangachuchu, a été condamné à mort pour trahison en RDC.]
Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il y avait déjà des activités illégales dans la région avant même que le M23 n’en prenne le contrôle. Mais l’administration publique congolaise était sur place, donc on peut dire qu’elles étaient contrôlées par le gouvernement. Des agents du ministère des Mines étaient présents pour contrôler et enregistrer les mineurs artisanaux impliqués dans la production. Désormais, il n’y a plus que le M23. L’administration publique est complètement absente des sites contrôlés par le M23 et les taxes qui devraient être versées au gouvernement de la RDC lui reviennent en totalité.
Du point de vue congolais, il s’agit désormais d’une exploitation illégale. Conformément au code minier, les mineurs artisanaux en activité devraient être membres d’une coopérative. Autrement, la loi congolaise leur interdit d’exploiter les gisements. Ces entités devraient avoir l’aval du gouvernement. Mais il n’y a désormais plus d’autorisations à demander ni de taxes à payer. La situation est complexe en ce qui concerne les activités minières artisanales et de petite taille.
Mongabay : Les acteurs impliqués, qu’il s’agisse de mineurs artisanaux, de raffineurs ou d’acheteurs, sont congolais, mais ils coopèrent et participent à une chaîne d’approvisionnements qui passe par le Rwanda.
Jean-Pierre Okenda : Tous ces minerais, y compris les 3T, transitaient déjà par le Rwanda avant le conflit, car c’est la frontière la plus proche de l’océan Indien. Cela inclut l’extraction illégale. Un ami basé à Goma m’a dit aujourd’hui que les usines locales ne sont plus approvisionnées depuis que le M23 s’est emparé de Rubaya. Ils n’ont pas de minerais, parce que les mines les plus importantes sont à Rubaya et ses alentours. Or, les mineurs artisanaux ne peuvent plus se rendre à Goma pour vendre ce qu’ils ont extrait.
Mongabay : À votre avis, est-ce parce que les minerais qui auraient dû être envoyés à Goma vont désormais au Rwanda ?
Jean-Pierre Okenda : Oui, précisément. C’est la raison principale. C’est, selon moi, la conclusion logique.
Mongabay : Je voulais également en savoir plus sur l’impact écologique de l’exploitation du coltan, que ce soit à Rubaya ou ailleurs. Quels sont les impacts de ce type d’exploitation sur l’environnement ?
Jean-Pierre Okenda : Il s’agit d’un défi transversal dans l’exploitation minière artisanale. Cela nuit réellement à l’environnement et ne se limite pas uniquement à l’extraction du coltan. Pour protéger l’environnement, il faut réaliser une étude environnementale, ce qui est obligatoire, même pour les coopératives, d’après le code minier. C’est la procédure légale. Mais les mineurs ne la suivent pas. La situation était déjà mauvaise dans les régions contrôlées par le gouvernement. Je pense que les risques vont augmenter, parce qu’un site minier comme Rubaya, qui est la source la plus importante de coltan, sera détruit, sans qu’aucun agent du secteur public ne puisse s’y rendre. Qu’est-ce qui motiverait le M23 à veiller à ce que les normes minimales soient respectées ?

Mongabay : Pour en venir de nouveau à ce que nous disions plus tôt, quelles preuves avons-nous que le Rwanda s’approvisionne et vend illégalement des minerais provenant de cette région de la RDC ?
Jean-Pierre Okenda : Plusieurs rapports et panels d’experts des Nations unies soulignent que c’est effectivement ce que fait le Rwanda. Kigali a toujours démenti ces allégations, mais celles-ci sont également appuyées par plusieurs rapports publiés par des ONG. Il est reconnu dans la région qu’il est préférable de vendre des minerais au Rwanda, car le régime fiscal y est plus avantageux qu’au Congo. Si je vends mes minerais au Rwanda, je réaliserai davantage de bénéfices, j’ai donc tout intérêt à effectuer mes transactions là-bas.
Mongabay : Permettez-moi de tenter de comprendre davantage. Vous dites qu’il est plus avantageux pour un producteur artisanal ou un intermédiaire de vendre ses minerais au Rwanda ?
Jean-Pierre Okenda : Il est surtout question des intermédiaires. Les mineurs individuels, ne pouvant pas transporter eux-mêmes leurs minerais, les vendent, donc à des négociants qui s’occupent de les transporter jusqu’à Goma ou au Rwanda. Au Congo, le régime fiscal est très élevé pour tous, alors qu’au Rwanda, il est faible. C’est une incitation qui participe au problème. C’est également le cas de l’or en Ouganda.
Mongabay : Revenons sur le rôle de la Chine au Rwanda : il semble qu’elle soit la principale acheteuse de ces minerais. Le gouvernement de la RDC a-t-il tenté d’aborder cette question avec elle ?
Jean-Pierre Okenda : Je ne sais pas s’ils ont entrepris quoi que ce soit pour discuter de ce sujet avec les Chinois. L’une des recommandations que j’adresse au gouvernement est de déclarer que tous les sites miniers contrôlés par le M23 sont illégaux. Ce serait un point de départ essentiel pour déconnecter certaines entreprises de l’achat de ces minerais. De petites entreprises chinoises travaillent aussi bien au Rwanda qu’en RDC. Ces investissements chinois ne sont pas responsables, nous le savons, nous devons donc rendre leurs chaînes d’approvisionnement transparentes.

Mongabay : Je trouve très surprenant que la RDC n’ait pas abordé sérieusement cette question avec ses partenaires chinois. Il s’agit d’une crise majeure, le pays est en train de perdre son territoire.
Jean-Pierre Okenda : C’est un point intéressant. Personne ne veut que la chaîne d’approvisionnement devienne transparente, pas même les autorités congolaises. C’est un fait important à souligner.
Mongabay : Pourquoi cela ?
Jean-Pierre Okenda : Les autorités congolaises sont très impliquées dans le secteur minier artisanal. Elles reçoivent beaucoup d’argent. C’est très important. Personne n’a vraiment intérêt à ce que la chaîne d’approvisionnements soit transparente, ni les autorités rwandaises, ni les autorités congolaises, ni les intermédiaires, ni les entreprises chinoises ou autres. Les autorités ont constitué l’un des obstacles à la formalisation de l’exploitation minière artisanale à l’échelle nationale. Maintenant que la guerre approche, les autorités craignent de perdre leur pouvoir et font tout ce qu’elles peuvent pour limiter les dégâts. Mais, auparavant, personne n’avait intérêt à normaliser les choses.
Je trouve qu’il y a beaucoup de discours populistes ici en RDC qui affirment que les pays occidentaux soutiennent le Rwanda, lui fournissent un budget et de l’aide. Mais je ne comprends pas pourquoi le gouvernement n’aime pas aborder le sujet de la Chine. Ils préfèrent se concentrer sur les pays occidentaux et s’intéressent moins au fait que les acheteurs de ces minerais sont chinois. D’après ce que j’ai compris du ministère des Mines, il réfléchit dans la perspective d’une négociation avec la Chine, mais rien n’a encore été fait. Ils n’ont même pas appliqué le code minier auparavant. Je ne comprends pas moi-même.
Mongabay : Concernant les pays occidentaux, l’accord d’approvisionnement en minerais conclu par l’UE avec le Rwanda semble être un sujet majeur. Il est vivement critiqué étant donné les liens entre le Rwanda et le M23. Quel rôle l’UE et les États-Unis ont-ils joué dans ce conflit et que devraient-ils faire différemment,selon vous ?
Jean-Pierre Okenda : Tout d’abord, il y a cet accord « Global Getaway », qui fait partie de la stratégie de l’Europe pour garantir son accès aux minerais critiques bruts. Il s’agit d’une sorte de modèle d’accord, courant, que la RDC a également. Il comprend des dispositions relatives à une feuille de route dans laquelle le gouvernement dit : « Nous acceptons de vous vendre des matières premières ». Des protocoles d’accord garantissent les chaînes d’approvisionnement de ces minerais. Ils les signent avec tout gouvernement qui, selon eux, possède ces minerais, comme le Rwanda. Nous préparons actuellement une lettre qui sera envoyée à l’Union européenne pour lui demander de se retirer de ce protocole d’accord.

Mongabay : L’UE devait vraisemblablement savoir que le Rwanda était impliqué dans le M23 avant de signer ce protocole d’accord, n’est-ce pas ?
Jean-Pierre Okenda : Le protocole d’accord a précédé l’escalade du conflit.
Mongabay : Pensez-vous que l’UE va le laisser en place ?
Jean-Pierre Okenda : Le processus de signature de ce protocole d’accord avec le Rwanda n’a pas été transparent, et je ne suis pas sûr que le Rwanda ait rempli les critères. J’ai entendu dire, et ce, même de la part d’Européens, que la procédure n’avait pas été respectée. En réalité, le Rwanda ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier de ce protocole d’accord. C’était l’année dernière, le M23 était présent, mais n’avait pas encore pris le contrôle de Rubaya, et je pense que personne ne s’attendait à ce qu’il prenne Goma. Toutefois, selon moi, le protocole d’accord est l’une des raisons pour lesquelles le gouvernement congolais s’est davantage concentré sur l’UE que sur la responsabilité du gouvernement chinois.
L’UE va-t-elle suspendre le protocole d’accord ? Non, je n’en suis pas convaincu. La société civile et les ONG de la région ont demandé sa suspension, mais de nombreuses entreprises occidentales ont investi au Rwanda.
Mongabay : C’est un point important. Le Rwanda reçoit beaucoup d’aides de la part des pays occidentaux. Il y a dix ans, lorsque le M23 a pris Goma, il y a eu un tollé et les rebelles se sont rapidement retirés. Cette fois-ci, il ne semble pas y avoir une telle réaction. Qu’est-ce qui a changé ?
Jean-Pierre Okenda : D’après moi, ils sont fatigués de ce conflit, notamment parce que mon pays ne semble pas assumer ses responsabilités.
Mongabay : Mais on dirait que vous blâmez la RDC ?
Jean-Pierre Okenda : Je ne blâme pas la RDC, mais je constate que nous ne cessons de demander son aide à la communauté internationale. Cela n’a aucun sens. Le Rwanda est un petit pays, contrairement à la RDC. Les gouvernements occidentaux ont financé différents programmes de lutte contre la corruption, y compris au sein des forces de sécurité, et je pense qu’ils ont réalisé qu’il y avait peu d’espoir de changer la situation. En tout cas, j’estime que c’est une partie du problème.
Les États-Unis, l’UE et le Royaume-Uni cherchent des débouchés pour l’exploitation des minéraux critiques ici, mais les Chinois ont un monopole. Le contexte géopolitique explique en partie pourquoi [l’Occident] a jugé préférable de ne pas réagir aussi rapidement que prévu.
Enfin, il ne faut pas oublier que le Rwanda a dépêché de nombreuses troupes au Mozambique et dans le cadre de missions de l’ONU. Le pays joue plusieurs rôles. Si vous sanctionnez le Rwanda, il retirera ses troupes de ces pays. Prenons le cas de la France : le Rwanda a envoyé des troupes pour protéger les investissements de Total au Mozambique, les Français ont par conséquent tout intérêt à ce qu’elles ne se retirent pas. Ces conflits d’intérêts expliquent pourquoi ils ne réagissent pas rapidement. C’est ma réponse : ils ne peuvent pas blâmer le Congo, mais l’Europe a financé de nombreux programmes sans résultats apparents. Je pense donc qu’à un moment donné, ils perdent tout intérêt. Mais c’est la population civile [de l’Est de la RDC] qui en pâtit et nous devons y remédier.

Mongabay : Les principaux bailleurs de fonds de la RDC et du Rwanda font-ils suffisamment d’efforts pour mettre un terme au conflit ?
Jean-Pierre Okenda : Non, absolument pas.
Mongabay : Que devraient-ils faire, selon vous ?
Jean-Pierre Okenda : Nous voudrions qu’ils fassent comme en 2012. C’est ce que nous attendons d’eux, particulièrement du Royaume-Uni, qui fournit une aide massive au Rwanda. Nous pensons qu’il est important que cela cesse. Il en va de même pour le gouvernement français, qui est le principal catalyseur de l’aide en provenance de l’UE. Nous souhaitons qu’ils exigent de Kagame qu’il arrête de faire au Congo ce qu’il y fait actuellement : tuer la population civile, les femmes et les enfants. Tout le monde s’accorde sur le fait que le Rwanda a des troupes au Congo, alors pourquoi ne pas prendre des mesures pour le sanctionner ? Ou même le condamner ? Ils ne l’ont jamais fait. Ils l’appellent et lui disent : « Les gars, vous devez retirer vos troupes », et il ne le fait pas. Au bout d’un moment, cela devient une rengaine que l’on vous répète. Nous leur demandons de tenir M. Kagame pour responsable de ses actes.
Mongabay : Penchons-nous à présent sur l’autre bout de la chaîne d’approvisionnement. Je pense notamment à la décision de la RDC de porter plainte contre Apple. Pensez-vous que certaines entreprises occidentales utilisent des minerais congolais transitant illicitement par le Rwanda ? Avons-nous la preuve que ces minerais se retrouvent dans certains produits vendus en Occident ?
Jean-Pierre Okenda : Absolument. Il est clair que de nombreuses entreprises américaines achètent des minerais en provenance de la RDC, notamment du coltan. Il me semble qu’Apple vient de suspendre ses approvisionnements au Rwanda, ce qui est une bonne chose. D’autres devraient lui emboîter le pas. Toutefois, il ne faut pas oublier que la Chine achète beaucoup de ces minerais, qui sont ensuite distribués aux États-Unis et dans le monde. Selon moi, le risque est donc que nous agissions contre les entreprises américaines, mais que les Chinois continuent d’acheter ces minerais. Ce serait problématique. Nous ne pouvons pas empêcher les entreprises occidentales de s’alimenter au Rwanda sans engager une discussion similaire avec la Chine. Cela pourrait affecter le marché dans une certaine mesure, mais si les Chinois continuent d’acheter ces minéraux, ils continueront d’être vendus.
Mongabay : À défaut de pouvoir faire pression sur la Chine, il semble qu’il sera très difficile de mettre fin à ces chaînes d’approvisionnements.
Jean-Pierre Okenda : L’impact sera limité. Pour le maximiser, nous devrons inciter les entreprises occidentales à cesser leurs activités, tout en tirant parti de l’influence des Chinois. Cela permettrait de faire pression sur le Rwanda, car une grande partie du budget du pays dépend du secteur minier. La Chine est un point d’interrogation majeur.
Mongabay : De toute évidence, le M23 a l’intention de rester à Rubaya pendant un certain temps. Ils ont mis en place un système de permis pour les mineurs et se sont essentiellement imposés comme une administration de facto. Pensez-vous que la RDC aura la moindre chance de reprendre le contrôle de cette région ou de Goma dans un avenir proche ?
Jean-Pierre Okenda : Je pense que le Rwanda s’est bien préparé à cette guerre. Selon moi, ils prévoient de rester longtemps au Congo et ils ont demandé au M23 de mettre en place des systèmes de gouvernance. Mais il s’agit là de mon analyse personnelle de la situation. Encore une fois, M. Kagame sait que la conclusion de ce conflit dépendra des concessions de M. Tshisekedi. Il semblerait qu’ils se disent : « Nous ne savons pas combien de temps nous resterons ici, alors autant mettre en place une administration ». Si Kinshasa ne concède pas grand-chose, je pense qu’ils la garderont. L’issue de cette situation relève de nombreux facteurs. La seule personne qui peut décider de la durée de leur présence, c’est M. Kagame.
Mongabay : Quel est son objectif à long terme ?
Jean-Pierre Okenda : L’objectif à long terme de M. Kagame est de maintenir son influence sur la prise de décision politique de la RDC. C’est ce qui compte vraiment pour lui. Ce faisant, il continuera également à contrôler les provinces du Kivu sur les plans sécuritaire et économique.
Je pense qu’il veut les annexer et exercer un contrôle sur ce territoire. Mais s’il n’y parvient pas, son objectif à moyen terme sera au moins de contrôler les ressources minières et d’assurer la sécurité dans cette région. Il s’est plaint des FDLR [un groupe rebelle rwandais actif en RDC], mais je ne suis pas convaincu qu’ils soient assez nombreux pour nuire réellement au Rwanda. Il a déjà joué un rôle clé par le passé.
Mongabay : Peut-on espérer que les combats prendront bientôt fin définitivement ?
Jean-Pierre Okenda : Non, Kinshasa n’est pas disposé à négocier avec le M23. De même, les citoyens congolais ne consentiront pas à laisser Rubaya et Goma aux mains des rebelles. Je pense donc que la situation sera très compliquée pour notre président et que la guerre se poursuivra.
Image de bannière : Des mineurs artisanaux de la région de Rubaya, en RDC. Image reproduite avec l’autorisation de Global Witness.