- La Côte d’Ivoire est l’un des plus grands producteurs mondiaux d’anacarde, avec une production annuelle estimée à 1,1 million de tonnes en 2023.
- Cette culture, en plus de représenter une opportunité économique réelle pour les communautés locales, a véritablement transformé les paysages de bien de zones arides, en Côte d’Ivoire.
- Le nord du pays arrive à faire face à ses défis climatiques en développant cette culture, associée à d’autres cultures vivrières, pour garantir sa sécurité alimentaire.
Le député ivoirien Diakardia Bamba, originaire du Nord de la Côte d’Ivoire, a participé en décembre 2024, à la COP16 sur la désertification à Riyad, en Arabie Saoudite. En tant qu’observateur mandaté par la Commission de la recherche, de la science, de la technologie et de l’environnement de l’Assemblée nationale ivoirienne, il affiche un intérêt pour la question de la dégradation des terres et de la lutte contre la désertification. Dans un entretien avec Mongabay, le 13 décembre 2024, à la clôture de la COP16 à Riyad, il parle de la culture de l’anacarde, qui permet à sa région de lutter contre l’avancée du désert. Il évoque aussi d’autres contraintes climatiques auxquelles sa région est confrontée, et fait part de ses ambitions dans la quête de solutions pour contribuer au développement durable de son pays.
Mongabay : Honorable, pourquoi est-il si important pour vous de participer à une COP sur la désertification ?
Diakardia Bamba : Je suis à l’Assemblée nationale, et ma Commission, c’est la Commission de la recherche, de la science, de la technologie et de l’environnement. Tout ce qui touche à l’environnement, m’intéresse. Je suis ici pour m’imprégner davantage des recommandations, quant à la lutte contre la désertification. J’ai été choisi par ma commission pour venir assister à cette COP, et ça me permet de comprendre les enjeux, et de pourvoir aux besoins, pour intervenir au niveau de la commission pour toutes les lois qui concernent le changement climatique, la biodiversité et la lutte contre la désertification. Il faut que je comprenne le concept, avant de pouvoir le défendre au niveau de ma commission. J’ai assisté à plusieurs side events (événements parallèles, Ndlr), qui m’ont permis de comprendre beaucoup de choses, dans l’univers de l’environnement et des COP qui se succèdent et qui semblent plancher pour la même cause, mais qui ont de différentes dénominations. Tout ceci est lié à un seul phénomène : la lutte contre le changement climatique. La désertification est induite par la dégradation des terres, laquelle est due à l’exploitation abusive des terres par les humains, et du manque d’attention des gouvernants, quant à la gestion de nos terres. Les programmes se succèdent, mais je n’ai pas la certitude que les gens mettent vraiment en application les recommandations. S’agissant aujourd’hui de l’Afrique, la préoccupation commune : c’est la survie, c’est-à-dire la sécurité alimentaire. Pour avoir une sécurité alimentaire, il faut des terres disponibles. Il faut aussi qu’on prenne conscience de l’utilisation des terres disponibles. On peut avoir, dans un village, une population à faible taux d’occupation des terres. Mais au fur et à mesure, les populations augmentent, et les terres qui sont disponibles ne paraissent plus suffisantes pour elles. Qu’est-ce qu’il faut faire ? Il faut adopter d’autres techniques pour pouvoir subvenir aux besoins alimentaires, parce que l’agroécologie permettait d’avoir des techniques culturales, pour les améliorer et à avoir des rendements supérieurs à ce qu’on devrait avoir sur des parcelles.
Mongabay : En Côte d’Ivoire, comment est-ce que le parlement agit dans l’accompagnement des communautés pour un accès équitable à la terre ?
Diakardia Bamba : Chez nous en Côte d’Ivoire, la terre appartient à l’État. N’empêche qu’il y a des droits d’usage coutumier sur les terres. Dans chaque village, il y a des lopins de terre qui appartiennent à des familles, et qui sont distribués aux membres pour une exploitation rationnelle. Entre deux communautés, il peut y avoir des passages de parcelles pour une période donnée, mais ce qu’on constate, est que, la population augmentant, ça devient plus compliqué. Par le passé, les gens travaillaient en communauté, et les retombées étaient distribuées à tout le monde. Mais aujourd’hui, on a une tendance européenne, où chacun se bat pour soi, et ça devient compliqué, et parfois dans les mêmes familles, on peut avoir des difficultés de répartition des terres. La terre appartient à l’État, mais les communautés ont des droits d’usage sur des parcelles qui sont définies au sein du périmètre de leurs villages.
Mongabay : Le problème de dégradation des terres se pose à quelle amplitude en Côte d’Ivoire ?
Diakardia Bamba : C’était déjà très préoccupant, mais il y a désormais une culture de rente, qui n’était pas prise en compte par le passé, qui a pris de l’essor dans la région où je suis, au Nord. C’est le Nord qui a un climat un peu difficile des zones arides. Aujourd’hui, l’introduction de l’anacarde, qui est un arbre qui pousse très vite et qui constitue un couvert forestier en si peu de temps, semble être la solution à la désertification. Nous avons constaté que lorsque la culture de l’anacarde s’est développée, il y a eu un couvert forestier, qui a induit un changement climatique notoire. Les zones sont plus arrosées qu’auparavant. Il y a certaines cultures qu’on ne retrouve qu’au Sud du pays, et pas au Nord à l’instar du cacao. Mais aujourd’hui, on les retrouve au Nord de la Côte d’Ivoire, à près de 200 kilomètres (124 miles) du Mali. Je pense que c’est l’introduction de l’anacarde, qui est en même temps une culture de rente, qui a provoqué cette variation.
Mongabay : Comment s’est faite l’introduction de la culture de l’anacarde au nord de la Côte d’Ivoire ?
Diakardia Bamba : Nous avons planté les premiers plants d’anacarde, mais la promesse qui avait été faite par l’État d’en faire une culture de rente n’avait pas été tenue. On avait commencé à les couper au profit d’autres plantes. Mais depuis l’arrivée au pouvoir du président Alassane Ouattara (en mai 2011), qui a mis un accent sur le prix d’achat du kilogramme, l’anacarde a pris un nouvel essor. Tous les paysans s’y mettent. Nous avons une structure qu’on appelle ANADER (Agence nationale d’appui au développement rural), qui a choisi des variétés, qui ont permis aux paysans de bénéficier des retombées. Tous ceux qui ont des parcelles, en ont planté. Mais la difficulté, c’est que trop de cultures de rente, détruisent les cultures vivrières. L’anacarde est un arbre très jaloux. Partout où il se trouve, il s’étend. L’ANADER, ayant compris ce processus, a favorisé la mise en place des techniques culturales. D’abord, les pieds sont mis en ligne sur près de 5 mètres de distanciation, et entre deux lignes, il y a 10 mètres de distanciation, de sorte que même si l’anacarde pousse dans les 10 mètres, on a la possibilité de faire nos cultures vivrières. Mais la paysannerie a souvent des difficultés de compréhension de ce genre de chose. Ceux qui l’expérimentent au bout de quelques années trouvent qu’ils ont toujours leurs terres, et la production de cette culture de rente commence à se vulgariser, et ça favorise beaucoup de choses.
Mongabay : Vous arrivez à percevoir les effets mélioratifs de la culture de l’anacarde sur le climat de la région ?
Diakardia Bamba : Je pourrais dire que la sécheresse a tendance à s’éloigner. Ce que nous constatons ces dernières années, c’est la prévalence des inondations, qu’il faut pouvoir gérer. S’il pleut beaucoup, et qu’on a fait des cultures qui n’ont pas besoin de beaucoup d’eau, on les perdra. Dans mon village (Wora, situé dans la sous-préfecture de Kouto-Blessegue), le fleuve « la Bagoue » qui passe près du village connait ses crues, et vient souvent arroser près de 20 000 hectares de riz que les paysans ont cultivé de manière artisanale. Mais cette année, on a constaté qu’avec l’abondance des pluies, le fleuve connait les crues depuis le 15 août 2024. Du coup, ça posait un problème de calendrier agricole aux riziculteurs, qui attendaient les crues plutôt en septembre. Les zones tout près du fleuve ont perdu les plants qui avaient déjà poussé. Mais malgré tout ceci, la population a eu une récolte abondante. Les paysans auraient voulu qu’il y ait une gestion de la ressource en eau de manière qu’au lieu d’une récolte annuelle, ils puissent faire deux ou trois récoltes sur l’année. Les paysans font les plantations de maïs et de riz, et cette période ne dure que 4 mois, de mai à septembre, ou tout au plus en octobre. Et après, ils n’ont plus rien à faire, et sont livrés à eux-mêmes. Parfois, les revenus de ces plantations sont mal utilisés. On aurait eu des barrages hydroélectriques, qu’ils auraient alimenté certaines zones à des périodes qui sont considérées comme des périodes creuses, et on aurait pu avoir même trois récoltes dans l’année, ce qui constituerait une sécurité alimentaire, et même des revenus.
Mongabay : Est-ce que ce type de plaidoyer des communautés, vous l’avez porté aux instances du pays ou au parlement où vous siégez, pour une recherche de solutions durables ?
Diakardia Bamba : Evidemment, nous l’avons déjà fait au niveau du pays, et nous sommes à la recherche de partenaires extérieurs. Aujourd’hui, l’État a du mal à s’engager pour des projets individuels. Or, les bailleurs de fonds ont besoin de garanties pour s’engager, et comme l’État ne fait pas de garantie en ce moment, ça devient compliqué. On est dans la recherche permanente de bailleurs de fonds à l’étranger, et ceux qui s’y intéressent, on discute ensemble. Ça été une bataille pour nous, et je crois que d’ici à quelque temps, on aura une oreille attentive.
Mongabay : Quels enseignements tirez-vous de votre participation à la COP16 sur la désertification, étant entendu que c’est une première expérience pour vous ?
Diakardia Bamba : La COP16 a été une déception sur certains plans. J’ai vu qu’il y avait une première barrière très grande : la langue. Il existe plusieurs side events, très intéressants, on veut y aller, mais tout est dit en anglais. Nous sommes des francophones, et tout le monde sait que le français, c’est aussi la langue de travail des Nations unies. Mais les gens, pour des soucis de finances, n’osent pas prendre des traducteurs. Du coup, ceux qui ne sont pas bilingues, ne comprennent pas ce qui se dit. On reste sur notre faim. Beaucoup d’Ivoiriens francophones sont à la COP, et il y a beaucoup de choses qui leur échappent. Ça m’amène à penser qu’il faut même faire une proposition de loi à l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, pour que l’anglais soit exigé dans nos écoles, pour que les Ivoiriens ne soient plus des assistants sans pouvoir s’exprimer. Je constate que même les Français qui vont à ces évènements s’expriment aussi en anglais. Autant se mettre à l’apprentissage de l’anglais directement.
Je voudrais également faire un plaidoyer : au niveau de nos nations, il y a certaines choses que nous ne considérons pas beaucoup, et qui posent des problèmes. Les députés sont quand même la représentation de la population. Mais ce que nous constatons, c’est qu’à certains niveaux de décisions, ils ne sont pas associés. Les comités scientifiques et les comités de négociations de la COP se sont réunis, et ils n’y ont pas pris part. Du coup, on assiste aux side events, on donne nos préoccupations, on a des adresses, mais à la fin, il faut que ceux qui ont pu échanger avec nous, puissent être attentifs à ce que nous avons dit, puisqu’on n’est pas présents dans ces rencontres. Nous aimerions également faire partie des comités scientifiques pour apporter nos contributions en tant que représentants des populations de nos circonscriptions.
Image de bannière : Noix de cajou. Image de Ashay vb via Wikimedia.
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