- L’agriculture continue à accélérer l’émission des gaz responsables du réchauffement du climat dans le monde.
- L’oxyde nitreux, l’un des gaz les plus nocifs, est en constante augmentation depuis 1980.
- Les pays comme la Chine, les Etats-Unis et/ou encore le Brésil sont les plus émetteurs de ce gaz.
- Dans une étude, des scientifiques recommandent des efforts pour renverser cette tendance en vue de protéger la couche d’ozone.
Beaucoup de gens se demandent sûrement pourquoi il fait de plus en plus chaud sur la terre. Les scientifiques attribuent cette accumulation de la chaleur à l’augmentation dans l’atmosphère des gaz nocifs que le cycle de captation et recyclage naturel débordé a du mal de plus en plus à gérer.
Le protoxyde d’azote appelé aussi oxyde nitreux (N₂O) figure parmi ces gaz nocifs.
Une étude publiée le 11 juin 2024 dans la revue Earth System Science Data (ESSD), révèle l’augmentation de 40 % des émissions mondiales (soit 3 millions de tonnes l’an) de ce gaz, 273 fois plus puissant que le dioxyde de carbone (CO2), qui subsiste longtemps dans l’atmosphère, environ 120 ans, et détruit la couche d’ozone. La conséquence est l’augmentation de la chaleur depuis 2015 : 1,54 °C (±0,13 °C) en 2024 par rapport aux niveaux préindustriels, d’après l’Agence météorologique mondiale.
L’étude a examiné l’évolution de l’oxyde nitreux sur une période de 40 ans (1980-2022) et décrit un « rythme inquiétant » en quatre points. Les émissions d’oxyde nitreux augmentent plus rapidement que prévu. La production agricole, avec l’utilisation d’engrais azotés, en est la principale cause : 74 % des émissions anthropiques totales. Ensuite, l’atteinte des objectifs climatiques globaux, tels que ceux fixés par l’Accord de Paris devient difficile à cause de l’augmentation des niveaux de l’oxyde nitreux. Enfin, les chercheurs concluent sur l’urgence de réduire les émissions d’oxyde nitreux pour limiter les impacts du changement climatique et protéger la couche d’ozone.
Cycles pluvieux et calendriers agricoles perturbés
Pour Apollinaire Biloso Moyene, Professeur et expert en Agroforesterie et en économie de l’environnement et des ressources naturelles de l’université de Kinshasa (République démocratique du Congo), ce gaz contribue aussi à la modification du calendrier agricole, cause la rareté des pluies et perturbe des régimes hydriques.
Les conséquences de ces perturbations se multiplient contre l’agriculture essentiellement pluviale telle que pratiquée en Afrique, explique Biloso Moyene. « Les effets du changement climatique ont un impact direct sur l’agriculture dans son ensemble », indique la même source, avec beaucoup de conséquences comme la faim et les migrations des populations rurales.
« La transition vers des pratiques qui améliorent la santé des sols, telles que les cultures de couverture, la rotation des cultures et l’agriculture biologique, peut contribuer à réduire la dépendance du point de vue des engrais synthétiques », explique par ailleurs à Mongabay Hanqin Tian, Professeur au Département des sciences de la Terre et de l’environnement de Boston College aux États-Unis et co-auteur de l’étude.
Il s’ensuit que, sur le plan d’une agriculture plus durable, c’est-à-dire respectueuse de l’équilibre écologique et peu responsable d’émission de ce gaz, il est urgent de mieux gérer l’utilisation des engrais.
L’Afrique accélère sa course dans un sombre classement
A travers le monde, enfin, la même étude révèle que l’oxyde nitreux s’est longtemps concentré dans l’atmosphère. Cette concentration est élevée dans les régions où l’agriculture intensive recourt aux engrais azotés sans régulation stricte. L’Asie du Sud et de l’Est arrivent en tête de ce classement mondial, avec la Chine et l’Inde en tête. L’Amérique du Nord, avec les Etats-Unis et le Canada suivent ce classement, avant l’Europe où l’oxyde nitreux diminue en raison des politiques agricoles plus durables, selon la même source. Viennent ensuite l’Amérique latine, avec le Brésil comme leader, et enfin l’Afrique subsaharienne, région aux émissions globalement faibles, mais où l’agriculture intensive augmente, notamment en Afrique du nord.
« Réduire les émissions d’oxyde nitreux tout en garantissant la sécurité alimentaire est en effet un défi complexe. Au cours des 40 dernières années, l’application d’engrais azotés a eu un impact significatif sur les émissions : les pays d’Afrique du Nord ont plus que triplé le taux de croissance de leurs émissions, tandis que les pays équatoriaux ont doublé leurs émissions au cours des deux dernières décennies, bien qu’à partir de niveaux absolus plus faibles », explique à Mongabay, Hanqin Tian.
Si les engrais azotés sont couramment utilisés, jusqu’à en abuser tant ils sont parfois répandus sur des surfaces éloignées des plantes où ils restent longtemps dans le sol, dans de l’espoir d’améliorer le rendement des cultures. La question qui se pose, dans ce cas, c’est comment réduire ces émissions sans affamer le monde, particulièrement dans les régions où la faim touche de nombreuses personnes comme en Afrique ?
Une agriculture durable, mais comment ?
Pour Biloso Moyene, la réduction des émissions d’oxyde nitreux passe avant tout par la prise de conscience des enjeux liés au changement climatique par « toutes les parties prenantes ». Il recommande « les méthodes alternatives comme les fertilisants biologiques », l’agriculture biologique et les techniques agriculturales écologiques.
C’est ce que recommande également Tian. Pour ce dernier, les approches agro-écologiques peuvent améliorer la résilience et la production pendant que l’agriculture de précision permettra de réduire l’utilisation des engrais.
Quant à l’Afrique, qui pratique encore l’agriculture extensive sur brûlis, pour les petits agriculteurs, Tian se veut plus réservé et insiste sur la nécessité de prendre en compte le contexte local. Puisque, explique-t-il, les cultures extensives peuvent favoriser des pratiques durables. Mais, poursuit-il, ces cultures « peuvent aussi conduire à une sous-utilisation des terres et des ressources. À l’inverse, les cultures intensives, lorsqu’elles sont gérées avec soin et dans le cadre de pratiques durables, peuvent augmenter les rendements». Tian note, en outre, les risques associés aux systèmes à apports élevés d’intrants, tels que la dégradation des sols et l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, qui, selon lui, « doivent être mis en balance avec les avantages potentiels ».
L’étude recommande de mélanger certaines cultures et de les alterner sur les mêmes espaces, de recourir aux cultures qui disposent des inhibiteurs d’oxyde nitreux et des inhibiteurs naturels en vue de venir à bout de l’azotification des sols. La pratique du fumier, appelée à s’améliorer, ou encore le recours à l’agriculture urbaine et à l’agriculture hydroponique, c’est-à-dire, qui réalisée dans l’eau, sont également encouragés.
L’étude confronte, enfin, une réalité mondiale qui ne recule pas en même temps que l’émission des gaz nocifs : le gaspillage alimentaire. D’après la base de données allemande Statista, près d’un milliard de tonnes de nourriture finissent dans les poubelles ou sont perdues chaque année. C’est l’équivalent de 10 fois la masse de l’île de Manhattan, indique la même source.
Image de bannière : Un agriculteur portant un sac d’engrais au Ghana. Image de Hamish John Appleby / IWMI via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Citation :
Hanqin Tian et al., 2024, “Global nitrous oxide budget (1980–2020)”, in Earth System Science Data, n°6, Vol. 16, En ligne, URL: https://essd.copernicus.org/articles/16/2543/2024/essd-16-2543-2024.html, DOI: https://doi.org/10.5194/essd-16-2543-2024
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