- Un défenseur de l’environnement, Yahya Mirambo Bin Lubangi, a été condamné à 6 mois de prison et une amande de 10 millions de francs congolais, en République démocratique du Congo (RDC).
- Yahya Mirambo ne s’est pas présenté au tribunal de grande instance de Kasongo, dans le Maniema, pour cause de maladie.
- Le condamné a dénoncé une exploitation illégale du bois rouge, une espèce placée à l’annexe II de la CITES en raison des risques d’extinction.
- Les proches du condamné pensent que cette décision vise à intimider les défenseurs de l’environnement qui empêchent les exploitants, soutenus selon eux par des autorités, de détruire la forêt.
LUBUMBASHI, République démocratique du Congo – Le 18 novembre 2024, 40 planches de bois de grande taille ont été saisies par la police dans le territoire de Kabambare, près de 150km à l’est de la cité de Kasongo, pour exploitation sans documents administratifs requis. Trois mois plus tard, ce ne sont pas les bûcherons qui ont été sanctionnés, mais Yahya Mirambo Bin Lubangi, l’un des défenseurs de l’environnement qui a dénoncé l’abattage illégal de bois, a été condamné à 6 mois de prison et à une amende de 10 millions de francs congolais (soit 3 500 USD).
« Je n’ai fait que dénoncer et les autorités ont arrêté leurs produits. Toutes leurs accusations contre moi sont fausses », explique Mirambo, joint au téléphone par Mongabay.
L’accusation dont le responsable est désigné uniquement par son prénom « Moïse » avait réclamé 50 000 USD à titre de dommages subis pour imputations dommageables, saisie d’une cargaison de bois par la police nationale, et menace de mort sur Moïse laquelle est imputée à Mirambo.
Une saisie officielle imputée à un tiers
Mirambo, 61 ans , travaille pour la Société Civile environnementale et Agro Rurale du Congo (SOCEARUCO), une ONG qui a dénoncé l’exploitation abusive du bois. Il a dénoncé les coupes à blanc dans les forêts de Wamaza, dans le territoire de Kabambare, en province du Maniema, concernent notamment le bois rouge (Pterocarpus tinctorius). Il s’agit d’une espèce dont l’exploitation est contrôlée depuis son inscription à l’annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) en 2019.
Pour le président de la SOCEARUCO, Josué Aruna, la condamnation de sa collègue par le tribunal de grande instance de Kasongo est injuste. « Il ne devait que prononcer ce jugement, parce que il y a déjà des suspicions de corruption », déclare le président de l’ONG.
Aruna, qui revient de la COP 16 sur la biodiversité, déplore que le tribunal ait choisi ce moment pour condamner un défenseur de l’environnement qui n’a fait que son travail. « Pendant que le monde est en train de réfléchir sur la question d’intégration de l’écocide parmi les crimes internationaux, on est en train de nous condamner parce que nous défendons la cause commune, la cause de l’humanité ».
Mirambo n’a pas répondu à une audience du 18 octobre où les juges l’attendaient. « J’étais souffrant, explique-t-il. Je ne pouvais pas me présenter à l’audience. Mon avocat s’y est présenté avec une procuration spéciale et une attestation médicale », explique Mirambo. Mais le tribunal n’a pas accédé à la sollicitation de la défense.
Me Gabriel Bulongo, avocat de Mirambo déplore que le premier juge ait a refusé d’accorder la chance à son client de se présenter devant lui après la séance du 18 octobre. « Les faits pour lesquels il est accusé n’acceptent pas d’être représenté. La remise a été refusée alors que cela allait permettre que l’accusé se présente à l’audience. Déjà, le premier jour, on est passé à la plaidoirie », explique Bulongo.
Le 7 novembre 2024, l’avocat de Mirambo a déposé un recours : une opposition au jugement, devant le même tribunal.
Insécurité totale
Le conflit entre les militants de l’ONG SOCEARUCO dont fait partie Mirambo dans le territoire de Kasongo dure depuis près de deux ans. Grâce à son activisme, l’administrateur du territoire de Kabambare a suspendu, le 20 septembre 2024, toute exploitation de bois sur l’ensemble de son entité. L’administrateur, Albert Walubangi Katuta, décrit une situation inquiétante dans les forêts de Wamaza. « Il n’y a plus de gros arbres, et ils [les exploitants] ne respectent plus les espèces à ne pas exploiter », relate-t-il à Mongabay.
« J’ai trouvé que la façon dont ils exploitent les forêts est déplaisante. Si ça continue ainsi, on va rester sans forêt dans mon entité. C’est ainsi que j’ai pris la mesure d’arrêter l’exploitation. Je me demande comment il va s’attaquer à la société civile. Moi, j’ai pris cette décision, elle est sortie et ça ne doit que s’exécuter », ajoute-t-il.
Mais cet engagement a valu à l’administrateur Walubangi sa suspension, juste avant la condamnation de Mirambo, explique Aruna. Il regrette l’absence d’aucune autre réaction des autorités nationales ou de la province du Maniema sur ce dossier. C’est la seule réponse que nous avons reçue des autorités à qui une lettre a été adressée le 19 octobre, précise-t-il.
Aruna pense que les exploitants de bois à Kabambare bénéficient du soutien de certaines autorités congolaises, personnes qu’il ne cite tout de même pas. Le prénommé « Moïse », qui poursuit Mirambo en justice, n’a toujours pas repris son camion et sa cargaison de bois qui avaient été saisis et que les autorités provinciales ont autorisé de libérer, a indiqué au téléphone du territoire Walubangi Katuta Albert.
Quant à Yahya Mirambo, il vit caché depuis sa condamnation, dans la peur des représailles des exploitants. Selon Mirambo, ces derniers auraient chargé des miliciens Mayi-Mayi de s’attaquer à lui. « Le problème que j’observe c’est l’implication de certaines autorités qui opèrent dans le noir, derrière les exploitants. Il y a des députés, des ministres et un officier [de l’armée] de haut rang. Ma condamnation, c’est pour me faire taire et me déstabiliser. Je suis en insécurité », assure Mirambo.
Pour le responsable de l’ONG pour laquelle il travaille, Aruna, « Mirambo et son équipe sont en insécurité totale ». Il en appelle à l’implication du ministre de la justice pour protéger les défenseurs de l’environnement dans la région.
Du bois rouge, espèce surexploitée
Le bois rouge, très recherché notamment en Chine pour des meubles de luxe, est un produit surexploité en RDC. Inscrit à l’Annexe II de la CITES dès 2019, son exploitation requiert des autorisations spéciales, mais depuis près de deux ans, un groupe de personnes exploite ce bois. « Ils ont ravagé les forêts. Dans toutes les forêts, il y a des tronçonneuses qui coupent le bois. Ce bois-là quitte par les camions, passe par Uvira et Kamanyola [dans le Sud-Kivu voisin] vers les marchés chinois et arabes », explique Aruna.
Entre 2013 et 2018, le bois rouge était exploité de manière abusive dans le Haut-Katanga, plus au-sud est de la RDC, ce qui avait conduit les autorités congolaises à en interdire toute exploitation dans cette province en 2018 et l’inscription à la CITES. Toutefois, l’exploitation est encore possible dans le Haut-Katanga depuis le 7 novembre, d’après le média congolais Desk Nature. Dans le territoire de Kabambare, en revanche, elle a commencé à s’intensifier.
« Nous avons déposé des lettres le 18 octobre 2024 à Kinshasa et au Maniema. Les autorités ne se sont pas encore prononcées. C’est ce qui donne l’avantage à l’adversaire à cause de sa forte position économique pour influencer l’accélération de son dossier en défaveur des défenseurs environnementaux », dit Aruna.
Le poids des tensions politiques
Le bois coupé dans le territoire de Kabambare prend la destination de Rwanda et Tanzanie, d’après l’ONG SOCEARUCO. Le ministre provincial de l’environnement de Maniema, Eddy Francis Lutaka, a dit à Mongabay que les autorités tentent d’arreter le transit de bois par les villages et cités de Kamanyola, Salamabila, Fizi et Uvira. « Nous sommes au courant, en passant par les agents qui sont affectés à Kasongo et à Kabambare. Il ya une mission que nous organisons pour des contrôles minutieux à Kasongo et à Kabambare », assure Lutaka.
Or, depuis environ 2 ans, le Congo et le Rwanda sont en conflit sur fond d’accusations mutuelles de soutien aux groupes rebelle et de pillage des ressources naturelles. Le dossier de Kabambare peut, de ce point de vue, s’avérer sensible pour les autorités du Maniema.
Interrogé sur la procédure judiciaire contre Mirambo le 18 octobre 2024, le ministre provincial dit avoir obtenu l’information par les réseaux sociaux. Il assure toutefois préparer une mission dans la région mais depuis la condamnation du militant, Lutaka n’a pas répondu à nos appels. Mongabay n’a pas pu obtenir la réponse du gouverneur de province qui a aussi reçu une correspondance de l’ONG SOCEARUCO.
Image de bannière : Des transporteurs chargent un camion de bois dur de l’arbre Mukula. Un tronc de Mukula peut peser plus de 200 kg. Image de Lu Gang via Greenpeace.
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