- Les autorités thaïes restitueront à Madagascar des tortues terrestres et des lémuriens, qu’elles ont confisqués depuis mai.
- Ces animaux endémiques de la Grande île ont été illégalement extraits des aires protégées et clandestinement exportés en Asie du Sud-Est.
- Un protocole strict sera appliqué au rapatriement de ces animaux, qui pourraient avoir contracté des infections, durant leur périple sous d’autres cieux.
- Le commerce illicite d’espèce sauvage continue de faire des vagues, malgré l’intensification de la lutte contre ce fléau, qui met en péril la biodiversité unique du pays.
ANTANANARIVO, Madagascar — La fin de séjour forcé en Thaïlande est imminente pour les animaux sauvages menacés d’extinction et en danger illégalement collectés dans des aires protégées à Madagascar et clandestinement expédiés dans ce pays d’Asie du Sud-Est au second trimestre de l’année.
Récemment, Bangkok Post et Pattaya Mail ont chacun rapporté la décision des autorités thaïes, représentées par le Department of National Parks, Wildlife and Plant Conservation, de retourner à leur pays d’origine 963 animaux vivants, dont 48 lémuriens et des tortues terrestres.
Selon les mêmes sources, le ministre malgache de l’Environnement et du Développement durable, Max Andonirina Fontaine, supervisera, en personne, le processus de rapatriement de ces reptiles et mammifères. Les formalités prévues à cet effet se tiendront, le 27 novembre, au siège du ministère thaï des Ressources naturelles et de l’Environnement.
Trois vols de Qatar Airways programmés pour le 28 et le 30 novembre et le 2 décembre, embarqueront les cargaisons animalières à destination d’Afrique du Sud, d’où elles seront ramenées à Antananarivo par des vols de la compagnie sud-africaine Airlinks. « Nous communiquerons officiellement au retour de Thaïlande. Ce sera avant la fin du mois », a dit le ministre contacté par Mongabay.
Bangkok Post et Pattaya Mail disent que l’opération démontre l’engagement de la Thaïlande de combattre le commerce illégal d’espèces en danger, de les protéger et d’en assurer la conservation et la survie. En effet, le 1er mai dernier, les autorités thaïes, sur la base des renseignements fiables, ont intercepté, dans la province de Chumphon, 1 234 tortues en vie et mortes avec 48 lémuriens.
Parmi les reptiles saisis, 357 sont des tortues radiées (Astrochelys radiata) et 877 tortues araignées (Pyxis arachnoides), des espèces en danger critique, selon la Liste Rouge de l’UICN. Les lémuriens confisqués, quant à eux, sont 16 lémurs catta (Lemur catta) et 32 lémurs bruns (Eulemur fulvus), respectivement en danger et vulnérables, d’après la Liste Rouge.
Six personnes ont été arrêtées avec ces animaux inscrits à l’Annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). La survie des espèces dans cette catégorie est la plus compromise.
Des animaux endémiques de Madagascar
Les informations, qui ont alors circulé, ont indiqué que ces animaux, en provenance de Madagascar, ont transité par l’Indonésie avant d’atterrir sur le sol thaï. L’affaire de grosse prise à l’étranger a généré des discours enflammés. Antananarivo, sous la pression des défenseurs de la nature et des mouvements citoyens, a négocié auprès de Bangkok le rapatriement des animaux, qui font partie intégrante du patrimoine naturel de Madagascar et appartiennent de fait aux Malgaches. A cette fin, le ministre Fontaine s’est déplacé à Bangkok, début juin.
De son côté, l’Indonésie a exigé des preuves scientifiques par le test ADN pour confirmer l’origine malgache de ces reptiles et mammifères. Une telle réaction a été appréhendée comme une aberration. La partie malgache a répliqué qu’une telle exigence est un non-sens dans la mesure où ces animaux sont endémiques de Madagascar.
« Les lémuriens et tortues saisis en Thaïlande nous appartiennent bel et bien. Le sud et le sud-ouest de notre pays sont leur unique habitat naturel au monde. Il n’y a pas de doute là-dessus. La littérature scientifique à ce sujet est assez dense pour le confirmer », a dit dans un communiqué du 12 juin, l’éminent primatologue Jonah Ratsimbazafy, président du Groupe d’étude et de recherche sur les primates de Madagascar (GERP) et président en exercice de l’International Primatological Society (IPS).
Entre-temps, un comité scientifique incluant des représentants du GERP et de la Turtle Survival Alliance (TSA) Madagascar et des techniciens du ministère de l’Environnement et du Développement durable (MEDD), ainsi que ceux d’autres départements, a été créé pour accompagner les négociations en vue de l’accueil des animaux malgaches confisqués en Thaïlande pour leur retour au pays. « Nous avons travaillé sans relâche depuis l’éclatement de l’affaire », a dit le primatologue Ratsimbazafy.
Une délégation de la justice thaïe, dirigée par un procureur d’investigation spéciale, est venue à Antananarivo en août, afin de discuter du démantèlement d’un réseau de trafiquants international derrière l’exportation illégale des espèces sauvages de Madagascar.
Un taskforce regroupant la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, le Taiwan et Madagascar a également vu le jour dans ce sens. En tout cas, le présent rapatriement a été déjà, depuis août, trois fois reporté.
Retour en vedette
Après la récente annonce de Bangkok, tout le monde s’apprête à accueillir ces passagers exceptionnels qui, après de longs mois d’absence sur la terre natale, y reviendront en vedette. « Les lémuriens sont les premiers à débarquer à l’aéroport international d’Antananarivo Ivato dans l’après-midi du 29 novembre. Ce sont mes enfants qui rentreront chez eux et je dois y être, le moment venu, pour les recevoir », a dit à Mongabay Ratsimbazafy, surnommé aussi le « père des lémuriens ».
Un protocole strict sera appliqué au retour de ces reptiles et mammifères au bercail. Les conditions de voyage seront optimisées pour les mettre à l’abri d’une fatigue excessive qu’aura causée le long périple. La Fondation pour les aires protégées et la biodiversité de Madagascar, qui a assuré les frais de garde de ces animaux en captivité en Thaïlande, a financé l’acquisition des cages à animaux pour leur transport. Aucune précision sur le fret aérien en préparation, n’a pu être obtenue.
Examen sanitaire et soins
Dès leur arrivée, les animaux seront pris en charge par des soigneurs expérimentés. « Les novices n’auront pas la chance de s’occuper d’eux », prévient Ratsimbazafy. Ils seront de fait mis en quarantaine dans des sites d’accueil identifiés et contactés au préalable par le ministère. Certains sont en provinces à l’instar du parc privé Reniala à Mahajanga, sur le littoral nord-ouest de l’île.
Dans un premier temps, les tortues seront mises en quarantaine dans la capitale, où elles seront soumises à un examen sanitaire minutieux, selon Dr Tsanta Fiderana Rakotonanahary, cheffe de Veterinary Support chez TSA Madagascar. Elles seront placées à un endroit isolé, aménagé spécialement pour elles et sous la responsabilité permanente de deux médecins vétérinaires avec des étudiants. Il est formellement interdit de les mélanger avec leurs congénères, qui ont la chance de ne pas avoir bougé de force du sol malgache. « Plusieurs vétérinaires seront mobilisés pour leur prise en main », a dit au téléphone Rakotonanahary à Mongabay.
Selon elle, il sera indispensable de détecter, chez ces tortues, toutes éventuelles présences de germes pathogènes comme l’herpèsvirus, l’adénovirus, le ranavirus, le mycoplasme et la coccidiose intranucléaire. Ceux-ci sont connus avoir causé des problèmes de santé majeurs chez d’autres espèces de tortues dans le monde. Plusieurs autres paramètres sanitaires incluant l’analyse sanguine seront pris en compte. « D’habitude, les tortues confisquées sont fatiguées et déshydratées. Certaines contractent ainsi des infections, qui nécessitent des traitements », a-t-elle expliqué.
Une fois que les soigneurs seront sûrs de la santé et de la résistance physique de ces reptiles, les tortues A. radiata seront renvoyées dans l’extrême sud-est. Les spécimens de P. arachnoides, quant à eux, seront dirigés vers la région Atsimo Andrefana, dans le sud-ouest. Leur unique habitat naturel au monde, où ils ont été enlevés par des trafiquants, se trouve dans ces régions.
L’Alliance a établi des coopérations avec les sites d’accueil régionaux, afin de mieux orienter la prise en main des tortues et leur surveillance à leur arrivée à la destination finale. « Des équipes descendront sur le terrain pour le suivi », a affirmé la vétérinaire. Les soigneurs ont déjà reçu des formations, alors que l’organisation envisage un recyclage pour les autres, afin de mieux affiner le suivi-évaluation.
Spécialement, les lémuriens seront aussi relâchés dans la nature après les soins dont ils bénéficieront. « L’objectif est qu’ils ne resteront pas éternellement à leur site d’accueil respectif. Ils seront de nouveau libres dans leur habitat naturel au bout de 3-4 mois. Les animaux malades n’entrent jamais en contact avec leurs congénères sains et le suivi des lémuriens qui seront réintroduits dans la nature sera confié à des professionnels », a dit Ratsimbazafy. « Zéro mort reste le vrai défi. Ce sera une honte pour nous si jamais nous perdons certains, après le rapatriement, parce que nous sommes incapables de prendre soin d’eux », a-t-il ajouté.
Trafic illicite, menace pour la biodiversité mondiale
Tout ce combat, qui n’aurait pas dû se produire, montre combien le trafic illicite fragilise davantage la nature à Madagascar, un des hotspots de biodiversité mondiale. Le gouvernement prend les mesures qui s’imposent à tous les coups en réprimant les infractions environnementales dument constatées. Mais les personnes actionnant la contrebande, qui met en péril la faune et flore de l’île, sont loin de s’avouer vaincues. Leurs ramifications locales continuent d’écumer des sites de conservation pour y enlever des espèces endémiques.
Pas plus tard que le 4 novembre dernier, un lot de 164 tortues, dont des spécimens d’A. radiata a encore été intercepté en Thaïlande. Le 16 août aussi, 232 tortues ont été rapatriées des Comores par voie maritime. Une source auprès du MEDD, qui a préféré garder l’anonymat, dit qu’un lien pourrait exister entre ces deux circuits.
Selon la source, environ 600 tortues auraient transité chez le voisin comorien, début juin. La source propose qu’un système de traçabilité soit mis en place, afin de faire la lumière sur les deux récents cas de trafic signalés en Thaïlande et aux Comores.
L’emprise de la corruption sur l’appareil administratif constitue souvent une circonstance aggravante de l’envol du trafic d’espèces sauvages à Madagascar. Pour tenter d’enrayer le fléau, le gouvernement américain vient à la rescousse. Par l’intermédiaire de son agence pour le développement international (USAID), il investit 10 millions de dollars dans trois projets pour lutter contre le trafic national et international d’espèces sauvages, notamment par la modernisation des procédures douanières et le renforcement de la gouvernance environnementale, de l’application de la loi et du système judiciaire.
Image de bannière : Des lémuriens en captivité pris en charge au parc privé Reniala à Mahajanga, à Madagascar, qui accueille, depuis sa création en 1997, des animaux sauvés du trafic ou des griffes d’autres formes de menace. Image de Rivonala Razafison prise le 20 juin 2024.
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