- Hindou Oumarou Ibrahim insiste sur la nécessité d’inclure les voix des peuples autochtones dans les négociations climatiques, pour respecter leurs droits et valoriser leurs connaissances traditionnelles.
- L’activiste dénonce le double standard médiatique concernant les catastrophes climatiques, en soulignant l’absence de couverture des inondations dévastatrices au Tchad par rapport à celles en Espagne.
- Hindou critique l’inefficacité des financements climatiques actuels, mettant en lumière le manque de soutien concret pour les pays en développement face aux pertes et dommages climatiques.
Pour une conférence, marquée par des controverses et une couverture médiatique moins flatteuse pour le pays hôte, il est édifiant de voir la participation des communautés marginalisées et des peuples autochtones.
Les peuples autochtones, en particulier les représentants de la communauté bororo d’Afrique centrale, ne sont pas souvent vus parmi les participants réguliers aux sommets des Nations unies sur le climat, qui se tiennent souvent loin de leurs terres.
Cependant, ici à Bakou, en Azerbaïdjan, l’une de leurs représentantes est maintenant à la fois une négociatrice majeure et une habituée de ce processus onusien.
Hindou Oumarou Ibrahim est arrivée cette année, au sommet des Nations unies sur le climat à Bakou, avec plusieurs chapeaux. Elle est membre du peuple peul au Tchad et présidente de l’Association des femmes et des peuples autochtones du Tchad (AFPAT). Dans ce rôle, elle apporte une perspective unique et soulève les préoccupations de sa communauté dans un forum mondial, où les décisions peuvent avoir des conséquences profondes.
Mongabay Afrique a rencontré Hindou lors des pourparlers en cours à la COP29. Lors de cet entretien, elle a abordé plusieurs sujets, en particulier les inondations massives ayant touché certaines communautés au Tchad, cette année. Elle a mis en évidence le double standard dans la couverture médiatique de ces inondations, en soulignant que même si les inondations en Espagne ont été largement médiatisées, la situation dévastatrice au Tchad est restée totalement ignorée.
Hindou s’est plaint de l’état des négociations sur le climat, remettant en question les progrès réalisés dans la mise en place d’un nouvel objectif de financement du climat, l’amélioration du fonds d’adaptation et la capitalisation effective du fonds pour pertes et dommages.
Voici l’intégralité de l’entretien, édité pour plus de concision et de clarté.
Mongabay : Pouvez-vous vous présenter s’il vous plaît ?
Hindou Oumarou Ibrahim : Je m’appelle Hindou Oumarou Ibrahim. Je viens du Tchad. Je suis présidente de l’Association des femmes peules et des peuples autochtones du Tchad. Ici, je suis la présidente du Forum international des peuples autochtones sur les changements climatiques, mais aussi du Forum international des Nations unies sur les questions autochtones.
Mongabay : Parlant des négociations d’abord, comment est-ce que vous arrivez à participer aux négociations ? Qu’est-ce que vous faites ? Quel est le message que vous apportez de la part des peuples autochtones, surtout dans les négociations de la COP ?
Hindou Oumarou Ibrahim : Il convient de rappeler que les peuples autochtones constituent 5 % de la population mondiale. Donc, nous sommes environ un demi-milliard de la population mondiale. Mais, on protège près de 80 % de la biodiversité terrestre. Donc, cela implique que ce sont des peuples qui dépendent de l’environnement, mais qui protègent le mieux l’environnement à l’échelle mondiale. Il est crucial, que les peuples autochtones participent activement, lorsqu’on évoque l’échange climatique. Nous demandons que les droits des peuples autochtones soient respectés et reconnus, afin de préserver ces écosystèmes vitaux pour la survie de l’humanité. Cependant, nous demandons également la reconnaissance et le respect de nos connaissances traditionnelles autochtones, qui sont des solutions pour s’adapter et lutter contre le changement climatique. Nous demandons un accès direct au financement pour que les peuples autochtones puissent mettre en œuvre ce qui se passe sur le terrain. Et pour tout ça, il faudrait notre participation.
Mongabay : On reviendra un peu sur les négociations. Commençons un peu par ce qui se passe présentement au Tchad Vous avez connu des inondations massives récemment. Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de l’état des choses aujourd’hui ?
Hindou Oumarou Ibrahim : Il y a six mois, le Tchad a été touché par une vague de chaleur sans précédent. Plusieurs personnes ont perdu la vie en raison de la chaleur. Il est possible de voir les images, que les gens ont partagées sur les réseaux sociaux. Trois mois plus tard, nous avons été confrontés à une saison de pluie exceptionnelle. Une période de pluie qui a dévasté le désert du Tchad jusqu’à la zone tropicale. De fortes pluies provoquent des inondations partout. En plus de cela, la période de pluie est maintenant terminée. Il y a moins de deux mois, nous avons été touchés par la montée des eaux, qui continue de causer des inondations. En conséquence, ces inondations causées par la pluie et la montée des eaux ont entraîné plus de 2 millions de réfugiés et de déplacés internes dans leur propre pays. Près de 1 000 personnes ont perdu la vie, des milliers de terres fertiles et agricoles sont parties sous l’eau, et des centaines de milliers de bétails ont péri dans ces inondations. Sans parler des biens, tels que des maisons, qui sont tous partis en moins de trois mois. Et ça, ce sont les impacts du changement climatique, que nous sommes en train de subir : des extrémités, des chaleurs, des inondations. C’est ce qu’on nomme les pertes et dommages. Pour nous, il est inacceptable de participer à cette COP et de constater que personne ne parle de ce que nous sommes en train de subir à l’heure actuelle. Et de voir aussi dans les médias qu’on parle de ce qui se passe en Espagne, comme des inondations. Bien sûr que je compatis avec eux. Il y a plus de 200 personnes mortes. C’est vraiment tragique pour un pays, qui prétend être développé. Alors, combien de fois notre pays ? C’est un pays en voie de développement, qui est en train de subir toutes ces vagues qui se multiplient par 10 et même plus, mais dont on n’en parle même pas.
Mongabay : Donc, si je comprends bien, ce n’est pas une question théorique pour vous. C’est quelque chose qui touche votre pays profondément.
Hindou Oumarou Ibrahim : Nous vivons actuellement de l’impact climatique. Ce n’est pas un documentaire pour mettre les évidences. Ce n’est pas un réel documentaire pour mettre les évidences. Ce n’est pas un rapport où l’on oriente les gens à lire. Mais c’est la réalité de vie, et c’est la réalité des gens, cet impact climatique dans toutes nos communautés. Et je vois mon peuple à moi, qui est autochtone nomade avec des bétails, qui n’a pas d’endroit où mettre pied. Et la plupart des gens empruntent des endroits impossibles à fréquenter. C’est la première fois que cela se produit pour moi. Je n’ai pas pu avoir l’accès pour visiter les différentes communautés. Tous ceux que je contacte me disent Hindou, tu ne peux pas venir. Il n’y a ni voiture, ni moto. Même un cheval qui peut nager et passer, il est impraticable. Les individus de la communauté qui se sont retrouvés coincés. Et c’est inacceptable.
Mongabay : Pensez-vous qu’il y a un double standard par rapport au reportage, par exemple, en ce qui concerne les inondations en Espagne et au Tchad ?
Hindou Oumarou Ibrahim : Absolument, je vois un double standard. Lorsqu’un événement tragique se produit dans un pays développé, tous les médias en font état. Ce n’est pas seulement dans un seul journal, mais ils en parlent pendant des jours et des semaines. Or, j’ai vu que RFI a peut-être fait une fois ou deux passages à France 24. Peut-être une fois, ils ont évoqué cela et c’est tout. Les autres médias n’ont même pas pris en considération cela. Aucune mention de ces inondations n’est faite. Personne dans ces médias n’a osé dire : ‘Je vais observer ce qui se passe sur le terrain.’ Et là, c’est vraiment le double standard. Toute vie compte. Si nous croyons que la vie est essentielle, nous devons lui accorder de la valeur et de l’information.
Mongabay : En tant que représentant de la communauté autochtone, vous êtes présent à la COP 29. Est-ce que vous constatez que les questions qui vous préoccupent aujourd’hui, celles de vos communautés et de votre pays, sont prises en considération dans les négociations ?
Hindou Oumarou Ibrahim : Il est regrettable que la première semaine ait été passée sans que nous puissions avancer sur les textes des négociations, sur tous les textes qui nous intéressent le plus, sur les pertes et dommages, le financement de ces pertes et dommages, sur le financement quantitatif et qualitatif climatique. Avec tous les impacts climatiques qui se produisent, il est impératif que le monde avance rapidement vers les nouveaux fonds climatiques. Et donc, c’est ça, ces fonds que nous sommes en train de négocier ici.
Mongabay : Donc, vous affirmez que la question de pertes et dommages est cruciale pour le Tchad, par exemple, pour plusieurs communautés d’ailleurs en Afrique, et vous remarquez que cela n’est pas pris en compte dans les négociations au niveau de la COP 29 ?
Hindou Oumarou Ibrahim : Nous sommes presque arrivés à la fin de la première semaine qui s’est écoulée. Nous avons débuté la deuxième semaine. Lors de la COP 28, un fonds pour les pertes et dommages a été adopté. On avait commencé à mettre de l’argent là-dessus. Jusqu’ici, sauf, 700 millions de dollars ont été investis là-dedans. Une ONG importante d’un pays du Nord peut avoir un budget de 700 milliards. Il n’est même pas question de milliards. Or, nous avons besoin d’argent sur les pertes et dommages. Aujourd’hui, le Tchad subit des pertes et des dommages.
Quel montant ont-ils alloué au Tchad ? Il n’y en a même pas. Et ils n’acceptent même pas d’ouvrir la discussion pour savoir de combien nous avons besoin. Les pays développés ont exigé 13 000 milliards par an d’ici à 2035, pour financer l’adaptation, l’atténuation, mais il est également nécessaire de considérer les pertes et dommages. Les pays en développement ont dit : soyez raisonnables. Que va-t-on faire avec cet argent ? Je vais leur expliquer ce que nous allons faire avec cet argent. Les 2 millions de déplacés du Tchad ont besoin d’un abri, ont besoin de manger, ont besoin d’eau potable, ont besoin de la santé, ont besoin de l’éducation pour leurs enfants, parce que toutes les écoles ont été occupées par ces gens. Un million de dollars ne sert à rien du tout pour ces personnes déplacées. Et comment allons-nous faire pour dédommager les gens qui ont perdu leur vie ? On ne parle pas des voitures et des maisons. La vie humaine n’a pas du tout de valeur. Comment allons-nous éviter les prochaines inondations au Tchad ? Comment va-t-on capturer cette eau, ces eaux qui sont en train de nous envahir ? Comment protéger la vie des gens ? Alors, avec leurs 1 000 millions de dollars, je pense qu’on sait exactement là où ils doivent être. Ils ne comprennent pas où nous allons les placer. En fait, ils comprennent très bien, je vais dire, mais ils ne veulent pas payer pour les dommages subis par nos populations. Ils veulent essayer de faire plutôt un investissement pour encore s’enrichir davantage sur le dos des pauvres. Ce n’est absolument pas acceptable.
Mongabay : Nous sommes presque à trois jours de la fin de la COP. Qu’en pensez-vous de l’état d’avancement des négociations, surtout par rapport à l’instrument, qui visent à augmenter le financement lies au climat ?
Hindou Oumarou Ibrahim : Cette nouvelle ambition n’a pas marché avec les techniciens, ni à Bonn, et à une semaine de la COP, nous ne nous sommes pas accordés. On a passé une semaine avant que les négociations ne commencent à discuter et à négocier de ces points particuliers. Juste pour dire que la proposition de texte n’est pas d’accord. Nous sommes arrivés au point zéro. Nous avons entamé la deuxième semaine. Ce sujet a été remis aux ministres. J’espère qu’ils vont avancer. Tant que les 20 leaders du monde, les pays les plus riches, n’ont pas discuté de comment on va faire sur ces sujets financiers, on peut en discuter ici, on n’aura pas la solution. Et ce que je trouve aussi dommage, c’est que notre vie et notre survie sont entre les mains des 20 les plus puissants du monde, les plus riches, qui devront décider de comment on va négocier le climat. Le monde est très loin de résoudre la question climatique.
Mongabay : Terminons avec le fonds d’adaptation, surtout. C’est une question clé pour les Africains, et certainement pour le Tchad. Quel est votre avis sur l’état d’avancement des négociations sur les financements liés à l’adaptation ?
Hindou Oumarou Ibrahim : Il avait été demandé une répartition de 50-50 pour l’adaptation et l’atténuation. Nous sommes tous conscients que les fonds d’investissement sont principalement utilisés pour l’atténuation. On ne peut pas appeler ça fonds d’aide. Alors, pour l’adaptation, ce sont les seuls fonds qui peuvent aller aux communautés et aux Etats pour construire leur résilience et leur adaptation.
Beaucoup de pays ne sont pas d’accord pour donner les 50-50. Ce qu’ils doivent saisir, ce n’est pas la charité que nous demandons. On ne les supplie pas pour avoir cet argent. C’est un droit. Et ces droits, ils ne veulent pas les reconnaître. Et s’ils disent que ce sont les pays qui respectent les droits humains et qui valorisent ceux qui ont écrit le texte des droits humains, alors le minimum pour nous montrer que c’est un pays de droits et de démocratie, c’est de payer l’argent. Ce sont des fonds d’adaptation. C’est de payer l’argent et de laisser nos pays accéder à ces droits de réparation et de résilience.
Mongabay : Croyez-vous que les représentants des peuples autochtones soient pris en considération lors des conférences internationales, comme celle qui ne traite que des questions liées au changement climatique ?
Hindou Oumarou Ibrahim : Nous sommes en train de nous battre avec eux pour leur rappeler notre rôle de gardiens de la biodiversité, de la planète et de l’écosystème. S’ils nous écoutent, nous n’aurons pas à leur rappeler cela constamment et à nous battre avec eux. Si nous sommes écoutés, il n’y aura pas de négociation sur le simple fait d’inclure les droits des peuples autochtones dans les textes. Si les textes ne respectent pas leurs droits, cela conduira à l’extraction de tous les minéraux et à l’absence de solutions efficaces. C’est la raison pour laquelle nous nous battons pour obtenir la reconnaissance des droits des peuples autochtones dans ces textes.
Mongabay : Depuis quelque temps, on parle énormément de transition juste, d’équité et d’inclusion. Croyez-vous réellement que nous avons pu avancer sur ces différentes questions ?
Hindou Oumarou Ibrahim : Nous sommes encore loin d’atteindre les objectifs de la transition juste et équitable. Ils estiment que la transition juste est de convertir leurs véhicules, qui utilisent du carburant en véhicules électriques. Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne ces sujets, qu’ils le veuillent ou non, la transition doit être réalisée, car les minéraux se trouvent dans les pays du Sud.
Mongabay : Quel est votre point de vue sur le leadership du Tchad en matière de changement climatique aujourd’hui ?
Hindou Oumarou Ibrahim : En ce qui concerne les changements climatiques, il est essentiel de noter que le Tchad est en train de lutter sur la question de la sécurité. Là, on a eu des attaques de groupes terroristes, on a plus de réfugiés dans certaines régions que la population locale. Nous sommes un pays avec des frontières avec des pays plus délicats, tels que la Libye, la guerre au Soudan, la Centrafrique, avec tout ce qui se passe, Niger, Nigeria, Cameroun, Boko Haram. On a des questions sécuritaires beaucoup plus complexes à gérer. En plus des questions liées à l’éducation, à la santé et à la nutrition, nous sommes également préoccupés par le changement climatique. Lors de cette COP, les ministres de l’Environnement sont présents et j’ai eu une discussion plaisante qui va perdurer jusqu’à la fin. On a le ministre de l’Urbanisme qui va venir, car c’est lui qui a la charge de l’infrastructure. On a les équipes de plusieurs ministères, dont le premier ministre, qui sont là pour essayer de dire aux gens : écoutez, les questions climatiques sont liées à nos questions de vie maintenant. Mais il reste que, on est un pays en développement. Les questions géopolitiques sont très complexes. On essaie de faire notre part, mais ce n’est pas suffisant. Si les autres ne se lèvent pas pour parler avec le Tchad, le Tchad seul ne pourra pas résoudre ça.
Mongabay : Croyez-vous que la CEAAC parvienne vraiment à articuler son point de vue, surtout compte tenu de son énorme potentiel dans le bassin du Congo, lors de ces différentes discussions ?
Hindou Oumarou Ibrahim : La CEAAC ne s’implique pas activement dans la négociation climatique. Toutefois, le nombre de réunions, que je tiens avec les banques de développement de l’Amérique latine et du Nord, est énorme par rapport aux autres banques de développement. Et notre CEAAC devrait agir de la même manière. Au niveau ministériel, c’est la ministre de la République du Congo, qui est la présidente du bassin du Congo. Elle parle à haute voix et elle est une bonne copine à moi maintenant, parce qu’on a la même voix. On parle beaucoup des pays qui doivent payer pour nos actions dans tout le bassin du Congo. Et le Tchad fait partie du bassin du Congo. Donc ça, c’est un plus. Toutefois, la CEAAC doit s’unir pour aborder le sujet des finances. Tant que nos institutions ne se regroupent pas en force, il y aura toujours un déficit. Et on doit fermer ce gap en venant tous ensemble, institutions financières, politiques, techniques ; pour leur dire qu’on est là et qu’on ne lâche pas l’affaire.
Image de bannière : La verdure luxuriante d’une forêt sahélienne en saison des pluies, le long de la route Bamako-Kayes au Mali. Photo by NOAA / US Gov.
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