- Une étude récente montre que les Investissements directs étrangers (IDE) ont une influence dans les tendances liées à la déforestation dans les zones tropicales, et qu’en Afrique, ils représentent 12 % des causes de la perte du couvert forestier.
- Les organisations de défense de la nature, à l’instar de l’ONG néerlandaise Milieudefensie, accusent régulièrement les banques, les fonds d’investissements, les multinationales etc., d’investir dans l’expansion des plantations de monocultures dans les régions forestières africaines.
- La Banque mondiale, très souvent impliquée dans des projets de développement préjudiciables à l’environnement sur le continent, se prévaut de son Cadre environnemental et social (CES), un instrument qui vise à protéger les populations et l’environnement contre les effets néfastes potentiels des projets qu’elle finance.
Les études et les analyses réalisées sur la perte massive des forêts ont presque toujours pointé du doigt les activités humaines comme l’un des principaux facteurs de destruction de ces forêts (exploitation forestière, exploitation minière, agro-industrie…). Elles tendent à négliger d’autres causes qui, bien que lointains, contribuent également à la déforestation : les Investissements directs étrangers (IDE).
Une récente étude publiée en juillet 2024 par la revue Nature, sur l’analyse des facteurs de déforestation liés aux systèmes alimentaires, révèle que les investissements directs étrangers et l’urbanisation constituent des menaces pour les forêts tropicales, y compris dans le bassin du Congo.
L’étude indique qu’environ 90 % de dégradation du couvert forestier mondial entre 2000 et 2018, est imputable à l’expansion de l’agriculture, ce qui fait de la production alimentaire le principal facteur direct de déforestation.
Les auteurs de cette étude, majoritairement des chercheurs associés à l’Alliance of Bioversity International and the International Center for Tropical Agriculture (CIAT), une organisation mondiale qui œuvre dans la quête de solutions au changement climatique, la perte de biodiversité, la dégradation de l’environnement et la malnutrition, ont analysé les facteurs de déforestation dans 40 pays tropicaux et subtropicaux entre 2004 et 2024.
Ils y ont inclus 17 pays africains parmi lesquels l’Angola, le Cameroun, le Botswana, le Tchad, la République Démocratique du Congo, la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Nigéria, l’Afrique du Sud, le Ghana, etc. Il s’agit, selon eux, des pays africains ayant les taux de déforestation les plus élevés au monde au cours de la période 2000-2020.
L’analyse s’est faite sous l’angle de la consommation/demande, de la production/offre et du commerce/distribution, en utilisant une approche d’apprentissage automatique utilisant l’algorithme XGBoost (Multiple Extreme Gradient Boosting).
Les résultats indiquent que les dynamiques du commerce et de la demande, en particulier les investissements directs étrangers et la croissance de la population urbaine, jouent un rôle clé dans l’influence des tendances de la déforestation.
Banques, agro-industries et déforestation en Afrique
Dr Augusto Castro-Nunez est Chercheur principal sur les systèmes alimentaires à l’Alliance of Bioversity International-CIAT, et auteur principal de l’étude. Ses recherches portent sur le développement d’approches des systèmes alimentaires, visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre liées à la terre, y compris celles provenant de la déforestation. Il a affirmé, dans une interview à Mongabay, que les investissements directs étrangers (IDE) peuvent contribuer à la destruction du couvert forestier mondial par des voies directes et indirectes. « Les projets agricoles à grande échelle, par exemple, peuvent conduire à la conversion de forêts en terres agricoles, en particulier pour les cultures de base comme l’huile de palme, le soja ou l’élevage de bétail, où les terres forestières sont considérées comme une opportunité d’expansion ».
Il explique en outre qu’indirectement, les IDE n’ont pas seulement un effet sur les modes de consommation alimentaire qui peuvent conduire à la déforestation, mais ils stimulent également un développement économique plus large. « À mesure que les économies locales se développent, les particuliers ou les entreprises locales peuvent réinvestir leurs bénéfices dans la terre, ce qui peut conduire à une expansion de l’agriculture, au développement immobilier ou à la production de bétail, autant d’éléments qui peuvent contribuer à la poursuite de la déforestation », explique Castro-Nunez.
Les analyses effectuées par les chercheurs, indiquent que les IDE sont responsables d’environ 12 % de la déforestation en Afrique, bien que ce score soit faible par rapport à ceux d’autres régions, notamment l’Amérique latine et les Caraïbes, où les IDE contribuent à 73 % à la déforestation. Cela signifie que d’autres variables (sécurité foncière et gouvernance), que les auteurs de l’étude n’ont pas pu explorer en raison des données limitées, doivent être prises en compte pour mieux expliquer les tendances de la déforestation en Afrique.
Au demeurant, les investissements dans le domaine agricole et les infrastructures en Afrique, constituent un des principaux facteurs de destruction des forêts.
Au Cameroun, la Banque mondiale, à travers sa filiale la Société financière internationale (SFI) et la Banque africaine de développement (BAD), comptent parmi les financiers de la société camerounaise Nachtigal Hydro Power Company (NHPC), chargée de la construction du barrage hydroélectrique de Nachtigal, située à dans la localité de Batchenga, à 65 kilomètres au nord-est de Yaoundé, la capitale camerounaise. Dans le cadre de la réalisation de cette infrastructure gigantesque évaluée à $1,3 milliards, plus de 2000 hectares de forêts auraient été rasés dans la zone de projet, d’après une plainte adressée le 17 juin 2022 à la BAD, par une coalition d’organisations de la société civile camerounaise dénommée IFI Synergy, pour dénoncer les impacts du projet sur l’environnement et les communautés. Les ONG accusent ainsi la Banque mondiale et la BAD, d’être responsables des impacts négatifs sur l’environnement et les communautés, à travers leurs investissements dans le projet.
En Afrique, ces institutions financières sont très souvent accusées d’accorder des concours financiers aux projets de développement, préjudiciables à l’environnement et aux forêts précisément. Mongabay a tenté de comprendre le mécanisme de financement des projets par ces institutions financières, en corrélation avec les contraintes liées à la protection de la biodiversité, mais sa demande d’interview à la BAD est restée sans réponse.
La Banque mondiale quant à elle, a répondu par mail à Mongabay. Elle se prévaut d’un Cadre environnemental et social (CES), un instrument mis sur pied en 2016, qui vise à protéger les populations et l’environnement contre les effets néfastes potentiels des projets qu’elle finance. « La Banque mondiale prend très au sérieux les impacts environnementaux et sociaux de ses activités ». « Tous les projets qu’elle finance doivent être conformes à son Cadre environnemental et social, qui stipule que la Banque mondiale et les emprunteurs sont tenus de prendre en compte les risques et effets environnementaux et sociaux dans les projets d’investissement. L’une des normes de ce Cadre concerne spécifiquement la préservation de la biodiversité et la gestion des ressources naturelles biologiques », explique l’institution de Bretton Woods.
Politiques de durabilité peu efficaces
L’ONG néerlandaise Milieudefensie fait partie d’un réseau d’organisations de défense de l’environnement à travers le monde, qui suit régulièrement les flux financiers vers les entreprises agro-industrielles, depuis deux décennies. Elle s’intéresse particulièrement aux activités de la Société financière des Caoutchoucs (Socfin), une holding luxembourgeoise qui exploite de vastes plantations de palmiers à huile et de caoutchouc à travers l’Afrique. Elle bénéficie des investissements étrangers du Fonds de pension norvégien et de certaines banques européennes à l’instar de BNP Paribas, HSBC Holdings Plc, ING Bank ou Rabobank, grâce à sa filiation avec la multinationale française Bolloré, cliente de ces institutions financières. Ces investissements permettent, en partie, à Socfin, d’étendre ses plantations, et cela implique souvent la destruction de plusieurs hectares de forêts ou même l’accaparement des terres communautaires, dans l’optique de booster sa productivité.
Selon Danielle Van Oijen, Coordonnatrice du Programme forêts au sein de cette organisation, « les banques européennes, les fonds de pension et les banques de développement, ont joué un rôle crucial dans l’expansion des plantations de monocultures dans les zones forestières de la région africaine », dit-elle dans un courriel à Mongabay. « Ces financements ont également contribué à des violations des droits de l’homme telles que l’accaparement des terres, la pollution de l’environnement et la violence liée au genre. Et cela n’a pas cessé, même si les institutions financières ont adopté toutes sortes de politiques de durabilité des entreprises, la réalité sur le terrain reste la même », ajoute Van Oijen.
Les politiques de durabilité adoptées par les investisseurs s’avèrent donc peu efficaces, et nécessitent cependant un suivi dans sa mise en œuvre par les États bénéficiaires, de sorte que les effets générés par les investissements soient aussi positifs pour l’environnement que les gains économiques consistants, qui en découlent. C’est du moins ce que soutient Janelle Marie Sylvester, co-auteure de l’étude, Chercheuse à l’Alliance of Bioversity International-CIAT et doctorante à l’université de Copenhague au Danemark. « Les investissements réalisés dans le but d’améliorer les performances économiques de la production, d’assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle et de contribuer aux transformations rurales et urbaines, doivent également tenir compte des externalités négatives potentielles pour l’environnement, et mettre en place des mesures de protection garantissant que les investissements pour le développement économique génèrent également des gains pour l’environnement ».
Sylvester suggère cependant que pour réduire les impacts environnementaux des projets, il est nécessaire de développer des chaînes de valeur durables et améliorer l’accès au marché pour les biens produits de manière durable. « Encourager et stimuler les chaînes d’approvisionnement sans déforestation. Proposer des initiatives de formation et de renforcement des capacités aux petits exploitants agricoles afin d’améliorer la productivité agricole. Il est essentiel de renforcer les politiques, qui intègrent la planification de l’utilisation des terres à la sécurité alimentaire et à la résilience climatique, ainsi que d’appliquer les réglementations environnementales existantes et de renforcer les mécanismes de gouvernance », conclut-elle.
Image de bannière : La déforestation dans le Parc national de Dzanga-Ndoki, au sud-ouest de la République centrafricaine, dans le bassin du Congo. Image de GRID-Arendal via Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).
Citation :
Sylvester, J.M., Gutiérrez-Zapata, D.M., Pérez-Marulanda, L. et al. (2024). Analysis of food system drivers of deforestation highlights foreign direct investments and urbanization as threats to tropical forests. Sci Rep 14, 15179. https://doi.org/10.1038/s41598-024-65397-3.
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