- Véritable refuge pour beaucoup d’espèces menacées iconiques, le complexe WAP d’aires protégées, à la frontière entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger, est l’une des zones protégées les plus importantes d’Afrique de l’Ouest.
- Bien que l’on trouve des servals, des caracals et des chats sauvages d’Afrique dans le complexe WAP, on en sait peu sur leur statut, leur distribution, leur écologie ou les menaces auxquelles ils font face.
- Des études menées en secret sur les marchés de médicaments de la région ont permis de trouver des peaux de serval et de caracal, sans que l’on sache si elles provenaient du complexe WAP.
- La présence de combattants djihadistes dans la région a également un lourd impact sur la recherche, notamment dans les portions du WAP appartenant au Niger et au Burkina Faso.
Dans la région frontalière entre le Bénin, le Niger et le Burkina Faso, se trouve un réseau d’aires protégées formant l’une des plus grandes étendues sauvages intactes d’Afrique de l’Ouest. Le complexe W-Arly-Pendjari (WAP) est un patchwork de forêt-galerie, de savanes et de zones riveraines. C’est aussi le dernier refuge pour beaucoup d’espèces iconiques de la région, comme le lion d’Afrique (Panthera leo leo), l’éléphant de savane d’Afrique (Loxodonta africana) et le guépard (Acinonyx jubatus).
Mais, avec les projecteurs de la conservation braqués sur ces espèces, il est facile d’oublier les petits félins. Le complexe WAP compte trois espèces de petits félins : le serval (Leptailurus serval), le caracal (Caracal caracal) et le chat sauvage d’Afrique (Felis silvestris lybica). Bien qu’elles ne soient qu’une « préoccupation mineure » d’après la Liste rouge de l’UICN, il existe peu de données concrètes sur leurs effectifs dans le complexe WAP, et dans le reste de l’Afrique de l’Ouest. Entre la situation d’instabilité chronique de la région et le peu de fonds accordés à la recherche sur les petits félins, ces espèces risquent de tomber encore plus dans l’obscurité.
Marine Drouilly est coordinatrice du suivi régional des carnivores pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre à Panthera, une ONG spécialisée dans les félins. « Si je devais résumer la situation des petits félins du WAP (et d’Afrique de l’Ouest en général), en une phrase, je dirais qu’on ne sait presque rien d’eux et des menaces auxquelles ils font face », explique-t-elle dans un courriel à Mongabay. « Il y a un gros manque de recherche sur tous les aspects de leur écologie, de leur distribution aux dynamiques de leurs populations, en passant par leur biologie et leurs relations à l’Homme. »

Au cœur du complexe WAP, se trouvent trois aires strictement protégées : le Parc national de la Pendjari au Bénin, le Parc national d’Arly au Burkina Faso et le Parc national du W partagé entre le Bénin, le Burkina Faso et le Niger. Ces trois parcs, avec les zones cynégétiques, les réserves de faunes et les autres aires protégées adjacentes, couvrent 34 000 kilomètres carrés. La zone de protection intégrale, correspondant à près de la moitié de cette surface, est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Depuis quelques années, l’insécurité règne dans la région : les combattants djihadistes sont retranchés dans les parties burkinabé et nigérienne du complexe, et les violences s’étendent de plus en plus au Bénin. Les efforts de conservation sont donc désormais difficiles et dangereux à mener, mais Jacques Kougbadi, responsable marketing et communication pour l’organisation sud-africaine African Parks en charge de la gestion du parc national de la Pendjari et de la portion béninoise du W, rapporte que l’organisation continue d’assurer certaines de ses activités de suivi des espèces.
La majorité de ce que l’on sait sur les petits félins de la région vient de pièges photographiques installés pour surveiller d’autres espèces, comme le léopard (Panthera pardus) ou le guépard, explique Drouilly. Les trois espèces de petits félins ont été détectées, lors des études bisannuelles par pièges photographiques menées dans le Parc national de la Pendjari, au cours des cinq dernières années, mais à l’époque; il n’était pas possible d’effectuer des études dans les autres parcs en toute sécurité. Les données les plus récentes du Parc national d’Arly et des portions burkinabé et nigérienne du ¨Parc régional du W viennent, quant à elles, d’études menées entre 2016 et 2018. À l’époque, les études ont permis de recenser les trois espèces, bien qu’à un niveau d’abondance relativement faible, selon une étude de 2019.

Drouilly note qu’il est peu probable, que les petits félins se portent particulièrement bien à Arly ou au W, car l’empiètement de l’homme et le pâturage du bétail sont un problème permanent dans ces parcs.
Selon Etotépé Sogbohossou, directrice du département Environnement du campus Senghor en Égypte, l’empiètement et la dégradation de l’habitat ne sont généralement pas un problème majeur dans le Parc national de la Pendjari. Dans la partie béninoise du W, la situation s’est améliorée après qu’African Parks en a repris la gestion en 2020.
Cependant, il est difficile de savoir dans quelle mesure les troubles actuels au sein du WAP, en particulier au Burkina Faso et au Niger, affectent directement les petits félins, déclare Sogbohossou, qui a mené des recherches sur les carnivores dans le complexe. D’un côté, la présence de terroristes peut avoir pour effet de chasser la population locale des zones protégées, ce qui réduit l’empiètement. Mais d’un autre, les braconniers pourraient s’installer, et s’il est probable qu’ils se concentreront sur les plus grandes espèces, il est possible qu’ils puissent également tuer les petits félins de manière opportuniste.
Dans l’ensemble, les mauvaises conditions de sécurité rendent le travail dans les parcs extrêmement difficile et dangereux. Sogbohossou encadrait des étudiants travaillant sur des projets de terrain dans la région, mais elle dit ne plus se sentir rassurée à l’idée d’y envoyer des étudiants.
« Auparavant, nous pouvions aller, où nous voulions dans le parc […], mais ce n’est plus possible aujourd’hui », déplore-t-elle.

Le commerce d’espèces sauvages compte parmi les menaces, qui pèsent actuellement sur les servals, et peut-être aussi sur les caracals. En effet, un article publié en 2024 rapporte, que des études menées, ,en secret, entre 2017 et 2019, sur les marchés de médicament au Bénin et au Niger ont constaté que des peaux de serval et de caracal y étaient vendues. Il n’a toutefois pas été possible de confirmer si les peaux venaient de l’intérieur du complexe WAP. L’étude a également révélé que les peaux et les parties du corps des lions, et non des petits félins, étaient les plus répandues parmi les carnivores de taille moyenne et grande.
« Comme d’autres félins tachetés, les servals sont susceptibles d’être visés pour leur peau, car c’était la seule partie de leur corps trouvée sur les marchés », explique Audrey Ipavec, co-autrice de l’étude et coordinatrice régionale de l’initiative de protection des guépards dans l’ensemble de l’aire de répartition de l’Afrique pour la société zoologique de Londres (Zoological Society of London, ou ZSL). Elle souligne que plusieurs peaux pourraient être utilisées pour remplacer une peau de léopard ou de guépard, très prisées dans de nombreuses cultures de la région.
Drouilly et ses collègues ont mené des études sur des marchés similaires au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Ghana. Ils ont trouvé des peaux de serval et de caracal, ainsi que des peaux de chats domestiques, bien que celles-ci aient été moins fréquentes que les produits provenant de lions et de léopards.
D’autres menaces pèsent sur les petits félins de la région, notamment le surpâturage par le bétail domestique et le brûlage annuel des prairies, selon Drouilly. Ces pratiques peuvent entraîner une diminution des populations de petits mammifères, ce qui rend plus difficile pour les félins de trouver les proies, dont ils ont besoin. Les servals seraient particulièrement vulnérables à la perte d’habitat, car ils dépendent des zones humides au cœur de leur aire de répartition, explique Drouilly.

La perte d’habitat met aussi indirectement en danger les petits félins en les poussant à entrer en contact plus étroit avec les humains. Ils présentent ainsi plus de risques d’être tués en représailles pour s’être attaqués à des volailles ou d’être heurtés par des véhicules. Ils peuvent également être tués par opportunisme, dans l’espoir de tirer profit de leur peau, ou simplement par peur, explique Sogbohossou.
La difficulté à obtenir des financements pour l’étude et la conservation des petits félins demeure également un obstacle. Il est difficile pour les chercheurs d’obtenir des fonds pour des espèces qui ne sont pas menacées à l’échelle mondiale, déplore Sogbohossou, particulièrement en Afrique où les ressources sont limitées. Pourtant, il est également important de prendre en considération le statut régional d’une espèce et d’essayer de protéger la diversité génétique présente dans l’ensemble de son aire de répartition. Les espèces largement répandues, comme les servals, les caracals et les chats sauvages d’Afrique, sont moins susceptibles d’être menacées à l’échelle mondiale, mais leur disparition au niveau local reste un danger.
Selon Kougbadi, des recherches plus approfondies sur ces petits félins sont nécessaires, notamment sur leur rôle dans les écosystèmes et sur la manière dont ils contribuent à la lutte contre les nuisibles dans les zones agricoles autour des parcs. Mais pour faire de la recherche, il faut des financements.
« La première étape consisterait à évaluer le statut des espèces […] pour pouvoir ensuite intervenir sur le terrain, dans la limite du possible, compte tenu de la situation sécuritaire », explique Drouilly.
Image de bannière : Un chat sauvage d’Afrique dans le parc transfrontalier de Kgalagadi en Afrique du Sud. Si l’on sait peu de choses sur les menaces qui pèsent sur les chats sauvages en Afrique de l’Ouest, ils sont menacés par l’hybridation et la transmission de maladies par les chats domestiques dans toute leur aire de répartition. Image reproduite depuis Wikimedia Commons, (CC BY-SA 2.0).
Citations:
Harris, N. C., Mills, K. L., Harissou, Y., Hema, E. M., Gnoumou, I. T., VanZoeren, J., … Doamba, B. (2019). First camera survey in Burkina Faso and Niger reveals human pressures on mammal communities within the largest protected area complex in West Africa. Conservation Letters, 12(5). doi:10.1111/conl.12667.
Gerstenhaber, C., Ipavec, A., Lapeyre, V., Plowman, C., Chabi-N’Diaye, Y., Tevoedjre, F., … Durant, S. M. (2024). Illegal wildlife trade: An analysis of carnivore products found in markets in Benin and Niger. Global Ecology and Conservation, 51. doi:10.1016/j.gecco.2024.e02880.
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 11 octobre, 2024.