- Près de 70 % de la population active au Cameroun travaille dans le secteur agricole, et les femmes constituent une part importante de cette main-d'œuvre.
- Les saisons sont devenues imprévisibles, les agricultrices s’appuient désormais sur l'observation des tendances météorologiques plutôt que sur le calendrier agricole traditionnel.
- Pour faire face aux poches de sécheresse et aux excédents de pluies, les agricultrices adoptent des stratégies telles que l'irrigation manuelle et la diversification des cultures, augmentant ainsi leur résilience face aux impacts du changement climatique.
- Les experts recommandent l'utilisation de techniques agroécologiques comme le Zaï et le paillage, ainsi que la construction de diguettes pour gérer les excédents de pluies.
Ce samedi matin, Elise Nomegne et ses enfants s’activent dans leur champ de maïs, situé à Nkolbisson, un quartier périphérique de Yaoundé, la capitale du Cameroun. A l’aide d’une houe, elle retourne la terre et l’entasse autour des jeunes plants, qui ont moins de 10 centimètres de hauteur. « Normalement, à cette période de l’année, ces plants de maïs devraient déjà être très hauts, presque à taille humaine. Mais, à cause du bouleversement des saisons, j’ai dû commencer le semis à la mi-septembre au lieu du début du mois de juillet comme l’année dernière », explique l’agricultrice en observant son champ. « Avant, il y avait une date précise pour commencer les semis. Maintenant, on attend de voir quand les pluies vont commencer pour semer », ajoute Nomegne en secouant la tête de gauche à droite, en signe de désespoir.
L’ingénieur agronome Appolinaire Tetang, rencontré à son bureau de Yaoundé, explique à Mongabay que le cas d’Elise Nomegne n’est pas isolé. Comme elle, beaucoup d’agricultrices au Cameroun se plaignent de ne plus savoir sur quelle base planifier leurs activités agricoles. « La notion de changement climatique ne surprend plus les agricultrices. Elles sont avisées. Elles constatent que les temps ont changé et que leurs méthodes de culture doivent s’adapter en conséquence », dit-il. Tetang occupe le poste de Chargé du conseil agricole au sein de l’ONG suisse Service d’Appui aux Initiatives locales de Développement (SAILD). Fort de son expérience de terrain dans le monde agricole, il explique que « traditionnellement, les agricultrices se basaient sur un calendrier agricole empirique, adapté aux cinq zones agroécologiques du Cameroun.
Par exemple, dans la zone des hautes terres de l’Ouest, les semis se faisaient généralement entre le 10 et le 15 mars pour la première campagne agricole, et entre le 5 et le 15 août pour la seconde. Cependant, depuis une dizaine d’années, ce calendrier n’est plus fiable et n’est donc plus suivi ».
L’agriculture joue un rôle clé, tant au plan économique qu’environnemental. Selon la Banque mondiale, « le développement de l’agriculture est l’un des leviers les plus puissants sur lequel il convient d’agir pour mettre fin à l’extrême pauvreté, renforcer le partage de la prospérité et nourrir les 10 milliards de personnes que comptera la planète en 2050 ». L’institution financière ajoute que « la production agricole est en outre menacée par les effets croissants du changement climatique, en particulier dans les régions du monde qui souffrent déjà d’une insécurité alimentaire ».
D’après les données de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les femmes constituent 43 % de la main-d’œuvre agricole à l’échelle mondiale. Ce chiffre monte à 60 % dans les pays en développement. Au Cameroun, l’agriculture est le principal pourvoyeur d’emplois, avec près de 70 % de la population active, la majorité étant les femmes.
C’est donc dire que les femmes subissent les effets du changement climatique. Marie Thérèse Ada, Présidente de l’association « Les femmes actives du Nyong et So’o », un regroupement de près de 50 agricultrices dans la région du Centre du Cameroun, explique à Mongabay que ces problèmes s’enchaînent désormais tout au long du cycle de culture. Après avoir hasardeusement déterminé la période de semis, les femmes sont très souvent surprises de constater l’apparition de poches de sécheresse durant des périodes critiques du développement des plantes.
Par ailleurs, des excédents de pluie se manifestent également à des moments inattendus. Or, chaque variété cultivée a des exigences spécifiques en matière de conditions climatiques, que ce soit en terme de température, d’humidité ou de pluviométrie ; des éléments, qui doivent être respectés pour espérer de bonnes récoltes.
Une adaptation nécessaire aux aléas climatiques
Tétang explique qu’en termes de résilience, beaucoup d’agricultrices ne se fient plus au calendrier agricole empirique. Elles préfèrent observer la tendance des pluies sur une quinzaine de jours environ avant de commencer les semailles. Cette tentative de prévision des précipitations souffre, cependant, d’incertitudes, y compris lorsqu’elle est faite par des organismes certifiés. « Même pour les agriculteurs qui recourent aux prévisions météorologiques officielles, il est souvent arrivé que la réalité soit différente. On nous a souvent interpellés parce que nous avons relayé ces prévisions et l’information était erronée ; par exemple, il pleut un jour où la météo avait prédit le soleil », explique le conseiller agricole Tétang.
Au Cameroun, la Direction de la Météorologie, est chargée de produire des informations météorologiques et climatologiques dans différents domaines, y compris celui de l’agriculture. Maeva Ngo Mbii, cheffe du Service de l’Agrométéorologie et de l’Environnement atmosphérique (SAEA), explique à Mongabay que « la météorologie n’est pas une science exacte, mais plutôt une science prédictive ». Elle dit que les services météorologiques du Cameroun produisent un bulletin qui prédit les conditions météorologiques sur une période de cinq jours. « Ces données sont fiables au moins à 90 % », affirme Ngo Mbii.
Les changements climatiques se manifestent généralement, soit par des poches de sécheresse, soit par des excédents de pluie. En fonction du type de manifestation, les agricultrices trouvent des méthodes de résilience, dans le même temps, les experts rencontrés par Mongabay proposent des solutions.
Une “poche de sécheresse” se définit comme une période spécifique au cours de laquelle, bien que les précipitations aient débuté aux dates habituelles, elles s’interrompent durant une phase critique pour les activités, par exemple au moment de la croissance des plantes, lorsque la demande en eau est importante. Ce phénomène s’inscrit dans le cadre plus large de la sécheresse, qui, selon l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM), est « une période sèche prolongée au cours du cycle climatique naturel, qui peut se produire n’importe où dans le monde ».
Face aux poches de sécheresse, les agricultrices réagissent différemment. Marie Thérèse Ada, explique que les agricultrices de son association irriguent leurs champs de diverses manières, en fonction de leurs moyens financiers. « Celles, qui le peuvent ont creusé un puits dans leur champ. Une pompe manuelle et un tuyau permettent de tirer l’eau du puits pour arroser les plantes. Celles qui n’ont pas d’argent pour s’offrir cette infrastructure, arrosent leur champ manuellement. Elles vont puiser de l’eau à la rivière et utilisent ensuite un arrosoir », dit-elle.
Tetang pense qu’il n’est pas aisé pour les petits agriculteurs de mettre sur pied un système d’irrigation. Il conseille « la diversification des cultures, que ce soit en association ou en assolement, c’est-à-dire, créer des parcelles contenant plusieurs spéculations ». L’expert explique que la diversification permet « de mieux faire face aux changements climatiques parce que parfois, une variation climatique peut être défavorable à une culture, mais favorable à une autre. En associant par exemple, le haricot au maïs, on peut récolter le haricot même si le maïs ne survit pas ».
Guy Rodrigue Kouang, spécialiste camerounais de l’agroécologie, propose comme autres solutions, d’adopter des techniques qui permettent de produire, même en saison sèche. « On a par exemple la technique du Zaï qui consiste à enterrer du compost et à cultiver au-dessus. On a aussi la technique du paillage, qui limite l’évaporation, maintient l’humidité des sols des zones sèches, permettant ainsi de continuer à cultiver même en l’absence de pluies », explique Kouang.
Pour s’adapter aux excédents de pluies, l’autre manifestation des changements climatiques, Kouang préconise la fabrication de « diguettes, qui sont des formes de dunes pour pouvoir canaliser l’eau et permettre que les plantes ne soient pas noyées ».
Difficile accès à l’information
Elise Nomegne, Marie Thérèse Ada et d’autres agricultrices rencontrées par Mongabay disent apprécier de recevoir des aides et conseils pour atténuer les effets du changement climatique. Mais, au lieu de les subir, elles préfèrent être préparées à anticiper les problèmes, à savoir les inondations, les tempêtes de vent ou même les sécheresses. « Cette année, j’ai perdu mon champ à cause des inondations. L’année dernière, j’avais également perdu mon champ, toujours à cause des inondations. Il faut qu’on nous montre comment faire pour que ce genre de chose n’arrive plus. Prévenir vaut mieux que guérir », dit Salama Oumar, agricultrice à Yagoua, dans l’ Extrême Nord du Cameroun.
Face à cette préoccupation, le spécialiste Guy Rodrigue Kouang, rencontré à Yaoundé, affirme que l’agroécologie est une alternative à l’atténuation aux changements climatiques, mais aussi à l’adaptation. « Les techniques comme le paillage, la fumure organique ou le Zaï, que nous apprenons aux agriculteurs, sont des éléments d’anticipation. Mais, on ne peut complètement anticiper parce que le climat n’est pas une équation mathématique, c’est une donnée variable. L’agroécologie ne consiste pas seulement à planter et à récolter. C’est de créer aussi un environnement propice. Il y a des plantes adaptées à chaque zone agroécologique, nous conseillons les agriculteurs en tenant compte de cela », explique Kouang. Il ajoute que la météorologie est également un élément important à prendre en compte car, « c’est le dérèglement des saisons qui fait problème ».
A la Direction de la Météorologie, Maeva Ngo Mbii affirme que les dispositions sont prises pour informer le secteur agricole des prévisions météorologiques. Des bulletins d’alerte météorologique sont élaborés tous les cinq jours et distribués à travers diverses plateformes, y compris les sites web, les fora WhatsApp et même via les partenariats avec des médias spécialisés et les radios communautaires.
Pour Ngo Mbii, le problème ne se trouve pas au niveau de la disponibilité de l’information météorologique, mais plutôt de son accès. Elle explique qu’en 2023, le service qu’elle dirige a mené une enquête avec d’autres partenaires, pour déterminer le niveau d’information des femmes, notamment les agricultrices des zones rurales. « Les femmes ont déclaré être trop occupées par les tâches agricoles et ménagères, et ne pas avoir de temps pour suivre les informations. Ce sont habituellement les hommes, qui suivent les informations, et ils ne les relaient pas systématiquement aux femmes. Nous sommes en train de penser aux stratégies pour atteindre directement les femmes », conclut Ngo Mbii.
Image de bannière : Dorothee Mbogo travaille dans sa ferme où elle cultive du manioc à Batchenga, au Cameroun. Image de UN Women/Ryan Brown via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
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