- L’intensification de l’agriculture, pour préserver les terres au profit de la nature en Afrique, pourrait contribuer à atteindre les objectifs concurrents de sécurité alimentaire et de conservation de la biodiversité.
- En Afrique, l’agriculture intensive s’est développée pour répondre aux exigences croissantes en matière de sécurité alimentaire face à la croissance démographique.
- La conservation de l’agrobiodiversité in situ présente des avantages majeurs, car elle préserve, non seulement les connaissances écologiques traditionnelles, mais aussi favorise la souveraineté alimentaire.
- La conservation de l’agrobiodiversité permet d’empêcher l’expansion de l’agriculture dans les zones protégées. En Afrique, il existe des incitations à l’agrobiodiversite par le biais de programmes tels que les paiements pour services écosystémiques, ainsi que des incitations à l’agriculture intensive par le biais des prix du marché alimentaire.
Une étude récente, publiée par un groupe d’éminents experts de la conservation, montre que la conservation de l’agrobiodiversité reste une composante importante de l’agriculture durable pour assurer la sécurité alimentaire en Afrique centrale, notamment.
Pour que l’agriculture intensive soit durable et que l’économie des terres soit réalisée de manière équitable dans certaines parties de la sous-région d’Afrique centrale, les experts estiment qu’une attention particulière doit être accordée aux initiatives visant la conservation des paysages à forte agrobiodiversité.
D’après les conclusions de cette étude réalisée par un groupe de scientifiques établis aux Jardins botaniques royaux de Kew, au Royaume-Uni, l’intensification de l’agriculture pour préserver les terres au profit de la nature pourrait contribuer à atteindre les objectifs concurrents de sécurité alimentaire et de conservation de la biodiversité.

Cependant, les chercheurs affirment que cette approche néglige et sous-estime l’agrobiodiversité, actuellement préservée par des millions de petits exploitants agricoles. Pour que l’intensification soit durable et que l’épargne des terres soit réalisée de manière équitable, l’étude recommande la conservation des paysages à forte agrobiodiversité.
Garantir la sécurité alimentaire
Les estimations de la Commission des Forêts d’Afrique Centrale (COMIFAC) montrent que l’agrobiodiversité en Afrique centrale est un sujet crucial pour la durabilité et la résilience des systèmes agricoles de la région.
Le constat mis en lumière par les chercheurs britanniques est qu’en Afrique, l’agriculture intensive s’est développée pour répondre aux exigences croissantes en matière de sécurité alimentaire face à la croissance démographique, notamment. « Nous soutenons que l’agriculture intensive soit également un facteur de conservation – en garantissant la sécurité alimentaire (…) La conservation peut être considérée comme un luxe à moyen ou long terme, alors que garantir la sécurité alimentaire est une tâche urgente et immédiate », affirme Sophie Jago, auteure principale de cette étude dans une interview à Mongabay.
L’étude montre que la sous-région va produire davantage de nourriture à partir de terres limitées au cours du siècle prochain, tout en infléchissant simultanément la courbe de perte de biodiversité.
Alors que la plupart des espèces déclinent sous l’effet de l’agriculture, l’étude montre que l’économie des terres arables reste le moyen le plus efficace pour répondre aux besoins de l’humanité au moindre coût pour la biodiversité.
Cependant, pour garantir que l’économie de terres puisse générer des résultats en matière de production et de conservation, Jago est persuadée que l’intensification des systèmes agricoles doit être durable face aux nouveaux défis tels que le changement climatique.
Etant donné que les paysages à forte agrobiodiversité sont généralement gérés pour la sécurité alimentaire, la diversité nutritionnelle et la valeur culturelle, ces espaces ne sont optimisés ni pour les rendements ni pour la conservation de la nature, affirment les chercheurs.
Connaissances écologiques traditionnelles
L’étude montre par ailleurs que la préservation stricte des terres exige parfois que les espaces réservés pour l’Agriculture soient gérés de manière à maximiser (de manière durable) les rendements et à optimiser la production alimentaire. « Cette approche ne laisse pas suffisamment de place aux petits exploitants agricoles pour continuer à fournir ce service de conservation de la biodiversité agricole d’importance mondiale et régionale », affirme Dr James Borrell, co-auteur de l’étude.

Il a été démontré que la conservation de l’agrobiodiversité in situ présente des avantages majeurs, car elle préserve, non seulement les connaissances écologiques traditionnelles, mais aussi favorise la souveraineté alimentaire.
L’économie de terres, selon les experts des Jardins botaniques royaux de Kew, exige que les espaces arables soient gérés de manière à maximiser (de manière durable) les rendements et à optimiser la production alimentaire.
La gestion dynamique à la ferme de l’agrobiodiversité, dans des zones tropicales en Afrique, notamment le bassin du Congo, est considérée aux yeux du scientifique comme une meilleure option pour assurer une adaptation continue des populations face aux caprices climatiques.
Toutefois, sans une approche systématique de la conservation de la biodiversité dans les petites exploitations agricoles en Afrique centrale, cette situation risque d’être l’une des causes principales de l’insécurité alimentaire.
Actuellement, il existe, en Afrique des incitations à la conservation de la nature, par le biais de programmes tels que les paiements pour services écosystémiques, ainsi que des incitations à l’agriculture intensive par le biais des prix du marché alimentaire. Toutefois, les résultats de cette étude montrent que le service important que fournissent les petits exploitants agricoles, en augmentant la résilience et la durabilité des systèmes alimentaires, grâce à la conservation des cultures rares et indigènes, reste sous-estimé.
Systèmes alimentaires durables
Dans leur recherche, Jago et Borrell se sont concentrés sur l’identification des zones de forte agrobiodiversité en Afrique comme le bassin du Congo, ainsi que sur l’efficacité des zones protégées pour la conservation de la nature et la sécurité alimentaire.
Le Cadre mondial pour la biodiversité (GBF, sigle en anglais) appelle à réserver 30 % de la planète à la nature. Ce plan, adopté par 196 pays, vise à guider l’action mondiale en faveur de la nature jusqu’en 2030.

Dans le bassin du Congo, cette initiative prend une importance particulière en raison de la richesse écologique de cette région. « Pour qu’un scénario d’économie de terres aboutisse à des systèmes alimentaires durables et résilients, et intègre les petits exploitants agricoles de manière équitable, nous devons adopter la conservation de l’agrobiodiversité », a souligné Jago, décrivant la situation qui prévaut actuellement dans plusieurs parties en Afrique et dans la région du bassin du Congo.
Selon elle, les zones tropicales en Afrique centrale, caractérisées par des forêts denses et humides, sont les plus concernées par cette situation.
Dans ces régions, de nombreux agriculteurs de petite taille vivent à proximité et maintiennent une grande biodiversité indigène dans leurs exploitations ; au-delà, on y pratique l’agriculture intensive sur les terres arables.
Jago et Borrell restent convaincus que la conservation de l’agrobiodiversité est fondamentale pour une intensification durable en Afrique et permet donc d’empêcher l’expansion de l’agriculture dans les zones protégées à l’avenir.

Les estimations officielles montrent que le bassin du Congo, avec 180 millions d’hectares de couvert forestier et 185 millions d’habitants, représente près de 20 % des terres disponibles pour l’agriculture en Afrique subsaharienne. L’étude montre que les petites exploitations occupent actuellement 12 à 24 % des terres agricoles. « La conservation de l’agrobiodiversité peut jouer un rôle majeur dans la protection des zones à forte intensification de l’agriculture dans ces régions», affirme Dr Borrell dans une interview à Mongabay.
Professeur Eugénie Kayitesi, une chercheuse rwandaise dans le domaine de l’Agriculture et l’Alimentation et enseignante à l’université de Pretoria en Afrique du Sud, a confié à Mongabay que le plus grand défi pour l’Afrique réside notamment dans le fait que le changement climatique a rendu actuellement certaines zones moins inexploitables pour l’agriculture. « La préservation de l’agrobiodiversité offre aux populations africaines les moyens de transformer les systèmes alimentaires et d’améliorer leurs conditions de vie », affirme-t-elle.
L’étude réalisée par les chercheurs des Jardins botaniques royaux de Kew, montre qu’environ 800 millions de personnes (78 % des pauvres du monde) dépendent de l’agriculture vivrière pour leur subsistance.
Une grande partie de cette population vit dans les pays du Sud, notamment en Afrique subsaharienne, là où une insécurité alimentaire périodique persiste malgré les pratiques de l’agrobiodiversité associées aux connaissances traditionnelles. « L’un des éléments clés manquants est l’intégration de la conservation de l’agrobiodiversité dans nos pratiques agricoles. L’Afrique est riche en paysages, riches en agrobiodiversité, et nous avons besoin de ces paysages pour favoriser une intensification durable », affirme Dr Borrell.
Image de bannière : Culture de haricots grimpants dans la province du Nord-Kivu en République démocratique du Congo. Image de CIAT/NeilPalmer via Flickr ( CC BY-SA 2.0).
Citation:
Jago, Sophie et al. (2024). Agrobiodiversity conservation enables sustainable and equitable land sparing. Trends in Ecology & Evolution, Volume 39, Issue 10, 877-880. doi: 10.1016/j.tree.2024.08.009.
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