- L'AMCEN à Abidjan marque une étape cruciale pour l'Afrique dans la mise en œuvre des accords internationaux sur la biodiversité, entre la COP15 de Montréal et la future COP16 de Riyadh.
- Le financement reste un défi majeur pour le continent, avec des mécanismes actuels jugés insuffisants et une revendication pour une répartition plus équitable des ressources.
- Les experts africains appellent à une approche collaborative et innovante, intégrant les droits des communautés locales et le développement de nouveaux marchés comme celui du carbone.
- L'Afrique cherche à parler d'une seule voix pour obtenir un partenariat équitable dans la préservation de la biodiversité, tout en assurant son développement économique et social.
La 10ème session spéciale de la Conférence Ministérielle Africaine sur l’Environnement (AMCEN), qui se tient actuellement à Abidjan, en Côte d’Ivoire, marque une étape déterminante dans le parcours de l’Afrique vers la mise en œuvre des accords internationaux sur la biodiversité. Entre la COP15 à Montréal en 2022 et la prochaine COP16 prévue à Riyadh en décembre 2024, le continent africain se trouve à un carrefour décisif pour la préservation de son patrimoine naturel unique et la réalisation de ses objectifs de développement durable.
Lors de la COP15, les nations du monde ont adopté le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, un accord ambitieux visant à stopper et à inverser la perte de la biodiversité d’ici à 2030. Pour l’Afrique, continent abritant certains des écosystèmes les plus riches et les plus menacés de la planète, la mise en œuvre de cet accord représente à la fois un défi colossal et une opportunité unique.
Les défis de la mise en œuvre : entre ambitions et réalités
Dans ce contexte, l’AMCEN joue un rôle central dans la coordination des efforts africains pour traduire les engagements internationaux en actions concrètes sur le terrain. Dr Jihane El Gaouzi, Cheffe de la division Environnement durable à l’Union africaine, souligne l’importance de cette rencontre. « Notre but est de trouver des objectifs communs à nos pays, afin de parler d’une seule voix au nom de l’Afrique à la COP16. Notre objectif commun est de proposer et mettre en place des stratégies qui vont permettre d’implémenter des plans d’actions dans les États », dit-elle à Mongabay en marge des travaux des experts.
L’un des principaux défis auxquels l’Afrique est confrontée dans la mise en œuvre des accords sur la biodiversité, est l’élaboration et la présentation des Stratégies et plans d’actions nationaux pour la biodiversité (SPANB). Ces documents sont essentiels pour aligner les efforts nationaux sur les objectifs mondiaux. Cependant, à ce jour, seul l’Ouganda a soumis sa SPANB révisée depuis la COP15. Cette situation démontre l’urgence pour les autres pays africains d’accélérer leurs processus de planification et de mise en œuvre.
La question du financement reste un point névralgique dans les discussions. Lors de la COP15, les pays développés se sont engagés à mobiliser des sommes considérables pour soutenir les efforts de conservation dans les pays en développement. Cependant, l’accès à ces fonds et leur distribution équitable restent des sujets de préoccupation majeure pour les nations africaines.
Stella Tchoukep, Chargée de la campagne forêt chez Greenpeace Afrique, exprime une frustration partagée par de nombreux acteurs du continent. Interrogée par Mongabay, elle déclare : « Les financements sont nécessaires pour lutter contre la désertification et la dégradation des terres. Les compagnies étrangères font du profit et les communautés rurales subissent les dégâts. Les responsables doivent payer pour ça ». Elle soulève également la question de l’équité historique : « Les autres continents se sont développés sans considération pour l’environnement et, aujourd’hui, la croissance de l’Afrique est suspendue, parce qu’il faut se soucier de l’environnement. Préserver l’environnement est vital et la marche de l’Afrique vers son développement est vitale. Pour l’équilibre, il faut mettre les financements à disposition et bien sûr se rassurer qu’ils atteignent leur cible ».
Cette préoccupation est partagée par Baba Dramé, Directeur de la réglementation et du contrôle au ministère de l’Environnement et de la transition écologique du Sénégal. Interrogé par Mongabay, il met en lumière les limites des mécanismes de financement actuels : « Aujourd’hui, le mécanisme de financement qui est le plus sollicité est le Fonds mondial pour l’environnement (FEM), qui, nous le savons tous, a des capacités très limitées. Quand on prend le cas du Sénégal, l’allocation au pays dans le cadre du 8e cycle d’application du FEM ne tourne qu’autour de 14 millions de dollars. Que peut-on faire avec une telle somme pour lutter contre la désertification ».
Vers des solutions innovantes et une approche collaborative
Face à ces défis, des solutions innovantes émergent. Laurent Some, Directeur des politiques et des partenariats du Fonds Mondial pour la Nature (WWF) Afrique, évoque une initiative prometteuse. « WWF travaille avec la Commission des Forêts d’Afrique Centrale (COMIFAC) sur une initiative visant à augmenter le flux de financements pour stabiliser et améliorer les stocks de carbone, augmenter la biodiversité et financer le développement d’une économie verte dans le bassin du Congo », dit-il à Mongabay. Il souligne l’importance qu’il y à développer des marchés de carbone spécifiques aux forêts du bassin du Congo, où les revenus des crédits carbone seraient directement réinvestis dans les projets de restauration et de conservation.
La reconnaissance et la protection des droits des communautés locales et des peuples autochtones sont également cruciales dans la mise en œuvre des accords sur la biodiversité en Afrique. La sécurisation des droits fonciers de ces communautés est considérée comme un préalable nécessaire à leur implication effective dans la conservation de la biodiversité.
Cette préoccupation est particulièrement pertinente dans le contexte du bassin du Congo, deuxième plus grand massif forestier tropical au monde après l’Amazonie. Les forêts du bassin du Congo jouent un rôle important dans la régulation du climat mondial et abritent une biodiversité exceptionnelle. Cependant, elles sont menacées par la déforestation et la dégradation, souvent liées à des projets de développement, qui ne prennent pas suffisamment en compte les droits et les besoins des communautés locales.
A ce niveau, l’AMCEN a un rôle déterminant à jouer dans l’élaboration de recommandations et de lignes directrices pour la mise en œuvre des accords internationaux issus des COP. Ces recommandations devraient inclure le renforcement des cadres juridiques nationaux pour aligner les législations sur les engagements internationaux en matière de biodiversité, l’élaboration de mécanismes de financement innovants, et la promotion de l’intégration de la biodiversité dans tous les secteurs de l’économie.
« La question financière demeure très importante. Les ressources, qu’elles soient financières ou humaines, sont importantes et stratégiques pour pouvoir mettre en œuvre les recommandations et décisions issues des travaux des experts », dit Dr El Gaouzi.
L’approche collaborative est essentielle pour relever les défis environnementaux du continent. Les actions coordonnées des gouvernements, de la société civile et des ONG sont cruciales, tant dans la réflexion intellectuelle, que dans la mise en œuvre des projets. Cette synergie est indispensable pour une mise en œuvre efficace des accords sur la biodiversité.
Dramé insiste sur la nécessité d’une approche intégrée : « Au niveau international, les financements qui sont mobilisés pour lutter contre la désertification sont souvent les mêmes que ceux utilisés pour lutter contre les changements climatiques ou la perte de la biodiversité. Il est donc crucial de créer beaucoup plus de synergie autour de la question du financement pour pousser nos partenaires au développement, notamment les pays développés, à disponibiliser plus de ressources pour nous permettre de financer nos politiques environnementales ».
Alors que l’Afrique se prépare pour la COP16 à Riyadh, l’AMCEN offre une plateforme unique pour consolider une position africaine forte et unifiée. Cette position devrait mettre l’accent sur la nécessité d’un soutien financier et technique accru pour la mise en œuvre des accords sur la biodiversité, tout en soulignant l’importance à respecter les droits et les connaissances traditionnelles des communautés locales.
Tchoukep exprime avec force cette aspiration : « L’Afrique a toujours été placée dans une position de faiblesse et il est plus que temps que nos leaders prennent la position qui est réellement la nôtre sur la table des négociations, pour un partenariat égal, équitable et gagnant-gagnant. Pour le faire, nous Africains avec nos dirigeants devons parler d’une seule voix et revendiquer avec férocité ce qui nous revient de droit ».
Le chemin de la COP15 à la COP16, en passant par l’AMCEN, représente pour l’Afrique une opportunité capitale pour transformer les engagements internationaux en actions concrètes pour la préservation de sa biodiversité unique. Le succès de cette entreprise dépendra de la capacité du continent à mobiliser des ressources, à renforcer ses institutions, à impliquer toutes les parties prenantes et à trouver un équilibre entre conservation et développement.
Les décisions prises lors de cette 10ème session spéciale de l’AMCEN à Abidjan pourraient bien définir la trajectoire de l’Afrique vers un avenir où la biodiversité est, non seulement préservée, mais aussi valorisée comme un atout précieux pour le développement durable du continent. Comme l’indique Tchoukep, « l’écosystème en Afrique est un bien commun de l’humanité. En tant que tel, l’humanité doit payer pour sa préservation et permettre à l’Afrique d’avoir d’autres sources de revenus pour financer les autres secteurs tels que l’éducation et la santé ».
Cette vision globale, qui lie la préservation de la biodiversité au développement socio-économique, pourrait bien être la clé pour une mise en œuvre réussie des accords sur la biodiversité en Afrique.
Image de bannière : La mise en œuvre des accords internationaux sur le climat et la biodiversité représente un défi pour les pays africains confrontés à des problèmes multiples et multiformes pour leur développement. Image de Roland Klohi pour Mongabay.
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