- Une importante quantité de minerais de cassitérite et de coltan découverte dans une concession du parc national suscite des malentendus. Les experts du secteur minier critiquent vivement les irrégularités ayant émaillé l’exploration, et les défenseurs de la nature s’inquiètent des dangers environnementaux liés à l’exploitation de ces gisements.
- Certaines communautés dépendent du parc ont peur qu’une vague d’évictions inattendues, pour obtenir la libération des lieux, rende la situation plus délicate. Ceux qui ont des logements à proximité vivent également dans la crainte de quitter leur domicile, pour faire place à l’expansion de la mine.
- L’OBPE et l’OBM, deux organes publics de surveillance de l’environnement et des mines, tranquillisent les uns et les autres. Ils assurent que l’exploitation sera faite suivant la procédure telle que le code minier et forestier l’exige.
- Depuis 1993, le parc de Murehe est devenu la cible de plusieurs migrants, les déplacés de guerre, les rapatriés, les agriculteurs et les Batwa facilités par l’administration.
Le 16 juillet 2024, les gestionnaires de la société minière BUMECO (Burundi Metal Company), opérant au Nord-Est du Burundi, ont officiellement révélé au chef de l’Etat l’existence d’un filon de minerais de cassitérite et de coltan dans une concession du Parc national de Murehe.
Au cours de la visite du Président Evariste Ndayishimiye, le Directeur de la société, Gaspard Ngendakumana, a fait savoir qu’une seule galerie de la mine contient une importante quantité estimée à 12.700.000 tonnes pour un montant de plus 50 milliards de dollars, des richesses naturelles du pays autrefois exploitées et convoitées par les colons, selon ces 2 dirigeants.
Pourtant, cette quantité de minerais ne fait pas l’unanimité au sein des spécialistes miniers.
Un cadre de l’Office Burundais pour les Mines (OBM), qui a préféré garder l’anonymat pour sa sécurité, rejette ces affirmations. Il indique, que la quantité, qui a été déclarée par la société BUMECO, est fausse.
Selon lui, ces tonnes et les calculs des recettes de l’Etat devraient normalement figurer dans un document d’étude de faisabilité et envoyés à l’OBM pour des analyses, avant qu’ils ne soient présentés au chef de l’Etat. « Au niveau de l’OBM, nous ne connaissons pas l’étude, qui a été menée pour aboutir à de telles conclusions », a-t-il souligné.
D’après lui, une visite présidentielle, dans le domaine minier, est normalement guidée par les ingénieurs de l’OBM.
Il déplore, par contre, qu’aucun technicien de cette office nationale, qui a la légitimité, les compétences nécessaires et le devoir de suivre tous les travaux de recherche et d’exploitation des mines, n’a été consulté, ni convié à ces cérémonies de lancement de cette découverte.
Ces chiffres représentent, selon lui, l’ensemble des concentrés, et sa valeur a été calculée sans soustraire les coûts de production, les frais administratifs et les taxes, non plus sans tenir compte des conditions du marché.
« Bien que Murehe soit connue comme une région potentiellement porteuse de gisements de cassitérite et de coltan, il n’ya pas de minerais d’une telle valeur pouvant placer le Burundi au dessus de la Chine et des Etats Unies en terme de PIB », note t-il.
Les mêmes révélations disent qu’un tunnel, qui servait à ces colons à extraire clandestinement les mines dans le même parc, a été également annoncé : « rebouché et bétonné » à leur départ, pour effacer toute trace indiquant la présence des gisements de minerais à cet endroit, selon Thomas Ndacayisaba, un des actionnaires de BUMECO.
« {… } La preuve est que les colons belges ont scellé ce tunnel avec du béton armé, qu’ils ont, par la suite, recouvert de terre, avant de planter dessus des arbres pour en faire une réserve naturelle», s’est indigné le Président Ndayishimiye, lors du lancement officiel de la découverte des minerais, à Murehe, le 16 juillet 2024.
Le manque de transparence et d’études d’exploration à Murehe a alimenté des débats.
Des chercheurs, dans ce secteur, qui connaissent mieux le Burundi, ont exprimé leur forte désapprobation s’agissant de ce que les autorités burundaises ont décrit comme une découverte, puisque, selon eux, les filons d’exploration et d’exploitation à Murehe étaient bien localisés et portaient des noms connus.
Un ingénieur allemand à la retraite, ayant longtemps travaillé en Afrique et au Burundi, cité par un média local, dit que ces filons ont été répertoriés dans les anciens documents disponibles dans les services géologiques du Burundi et au musée de Tervuren en Belgique, avant d’ajouter que les cartes sont même accessibles à tout chercheur.
L’OBM abonde dans le même sens
Un cadre de cette institution a fait savoir que l’ouverture de ce tunnel ne date pas d’hier comme la société BUMECO l’a dit au chef de l’Etat. Il indique qu’il a été ouvert, par les agents de l’OBM dans les années quatre-vingt, sous le règne de feu Pierre Buyoya.
Cet employé affirme, que Murehe était avant une concession minière, où on ne pouvait rien faire, sauf l’exploitation artisanale de la cassitérite et du coltan. C’était ainsi qu’après de longues années sans exploitation, dit-il, les arbres ont poussé et Murehe est devenu une réserve.
« Ceux qui disent qu’ils ont découvert le tunnel dans la forêt sont des sous-traitants. Ils le disent comme si la découverte a eu lieu hier pour faire plaisir le chef de l’Etat et gagner toute sa confiance. Or, moi, je suis là-bas depuis15 ans, je connais la réalité, ça date de longtemps. Ils ont trompé le président, c’est une honte pour le pays. Heureusement, que tôt ou tard, il finira par connaître la réalité », a-t-il martelé.
Il se demande, par ailleurs, pourquoi on octroie des concessions des périmètres miniers à des sociétés privées sans faire le suivi du début à la fin.
Les conséquences des exploitations préoccupent
Quoi qu’il en soit, la découverte, dans une réserve créée, pour dissimuler les richesses du pays, d’après les dirigeants, qu’elle soit avérée ou non, soulève des préoccupations.
Les défenseurs de l’environnement ont exprimé de sérieuses inquiétudes, quant aux conséquences de l’exploitation, sur l’ensemble de l’écosystème, dans la partie nord. Ils craignent que le parc disparaisse complètement avec, pour effet immédiat, le tarissement des lacs du nord et la sécheresse, comme en 2005, dont cette partie a été sérieusement victime.
Albert Mbonerane, Président de l’ACVE (Action Ceinture Verte), une association locale de restauration de la nature et ancien ministre de l’environnement, n’espère pas que ce patrimoine national, déjà dans une situation de dégradation inquiétante, reste avec son statut de réserve naturelle protégée.
Il dénonce le disfonctionnement des services étatiques actuels chargés du contrôle, qui devraient normalement veiller au respect des mesures d’atténuation et de mitigation des impacts environnementaux.
Selon ce défenseur, il n’existe pas de régulateur au niveau du ministère de l’environnement depuis qu’on l’a fusionné, le 19 avril 2019, avec celui de l’agriculture, de l’élevage et du tourisme.
« Le secteur de l’environnement a été ignoré au Burundi. Ce qu’on met en avant aujourd’hui, c’est l’axe de la sécurité alimentaire. Or, ici, chez nous, l’agriculture est parmi les premiers destructeurs de l’environnement», s’inquiète-t-il.
Il dénonce, en plus, l’ignorance de certains événements mondiaux de l’environnement, qui ne sont pas célébrés aujourd’hui, alors qu’ils sont des moyens pour sensibiliser et rappeler aux citoyens leur devoir de protection de la nature.
Il exprime ses doutes sur la pertinence du plan de gestion environnemental, ou le code minier et environnemental du Burundi, qui aurait été piétiné.
Avant de passer à l’exploitation des mines, ces deux codes exigent que le ministre en charge de l’énergie et mines écrive au ministre de l’environnement, pour lui demander l’autorisation de faire toutes les études, pour voir si le projet à développer cadre bien avec la protection de l’environnement.
Mbonerane trouve qu’aujourd’hui, en l’absence du ministère en charge de l’environnement indépendant, personne ne peut dire de respecter toutes ces procédures : « Je ne crois pas que la forêt de Murehe sera protégée, quand je vois comment se font les exploitations, comment on donne des conventions, j’ai l’impression que cet aspect d’étude d’impact environnementale et sociale n’existe pas. Même si on le fait, je connais des endroits, où on a fait des choses pour des intérêts, je dirais économiques. On a attribué facilement les contrats ».
Citant les dispositions légales en vigueur, il ajoute que, comme il n’y a pas de régulateur, tout pourrait se faire n’importe comment, sans tenir compte du code de l’eau, des forêts, de l’environnement et des mines.
De l’avis de ce défenseur, la reconnaissance des écosystèmes de la forêt de Murehe comme l’héritage naturel et culturel national, leur valeur écologique et les fonctions, qu’ils remplissent pour l’homme et toute la région, devraient motiver les décideurs à les protéger.
Malheureusement, se lamente-t-il, cette considération, certainement très ambitieuse, risquerait d’être finalement vouée à l’échec si des mesures très rigoureuses accompagnant l’exploitation des minerais ne sont pas prises au sérieux.
Il prévient que cette exploitation combinée à l’allure avec laquelle la forêt se dégrade, les risques de dégâts du point de vue de l’environnement et du développement socio-économique seraient énormes. « Si la loi s’applique telle qu’on le fait aujourd’hui, il est impossible que Murehe garde le statut de forêt originale, que ce soit de façon naturelle ou artificielle», ajoute-t-il.
Il n’espère pas en plus que les techniciens des deux ministères oseront se prononcer sur ce dossier ayant déjà coûté le limogeage d’un directeur de l’OBM et de deux de ses collaborateurs, accusés de nier et de cacher l’existence de ces matières premières.
Et de conseiller que c’est bien d’exploiter les ressources naturelles pour booster l’économie du pays, mais qu’on le fasse dans le respect de la loi ; autrement, « ce que l’on va perdre sera supérieur à ce que l’on va gagner ».
Kwizera Chantal, Professeure à l’université du Burundi et chercheur en gestion des sources d’eaux, s’inquiète des effets nocifs sur les eaux de la région de Bugesera réputée pour ses lacs.
Bugesera est un milieu lacustre et de marais. Les lacs du Nord jouent un rôle dans la vie socio-économique de la population. Ils constituent des sources d’eau utilisées dans les ménages et fournissent des produits divers, dont les poissons.
Kwizera a fait écho à ces considérations, soulignant que « la situation, dans le domaine des mines, telle qu’on peut le remarquer sur les sites, a des mauvaises pratiques d’exploitation, qui exposent le lieu à l’érosion où on trouve que les cours d’eaux ou les rivières sont pollués suite aux eaux de ruissellement en provenance des sites d’exploitation ».
Elle dénonce pour cela l’idée d’implanter une usine de lavage de minerais, qui se traduit, selon elle, par une pollution des eaux, dont dépendent les populations locales, au prix de leur santé : « Toute activité, qui affecte la qualité et la quantité des eaux doit cesser ».
Interventions des militants des droits de l’homme
Les défenseurs des droits de l’homme se mobilisent aussi pour défendre les droits des personnes vivant aux alentours du parc, afin d’exiger le respect des normes sociales imposées par le code minier du Burundi.
Selon ces activistes en droits humains, l’exploitation nuirait à l’ensemble de l’écosystème et affecterait fortement, de manière directe, ces résidents des zones voisines du parc, qui dépendent de ses ressources naturelles.
Ils s’inquiètent fortement de la manière, dont les violations et les risques de dommages socio-économiques directs pourraient forcément devenir plus élevés dans cette zone, en raison de l’absence de rapports détaillés et clairs de l’entreprise concernée et des limites de l’espace civique au Burundi, qui empêchent ces activistes de procéder à un suivi et de produire des rapports indépendants.
Maitre Fabien Segatwa craint que l’extraction des minerais et métaux aient de terribles répercussions sur les droits humains fondamentaux. « Cela causera des dommages irréparables et pourrait équivaloir à une dépossession, une expulsion forcée et un déplacement arbitraire interdits par le droit international ».
De son coté, il soutient l’obligation légale du gouvernement à protéger l’environnement, mais insiste sur le respect des droits fondamentaux et le bien-être des communautés affectées.
Il propose que si les expulsions seraient considérées comme justifiées, les mesures correctives pourraient inclure l’exploration et les méthodes d’expulsion alternatives pour réduire ou éliminer le besoin de recourir à la force, ainsi que l’assurance d’une indemnisation adéquate pour tout bien affecté, tant personnel qu’immobilier.
Les habitants se lamentent qu’ils vont tout perdre
Lors de notre passage à Murehe, les occupants du parc, avec la prédominance de nombreux visages de la pauvreté, nous ont fait part de leurs inquiétudes concernant les impacts négatifs sur les expulsions. Bien que la plupart d’entre eux ne s’opposent pas aux expulsions, ils ont des inquiétudes selon lesquelles les expulsions seraient sélectives, vont toucher les pauvres tout en laissant indemnes les riches ou les personnes bien connectées.
Certains d’entre eux disent qu’ils ont occupé cette localité depuis des années, appuyés par l’administration. Ils pensent qu’ils vont quitter sans paiement de compensations équitables.
On a également constaté que cette réserve n’a pas de zone tampon. Les alentours, sont occupés par des habitations et les plantations, alors que la loi burundaise sur les forêts stipule que l’exploitation des terres autour des parcs et réserves naturelles n’est permise que dans un rayon d’au moins 1000 mètres de leurs délimitations.
Si l’exploitation s’étendait alors vers l’extérieur du parc, elle n’occasionnera presque pas de déplacements économiques, mais aussi pourra engendrer des déplacements physiques.
Ces habitants, qui devraient normalement bénéficier de la croissance de l’activité minière, seront contraints de quitter leurs maisons et leurs terres agricoles mains bredouilles.
Ils regrettent que les impacts, redoutés de l’expansion prévue, occasionnent la perte de maisons et de propriétés agricoles, dont les revenus servent à payer les frais de scolarité des enfants.
Matore Juvénal, un des résidents de Murehe, déplore qu’il sera contraint d’abandonner ses biens privés et ses moyens de subsistance, notamment son logement, ses plantations et de renoncer à certaines opportunités relatives à l’apiculture et au pâturage de ses bêtes.
Des assurances
L’OBM rassurent que des avis préalables incluant des mesures de protection des habitants contre les impacts négatifs, qui pourraient affecter leur vie, seront émis avant les activités d’exploitation.
Ignace Mfatavyanka, Chef d’antenne de l’OBM au centre-est et au nord du pays, indique qu’il est crucial de prendre les mesures nécessaires et d’assurer la protection des vies.
Il souligne que la société, qui va mener l’exploitation, sera obligée de présenter une étude de faisabilité, qui sera minutieusement analysée, par les deux ministères concernés. Il ajoute que les travaux de la société seront régulièrement suivis.
Malheureusement, Mbonerane déplore le manque de moyens de cette institution. Pour lui, l’OBM ne dispose pas de moyens suffisants pour accomplir sa mission de surveillance et de prise d’une décision en faveur des victimes.
Le code minier du Burundi stipule que c’est l’étude de faisabilité, qui définit clairement comment les habitations seront protégées et, dans d’autres mesures, comment la société doit indemniser les communautés, pour qu’elles aillent s’installer ailleurs lorsqu’elles estiment qu’elles sont exposées.
Selon l’OBM, la société qui aura l’autorisation d’exploiter, dans cette concession, devra s’adapter aux mesures, qui ne détruisent pas la nature.
« Si la société se comporte mal, directement on va lui exiger de changer sa façon d’exploiter et de respecter les mesures de protection de l’environnement, ou bien, on va demander qu’on lui retire même l’autorisation », a-t-il dit.
Concernant les indemnisations, l’OBPE assure que les riverains du parc sont des occupants légaux éligibles à une indemnisation équitable à leurs avoirs. Il indique qu’une commission chargée des indemnisations sera vite mise en place pour évaluer les terres et autres biens pour que les ayants droit reçoivent des indemnisations justes.
Créé en 1960, avec une superficie de plus de 6000 hectares, le parc de Murehe est totalement localisé dans la région de Bugesera, au nord-Est du Burundi, en province de Kirundo. Elle est séparée, dans cette partie, par le Rwanda, au Sud par la province de Ngozi et à l’Est par Muyinga.
Selon l’Institut National pour la Conservation de la Nature (INCN), un organe de l’Etat ayant précédé l’OBPE, ce parc a enregistré des immigrants à la recherche de terres cultivables et de milliers de refugiés rwandais.
Les autres installations de populations ont eu lieu entre 2004-2005 à cause d’une grande famine et sécheresse prolongées, qui a frappé toute la région de Bugesera.
Certains Burundais réfugiés au Rwanda, depuis de longues années, et rapatriés avant 2000, ont été également installés à l’intérieur de la végétation de Murehe considérée comme un espace libre.
D’autres personnes provenant des communes proches de Busoni sont venues aussi occuper des terres de Murehe avec la facilitation de l’administration locale moyennant paiement d’argent. Il faut aussi noter qu’une quarantaine de ménages des populations autochtones Batwa, qui n’avaient pas de terres à cultiver, ont été également installés dans ce périmètre par l’administration locale.
Une fois installés, ces immigrants ont développé des activités vitales, s’adonnaient à l’agriculture par défrichement cultural dans cette zone.
Les autorités administratives de Busoni indiquent que, suite à la poussée démographique combinée aux mouvements migratoires vers cette région et au rapatriement des refugiés en provenance des pays voisins, l’administration distribuait des terres dans cette forêt. Plusieurs familles habitent donc la localité. La présence des ménages dispersés à l’intérieur de la végétation est estimée à plus de 1000.
La réduction des terres arables sur les collines entraîne également la recherche des terres dans cette forêt, dans les marais et sur les bordures des lacs considérées encore fertiles. Des familles ont des terres à cultiver et rentrent chez elles. Les marais de Murehe sont donc drainés et cultivés pour la riziculture, le tabac et le sorgho essentiellement.
Image de bannière: Des Ingénieurs et responsables de la société BUMEC expliquent dans un tunnel au Chef de l’Etat, Evariste Ndayishimiye et son équipe la teneur des minerais trouvés et comment les colons ont fait tout pour les cacher aux Burundais. Image de Dieudonné Ndanezerewe pour Mongabay.
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