- Le Cameroun estime à 12 millions le nombre d’hectares de sols dégradés, dont 26 029 se trouvent autour des parcs nationaux de la Bénoué et du Faro, dans le Nord du pays.
- L’importance des populations humaines et animales, la surexploitation des terres cultivées et le surpâturage, la demande croissante de bois-énergie et la mauvaise gestion des pâturages sont à l’origine du problème environnemental de la désertification causée par l’homme dans le Nord du Cameroun.
- EcoNorCam, un projet qui utilise une méthode d’agroécologie appelée zaï, vise à restaurer les sols autour du parc national de la Bénoué.
- Bien que la technique nécessite des efforts physiques intenses, les agriculteurs qui l’ont adoptée ont vu leurs rendements augmenter considérablement.
GAROUA, Cameroun — Ouro Andre, un village de l’arrondissement de Lagdo, dans la région du Nord du Cameroun, semble désolé en cette matinée pluvieuse, alors que les agriculteurs sont partis tôt pour labourer la terre et semer les cultures. Les chèvres broutent l’herbe fraîche et seuls leurs bêlements viennent rompre le calme de ce village de 700 habitants, coincé entre les zones d’intérêt cynégétique (zones interdites) 7 et 14.
Les habitants d’Ouro Andre possèdent des parcelles de terre en bordure du parc national de la Bénoué, où ils cultivent du maïs, du coton, du sorgho et du millet, et élèvent des chèvres et des moutons.
Parmi eux, nous rencontrons Pierre Adamou, 48 ans, et père de cinq enfants. C’est avec une machette dans une main, un sac de maïs dans l’autre et un grand chapeau enfoncé sur la tête pour se protéger contre les rayons directs du soleil, qu’il part pour sa ferme, à cinq kilomètres de là. C’est la saison des pluies, et après deux semaines passées à préparer le champ au début du mois de mai, il est temps de semer le maïs. Mais Adamou fait aussi quelque chose d’un peu différent. Il utilise la technique du zaï pour restaurer ses terres.
Cette méthode traditionnelle importée d’Afrique de l’Ouest, aussi appelée tassa, vise à restaurer les sols dégradés incapables de produire de bonnes récoltes. La technique consiste à creuser des trous espacés de 70 à 80 cm, profonds de 20 cm et larges de 25 cm pour permettre au compost, aux graines et à l’eau de pluie de se mélanger dans le même trou et de prévenir l’érosion des pentes, explique Bonne Gissata, gestionnaire de projet à Forêts et développement rural (FODER).
Actuellement, Adamou utilise la technique du zaï et composte le fumier sur un demi-hectare de son exploitation. Il est membre de la coopérative Nangam Djoungo et fait partie des 247 agriculteurs, qui ont adopté le zaï, ainsi que le compostage du fumier dans leurs exploitations. Selon Adamou, cette méthode permet de « lutter contre la sécheresse, contre le manque de pluie, en conservant l’humidité dans le sol ».
« Nous avons hérité des champs de nos parents. Ils ont été surexploités et le sol est appauvri. J’ai constaté qu’avec la technique du zaï, les récoltes étaient bonnes, alors je l’ai adoptée », explique Adamou à Mongabay.
Adamou raconte qu’il y a trois ans, avant de se lancer avec le zaï et malgré le recours aux engrais chimiques, il ne récoltait que deux à trois sacs de maïs.
« Je vois la différence que fait la technique du zaï : le rendement d’un demi-hectare de terre est passé de trois à sept sacs de maïs environ », explique-t-il. « Ma vie et mes nombreuses activités ont changé. Je peux payer les frais de scolarité de mes enfants, acheter des vêtements, payer les frais médicaux de ma famille et j’investis dans l’élevage de chèvres et de moutons. »
Selon Adamou, les engrais chimiques coûtent cher, entre 30 000 et 35 000 francs CFA (entre 50 et 60 dollars) pour un sac de 50 kilos.
La technique du zaï est utilisée pour aider la région, qui subit des pressions extrêmes. Face à l’insurrection de Boko Haram, une secte islamique radicale hostile à l’influence occidentale, dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, la population a fui, exerçant une pression sur le parc national de la Bénoué. Dans leur quête de terres agricoles à exploiter, les migrants abattent des arbres et empiètent sur le parc et sur les corridors de faune. Une étude publiée dans l’Environmental Challenges Journal en 2021 a identifié neuf types d’activités humaines, dont l’agriculture, qui menacent la faune et la flore du parc.
Lutter contre la dégradation des terres autour du parc national de la Bénoué
La flore du parc national de la Bénoué est un mélange d’herbes et d’arbres épars, et comprend une forêt-galerie dans laquelle on trouve l’Afzelia africana, le karité (Vitellaria paradoxa) et diverses espèces d’acacias.
Créé en 1932, le parc de la Bénoué a reçu le statut de parc national en 1968, avant d’être désigné comme réserve de biosphère en 1981, afin de protéger les divers écosystèmes et la faune de la région. La réserve s’étend sur environ 180 000 hectares.
Les hippopotames (Hippopotamus amphibius) qui se prélassent dans la Bénoué, les macaques à bonnet (Macaca radiata) qui se balancent entre les branches des arbres et les pintades (Numida meleagris) qui traversent la route sont des spectacles courants dans le parc, tout comme les éléphants de savane (Loxodonta africana), les léopards (Panthera pardus), les lions (Panthera leo), les singes et les antilopes. C’est un véritable paradis pour les ornithologues, avec plus de 300 espèces d’oiseaux recensées, dont la grue couronnée (Balearica pavonina) et le pluvian fluviatile (Pluvianus aegyptius). Les martins-pêcheurs, les oiseaux chanteurs et les guêpiers à gorge rouge (Merops bulocki) y prospèrent également.
Le nord du Cameroun est semi-aride et sec, avec moins de 100 mm de précipitations par mois. Au cours des deux dernières décennies, la demande de terres agricoles, de pâturages et de bois de chauffage pour la cuisine a augmenté au détriment des forêts et des prairies.
L’importance des populations humaines et animales, la surexploitation des terres et le surpâturage, la demande croissante de bois-énergie, le système agricole et la mauvaise gestion des pâturages sont à l’origine du problème environnemental de la désertification causée par l’homme dans le nord du Cameroun.
Le gouvernement camerounais s’est engagé à lutter contre la désertification et le changement climatique, conformément à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, à la convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification et à la convention sur la diversité biologique. En tant que signataire de l’AFR100 et du défi de Bonn, le Cameroun s’est engagé à restaurer, d’ici 2030, 12 062 768 hectares de paysages dégradés, dont 80 % se trouveraient dans les trois régions septentrionales.
Dans cette optique, le Fonds mondial pour la nature (WWF) a mené, en 2022, une évaluation des opportunités de restauration (ROAM) à la périphérie des parcs nationaux de la Bénoué et du Faro, dans le nord du pays, ainsi que de leurs unités d’opérations techniques. L’évaluation a montré que 26 029 hectares de paysages dégradés devaient être restaurés.
« La zone entourant les parcs de la Bénoué et du Faro est composée à 89,59 % de terres agricoles, à 10,11 % de terres agroforestières et à 0,3 % de zones adaptées aux forêts. Elle est densément peuplée, soumise à un stress hydrique à cause de la forte érosion des berges de la rivière, son sol a un faible potentiel de rétention de l’eau et de la matière organique, et les terres agricoles y sont appauvries et dégradées », explique Peter Mbile, ancien coordinateur principal du programme de terrain du WWF. Les espèces d’arbres indigènes telles que le vène (Pterocarpus erinaceus), l’Afzelia africana et l’arbre à saucisses (Kigelia africana) font l’objet d’une surexploitation sélective pour la production de combustible, de bois d’œuvre, de meubles et de fourrage.
Le gouvernement et des ONG ont lancé des projets visant à restaurer les terres dans les régions septentrionales. EcoNorCam, par exemple, est un projet sur quatre ans, financé par l’Union européenne et exécuté par un consortium d’organisations, dont FODER fait partie.
Gissata, du FODER, explique qu’EcoNorCam a initié les communautés voisines du parc national de la Bénoué aux pratiques d’agroforesterie et d’agroécologie, afin de les aider à préserver l’environnement, à stabiliser les fronts agricoles, à restaurer les sols dégradés et à faire davantage pour fertiliser les terres.
La technique du zaï : un outil pour transformer les moyens de subsistance et préserver le parc national de la Bénoué
FODER a embrassé la technique du zaï. Après une série de réunions sur les différentes techniques d’agroécologie, l’organisation a créé une ferme de démonstration, où des cultures ont été plantées, en utilisant le zaï, afin de l’enseigner aux agriculteurs, explique Gissata.
« Jusqu’à présent, nous cultivions nos fermes avec des engrais chimiques et nous n’avions aucune idée de l’existence de la technique du zaï jusqu’à ce que FODER nous la présente. Même en l’absence de pluie, le sol conserve son humidité pendant deux semaines. Avant, la récolte était mauvaise, mais avec le zaï, le rendement est plus élevé », explique à Mongabay Aiessatou, présidente de la coopérative Jilkakak et experte de la technique du zaï, qui ne porte qu’un seul nom.
Comme Pierre à Ouro Andre, Aiessatou a vu son rendement augmenter :
« J’avais l’habitude, à l’aide d’engrais chimiques, de récolter 10 sacs de maïs environ sur un hectare. L’année dernière, grâce à la technique du zaï, j’ai pu récolter 30 sacs sur les mêmes terres. L’argent aide ma famille à subvenir à ses besoins essentiels », explique-t-elle.
Aiessatou utilise également du compost sur un demi-hectare de terre, et la récolte est bonne. Elle utilise des biopesticides à base d’ail, entre autres ingrédients, pour débarrasser sa ferme des parasites, et les résultats sont encourageants.
Selon Gissata, ces trois dernières années, ce sont plus de 300 hectares de terres qui ont été restaurés autour du parc national de la Bénoué, grâce au zaï et au fumier de compost.
Mais tous les agriculteurs de la région n’ont pas adopté la technique. Blaise Djoweh, 46 ans, utilise encore des engrais chimiques sur ses deux hectares de terrain. « Je viens d’apprendre l’existence de la technique du zaï, et je doute de pouvoir l’adopter. Je peux acheter des engrais chimiques et cela me convient. Le zaï demande beaucoup d’efforts physiques ».
Certains agriculteurs interrogés par Mongabay sont du même avis : la technique du zaï nécessite de fournir un effort physique supplémentaire. Les agriculteurs doivent récolter des bouses de vache, des feuilles et d’autres matériaux pour fabriquer du fumier de compost, puis le transporter vers les fermes lorsqu’il est prêt. Dans une ferme de dix hectares, creuser les trous, les remplir de fumier puis semer est une très lourde tâche, explique Djoweh à Mongabay.
Comme solution à la technique laborieuse du zaï, FODER a aidé les agriculteurs à s’organiser en coopératives dont les membres se réunissent pour labourer une ferme à la fois, réduisant ainsi la charge de travail des agriculteurs individuels.
Michael Zirtet Jourmbi, chercheur à l’Institut de recherche agricole (IRAD) de Garoua, estime que le zaï est « efficace, mais qu’il n’est pas durable parce qu’il exige un travail acharné ».
Des recherches sont également en cours pour restaurer les terres dégradées au Cameroun, en particulier dans les régions septentrionales. Selon Zirtet Jourmbi, les chercheurs ont pu, grâce à des innovations, améliorer plusieurs techniques traditionnelles de restauration des sols. Le zaï est l’une des techniques conventionnelles, qui comprend l’amélioration du biochar. Une étude publiée dans l’Open Journal of Soil Science sur la technologie ReviTec la présente comme une autre solution de restauration des sols.
Le gouvernement camerounais a élaboré une stratégie nationale de restauration et défini des projets, en particulier dans les régions du nord du Cameroun. Dans le cadre de ces projets, l’État a proposé de puiser dans un compte spécial dédié aux questions environnementales pour renforcer ses efforts, explique à Mongabay Bring, directeur de la conservation et de la gestion des ressources naturelles au ministère de l’Environnement et du Développement rural.
Le ministère doit encore évaluer la surface de terres restaurées à ce jour.
Selon Bring, le défi consiste à intégrer le travail du gouvernement, des ONG, des chercheurs et de toutes les parties prenantes afin de créer un Cameroun plus productif et écologiquement durable.
Image de bannière: Ferme coopérative de femmes à Dogba. Image de Leocadia Bongben pour Mongabay.
Citations:
Tchobsala, N., Hamadou, Z. A., Hyacente, A., Kodji, P., Danra, D. D., & Megueni, C. (2021). Influence of anthropization on flora and the carbon stock of the corridor’s vegetation at the Benoue National Park of Cameroon. Environmental Challenges, Volume 5, 100345. https://doi.org/10.1016/j.envc.2021.100345 .
Jourmbi, M. Z., Toumba. D., Danmori, I., Bor, P., & Gové, A. (2023). Assessment of the efficiency of ReviTec technology for soil restoration in sudano-sahelian part of northern Cameroun: Case of Hardé soils of Maroua-Salak. Discovery, 59, 331. e84d1274.
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Cet article a été publié initialement en anglais ici le 11 septembre 2024.