- Le 24 juillet, cinq rangers d'African Parks ainsi que sept soldats des Forces armées béninoises ont été tués dans le parc national du W, au Bénin.
- Il s'agit de la deuxième attaque au cours de laquelle African Parks perd nombre de ses membres dans le parc national du W. En 2022, cinq rangers ont été tués par des engins explosifs improvisés lors d'une embuscade.
- Selon une source interviewée par Mongabay, les rangers ont été tués lorsqu'un avant-poste, qu'ils partageaient avec les troupes béninoises, a été attaqué et envahi par des combattants du GSIM, un groupe affilié à Al-Qaïda.
- Alors qu'African Parks avait précédemment déclaré qu'elle retirerait son équipe des zones à haut risque, l'attaque prouve que ses rangers participent toujours aux opérations menées par les Forces armées béninoises.
Le nord du Bénin est en passe de devenir l’une des régions les plus dangereuses au monde pour les rangers. En effet, cinq rangers de l’ONG de protection de la nature, African Parks, ainsi que sept soldats béninois, ont été tués fin juillet lors d’une attaque menée par des militants dans le parc national du W, qui borde le Burkina Faso et le Niger.
Cet incident survient un peu plus de deux ans après que cinq rangers d’African Parks, ainsi qu’un instructeur français à la lutte contre le braconnage, ont été tués par une bombe lors d’une embuscade. La dernière attaque a également eu lieu dans le parc W, qui est désormais un point crucial dans la lutte pour contenir les attaques djihadistes, qui ont commencé à se multiplier à travers la région du Sahel en 2011.
Le parc W fait partie du complexe W-Arly-Pendjari qui couvre une vaste étendue de 34 000 kilomètres carrés et sert de refuge aux derniers éléphants, guépards et lions de la région. Mélange de savanes boisées, d’estuaires marécageux et de forêts galeries, W-Arly-Pendjari est l’un des derniers habitats capables d’abriter des populations importantes de la grande faune d’Afrique de l’Ouest.
Le complexe se situe aux frontières du Bénin, du Burkina Faso et du Niger. À partir de la fin des années 2010, des groupes militants ont commencé à s’implanter au Burkina Faso ainsi qu’au Niger, attirés par le manque de gouvernance, les forêts denses et leurs routes lucratives pour le commerce et la contrebande.
« Les djihadistes peuvent circuler dans le parc assez facilement, en particulier du côté du Burkina Faso et du Niger », a déclaré Ibrahim Yahaya Ibrahim, directeur adjoint du projet Sahel pour Crisis Group, et auteur d’un rapport de 2023 sur l’activité des groupes armés à l’intérieur du parc W. « Les autorités béninoises tentent de contrôler leur zone dans le parc, ce qui les expose à des attaques ».
Depuis 2021, le nombre d’attaques perpétrées au Bénin par des groupes militants a augmenté, et le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, prévoit que 2024 sera la pire année. La détérioration de la situation sécuritaire dans le nord du pays fait craindre que la violence djihadiste ne soit sur le point de s’étendre du Sahel à la côte de l’Afrique de l’Ouest.
« Ces groupes se développent parce qu’ils sont à la recherche de nouvelles opportunités, de nouvelles cachettes, de nouvelles routes logistiques », a déclaré Ibrahim.
African Parks se trouve également dans une position difficile et dangereuse. En effet, plusieurs sources ont confié à Mongabay que l’ONG a été intégrée à l’opération Mirador des Forces armées béninoises, une mission soutenue par les États-Unis et l’Union européenne et visant à empêcher les groupes djihadistes de faire de nouvelles incursions dans le pays.
« Ils doivent travailler ensemble », explique Ibrahim. « Ils trouvent des moyens de collaborer, souvent avec l’armée aux commandes, surtout lorsqu’il s’agit d’opérations antiterroristes dans le parc soutenues par les rangers. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’une attaque est perpétrée, les deux camps sont affectés ».
African Parks, qui a signé un accord avec le gouvernement béninois en 2020 pour gérer le parc W, a donné peu de détails sur l’attaque de juillet. L’ONG s’est contentée de déclarer qu’elle a eu lieu près de la rivière Mékrou, qui forme une partie de la frontière entre le Bénin et ses deux pays limitrophes du nord.
Dans une lettre adressée en 2021 à l’Institut néerlandais Clingendael, African Parks a nié jouer un rôle dans la sécurité des frontières, qualifiant de « catégoriquement fausse » l’allégation selon laquelle elle participait à des opérations antiterroristes. L’année suivante, après que des militants aient attaqué une patrouille de rangers avec des EEI, African Parks a déclaré qu’elle redirigerait ses rangers dans les zones de conservation principales de W et de Pendjari, un parc voisin qu’elle gère depuis 2017 et qui a également été ciblé par des militants.
Mais, selon un chercheur spécialiste du nord du Bénin, qui a parlé à Mongabay de façon anonyme, les rangers d’African Parks accompagnent souvent les soldats en patrouille à l’intérieur du W, car ils connaissent le parc et savent comment réagir s’ils se retrouvent face à des animaux sauvages. Les victimes d’African Parks et de l’armée béninoise tuées à la fin du mois de juillet ont été la cible d’une attaque surprise sur un poste commun.
Selon ce chercheur, « il s’agissait d’un poste militaire situé dans le nord-est du parc W et utilisé pour traquer les déplacements. L’armée a créé de nombreux postes dans les parcs afin d’essayer de surveiller ce qui se passe, et ce poste a tout simplement été attaqué par les djihadistes. Ils ont tout envahi. Il ne s’agissait donc pas d’EEI, mais plutôt d’un échange de coups de feu qui a mal tourné ».
Le GSIM, considéré comme l’un des groupes djihadistes les plus violents et présent dans de nombreux pays du Sahel, a revendiqué l’attentat.
Dans le cadre de sa lutte de plus en plus pressée contre la menace djihadiste, le Bénin a déployé près de 3000 soldats à sa frontière nord depuis 2022. Le parc W et le parc de la Pendjari sont devenus hautement militarisés et jonchés de mines, mais jusqu’à présent, les soldats et leurs alliés occidentaux n’ont pas réussi à empêcher les déplacements des militants dans les parcs.
« Il s’agit d’une zone de guerre. Nous devons nous préparer à ce qu’il y ait des victimes dans cette région », a déclaré le chercheur.
Depuis qu’African Parks a commencé à opérer dans la partie béninoise du parc W, l’une des 22 aires protégées que le groupe gère dans 12 pays, l’organisation se trouve dans une position difficile, que peu d’autres organisations de conservation travaillant sur le continent partagent, si ce n’est aucune. Alors que la plupart des organisations travaillent avec des agences de pays hôtes qui fournissent des armes et commandent des détachements de rangers, African Parks dispose de son propre corps composé de 1400 rangers. Ces derniers sont souvent déployés dans des zones protégées proches de zones de guerre actives, mais ils ont été formés pour faire respecter les règles de conservation contre la chasse et l’exploitation minière à petite échelle.
African Parks gère des parcs en RDC, en République centrafricaine et au Soudan du Sud, et s’est déjà retrouvée face à des groupes rebelles par le passé. Mais au Bénin, ses rangers se sont retrouvés confrontés à certaines des milices djihadistes les plus meurtrières du continent, combattant dans une guerre à laquelle ils ne s’attendaient pas et pour laquelle ils n’ont pas été formés.
En début d’année, African Parks a reconnu sur son site Internet qu’elle se trouvait dans une « situation difficile » et qu’elle avait subi des pressions pour se retirer du nord du Bénin. Mais elle a ajouté que ce retrait « aurait des conséquences dévastatrices pour les populations, la biodiversité, le Bénin et la région dans son ensemble ».
L’organisation a déclaré qu’elle s’était « retirée des zones menacées ».
Mais plusieurs sources ont informé Mongabay que les rangers d’African Parks opèrent souvent aux côtés des soldats béninois en tant que sentinelles et guides.
« L’armée ne peut pas opérer dans ces zones sans le soutien des rangers qui savent se repérer dans le parc », a expliqué Ibrahim.
African Parks a refusé de répondre à Mongabay qui lui réclamait des informations sur son rôle dans les opérations de lutte contre le terrorisme et de surveillance des frontières du Bénin, en invoquant des raisons de sécurité et en adressant ses questions aux Forces armées béninoises.
En raison des risques liés aux voyages et aux recherches autour du parc W, les informations sur les opérations de l’armée béninoise dans la région sont limitées. En effet, un journaliste néerlandais avait été détenu et expulsé pour avoir tenté de faire un reportage dans la région en 2022. Mais dans une étude publiée en juillet, le Centre d’études stratégiques de l’Afrique a déclaré que les tactiques « brutales » des troupes autour de la frontière avaient « involontairement aggravé les tensions » à l’égard de Cotonou dans certaines communautés.
Après des débuts difficiles dans le parc voisin de la Pendjari, des sources ont indiqué à Mongabay qu’African Parks avait fait des progrès avec les communautés vivant près du parc W. Ces dernières années, l’organisation a ouvert certaines parties de la zone tampon du parc au pâturage du bétail, redorant ainsi son blason auprès des éleveurs qui sont victimes de litiges fonciers avec les agriculteurs locaux.
« Lorsque j’effectuais mes recherches dans [le parc W], honnêtement, la plupart des gens m’ont dit beaucoup de bien sur la façon dont African Parks gérait l’endroit pour les personnes qui étaient naturellement les plus proches des groupes djihadistes, les communautés pastorales », a déclaré Ibrahim.
Si certaines recherches indiquent que le GSIM, ainsi que d’autres militants, ont commencé à recruter avec plus de succès à l’intérieur du Bénin, la plupart des attaques qui ont lieu à l’intérieur et autour du parc W continuent d’être transfrontalières, provenant du Burkina Faso ou du Niger. Le soutien, dont bénéficient ces groupes au sein des communautés vivant près du parc au Bénin, n’est pas tout à fait établi.
« On entend souvent dire que le GSIM tente de gagner la confiance de la population locale en promettant de restituer le parc, mais ce n’est pas du tout ce que l’on constate dans la pratique », a déclaré le chercheur anonyme. « En réalité, les civils sont souvent tués par les groupes qui se trouvent à l’intérieur du parc ».
Dans un communiqué publié à propos de l’attaque de juillet, African Parks a déclaré qu’elle apporterait son soutien aux familles des rangers décédés. Mais avec au moins 10 victimes en un peu plus de deux ans, le métier de ranger d’African Parks au Bénin est en passe de devenir l’emploi le plus dangereux dans le domaine de la conservation.
« Lorsque les premières attaques ont eu lieu, de nombreux rangers ont démissionné sur-le-champ », a déclaré le chercheur. « C’est tout à fait compréhensible. Ils ont été formés pour lutter contre les braconniers, pas contre les djihadistes ».
Image de bannière : Image fixe d’une vidéo de propagande publiée par le GSIM début 2024, montrant un camp d’entraînement au Burkina Faso.
Cet article a été publié initialement ici par l’équipe de Mongabay Global le 15 juillet 2024.