- Une équipe internationale de chercheurs a développé une nouvelle méthode de cartographie de la vulnérabilité des aquifères au Sahel, combinant mesures de tritium et apprentissage automatique.
- L'étude révèle qu'environ la moitié de la zone étudiée au Sahel présente des aquifères vulnérables à la pollution, mais cette conclusion est débattue par certains experts.
- La recherche souligne le lien entre la vulnérabilité des eaux souterraines et le changement climatique, suggérant une nécessité d'adaptation continue des stratégies de gestion de l'eau.
- Malgré les critiques sur son caractère novateur, l'étude fournit un outil potentiellement utile pour les décideurs dans la gestion durable des ressources en eau souterraine au Sahel.
La gestion durable des ressources en eau souterraine est un enjeu crucial pour l’Afrique subsaharienne, en particulier dans la région du Sahel. Cette vaste zone semi-aride, qui s’étend de l’Atlantique à la mer Rouge, est confrontée à des défis majeurs en matière de sécurité hydrique. Face au changement climatique et à une croissance démographique parmi les plus rapides au monde, une équipe internationale de chercheurs, dirigée par Dr Joel Podgorski de l’Institut fédéral suisse des sciences et technologies de l’eau (Eawag), a développé une approche novatrice pour cartographier la vulnérabilité des aquifères à la pollution. Bien que son caractère révolutionnaire soit sujet à débat. Ce nouvel outil pour les gestionnaires des ressources en eau de la région, a été présenté dans une étude publiée dans la revue Nature Sustainability fin mai 2024.
L’étude en question souligne l’importance cruciale de la protection des ressources en eau souterraine pour garantir la qualité et l’utilisation durable. Au Sahel, les eaux souterraines jouent un rôle vital pour l’approvisionnement en eau des populations et l’agriculture. Dans une région où les précipitations sont rares et irrégulières, les aquifères constituent souvent la seule source d’eau fiable tout au long de l’année.
L’originalité de ce travail réside dans le fait qu’il combine des mesures de tritium dans les eaux souterraines avec des techniques d’apprentissage automatique pour créer une carte détaillée de la vulnérabilité des aquifères. Le tritium, un isotope radioactif de l’hydrogène, est naturellement présent en petites quantités dans l’atmosphère et se retrouve dans l’eau de pluie. Sa présence dans les eaux souterraines indique une recharge récente, ce qui peut signifier une plus grande vulnérabilité à la pollution de surface.
Les auteurs de l’étude soulignent l’efficacité de l’utilisation du tritium pour évaluer la vulnérabilité des aquifères. Cette méthode est considérée comme efficace, car le tritium, naturellement présent dans l’eau de pluie, permet de dater précisément les eaux souterraines récentes. Contrairement aux méthodes traditionnelles comme l’indice “Drastic”, qui se base sur des paramètres hydrogéologiques statiques, ou l’analyse des nitrates, qui dépend des activités humaines, le tritium offre une indication directe de la recharge récente et donc de la vulnérabilité potentielle à la pollution de surface.
L’utilisation de l’apprentissage automatique, en particulier l’algorithme “Random Forest”, a permis aux chercheurs d’analyser les relations complexes entre les concentrations de tritium et diverses variables environnementales telles que la géologie, le climat et l’utilisation des terres.
La modélisation effectuée par les chercheurs offre une perspective nouvelle sur la vulnérabilité des aquifères sahéliens. Les auteurs de l’étude soulignent un résultat clé : « environ la moitié de la zone modélisée a été classée comme vulnérable. La vulnérabilité des eaux souterraines est basée sur la recharge récente, impliquant également une sensibilité au changement climatique, par exemple à travers l’altération des précipitations ou de l’évapotranspiration ». Cette constatation montre l’ampleur du défi auquel sont confrontés les gestionnaires des ressources en eau dans la région. Cependant, cette conclusion ne fait pas l’unanimité.
Didier Orange, Ecohydrologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) de Montpellier, n’a pas participé à cette étude. Interrogé par courriel par Mongabay, il explique que « la classification de la vulnérabilité dépend de la limite de tritium arbitrairement choisie par les auteurs, et rien ne prouve nécessairement que ces zones soient véritablement vulnérables ».
L’étude a également mis en évidence des facteurs influençant la vulnérabilité des aquifères. Les zones arides avec une plus grande saisonnalité des précipitations, une perméabilité plus élevée et des puits plus profonds ont généralement des eaux souterraines plus anciennes et moins vulnérables à la pollution de surface. Didier Orange confirme cette observation, expliquant que « plus la nappe est profonde, plus elle est ancienne et mieux protégée des pollutions ». Cette relation entre la profondeur de l’aquifère et sa vulnérabilité pourrait avoir des implications importantes pour la gestion et la protection des ressources en eau souterraine dans la région.
Le lien entre cette recherche et le changement climatique est particulièrement important et constitue l’un des aspects les plus novateurs de l’étude. Les auteurs expliquent que la vulnérabilité des eaux souterraines est basée sur la recharge récente, c’est-à-dire l’eau qui s’est infiltrée dans les dernières décennies, impliquant une sensibilité au climat changeant. Cela suggère que les modèles de vulnérabilité des aquifères pourraient évoluer avec les changements climatiques, nécessitant une surveillance et une adaptation continues des stratégies de gestion de l’eau.
Nécessité d’une gestion durable des ressources en eau
La carte de vulnérabilité produite par cette étude offre un outil potentiellement précieux pour les décideurs et les gestionnaires des ressources en eau. Elle permet d’identifier les zones où les aquifères sont les plus sensibles à la pollution, facilitant ainsi la priorisation des efforts de protection et de gestion durable. Par exemple, la carte révèle que certaines zones, densément peuplées du sud du Mali, du Burkina Faso et du nord-ouest du Nigeria, sont situées au-dessus d’aquifères particulièrement vulnérables. De même, des zones agricoles extensives au nord-est du Ghana, au nord du Bénin, au Nigeria et au nord du Cameroun, ainsi que dans la région entourant le lac Tchad, présentent un risque élevé de contamination des eaux souterraines.
Ces informations pourraient être cruciales pour orienter les politiques de gestion de l’eau et d’aménagement du territoire. Elles pourraient aider à définir des zones de protection des eaux souterraines, à réguler l’utilisation des pesticides et des engrais dans les zones agricoles sensibles et à planifier l’implantation des activités industrielles de manière à minimiser les risques de pollution des aquifères.
Cependant, Didier Orange fait remarquer que « le suivi de la concentration en nitrate suffit pour indiquer la vulnérabilité de la nappe, une mesure bien plus simple à réaliser ». Cette observation soulève des questions sur la valeur ajoutée de l’approche basée sur le tritium par rapport aux méthodes existantes de surveillance de la qualité de l’eau.
Il est toutefois important de noter, comme l’indique Didier Orange, que « le plus gros problème actuel des aquifères du continent africain est la salinisation des nappes ». La vulnérabilité des aquifères ne se limite pas à la pollution par les activités humaines, mais inclut également des processus naturels, qui peuvent être exacerbés par le changement climatique et la surexploitation des ressources en eau. La salinisation des aquifères, en particulier, représente une menace majeure pour la qualité de l’eau et la durabilité des ressources hydriques dans de nombreuses régions du Sahel.
Cette étude, malgré les débats qu’elle suscite, représente une contribution importante à la réalisation de l’Objectif de Développement Durable 6 des Nations Unies, qui vise à garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et à assurer une gestion durable des ressources en eau.
Image de bannière : Légende 2 : Les sources d’eau notamment les aquifères dans les pays du Sahel sont vulnérables au changement climatique aggravant ainsi la souffrance des populations pour l’accès à l’eau potable pour leurs besoins.Image Ezra Millstein/Mercy Corps.
Citation :
Podgorski, J., Kracht, O., Araguas-Araguas, L. et al. (2024). Groundwater vulnerability to pollution in Africa’s Sahel region. Nat Sustain 7, 558–567. https://doi.org/10.1038/s41893-024-01319-5 .