- Le Niger s’est engagé à restaurer 3,2 millions d’hectares de terres d’ici à 2030 dans le cadre de cette initiative panafricaine. Mais au cours de la décennie 2010-2020, le pays n’a restauré que 757 265 hectares, soit seulement 23,6 % de ses objectifs.
- Des actions à l’image du projet JESAC (Jeunesse Sahélienne pour l’Action Climatique), conduit par l’ONG internationale Oxfam, ont contribué à relever le niveau de mise en œuvre du projet dans le pays, avec la restauration de plus de 1700 hectares de terres dégradées et plus de 100 hectares d’espaces reboisés, entre 2020 et 2023.
- La composante nigérienne de l’initiative fait face à de nombreuses difficultés. En plus des aléas climatiques et de l’insécurité au Sahel, le pays qui a subi un coup d’état en juillet 2023, peine à mobiliser des financements pour réaliser ses objectifs. Selon un rapport de l’Accélérateur de la Grande muraille verte, les concours financiers des bailleurs de fonds en direction du Niger à fin 2021 sont chiffrés à $1,3 milliards pour la mise en œuvre du projet.
Une conférence-débat a eu lieu le 21 mai 2024 à Niamey, la capitale du Niger, entre les journalistes locaux et l’Agence nationale de la grande muraille verte du Niger (ANGMV). Elle a eu pour thématique : « Comment accélérer la mise en œuvre de la Grande muraille Verte ? ». D’après un communiqué de presse rendu public à cet effet, l’objectif de la rencontre a consisté à échanger sur les voies et moyens en vue de soutenir les efforts de l’ANGMV et de renforcer les liens institutionnels pour accompagner les producteurs ruraux.
La mise en œuvre du projet au Niger n’a pas connu une très grande avancée au cours de la dernière décennie, à en croire le Colonel Abdou Ibrahim, Directeur général de l’ANGMV. « Quoique certains pays comme l’Éthiopie, le Sénégal et le Niger ont fait des efforts considérables dans la mise en œuvre de l’initiative Grande muraille verte, notamment en ce qui concerne la restauration des terres dégradées et le reboisement. Je pense que, en termes de synthèse de ce qui est fait, on peut dire que c’est très faible », a-t-il dit à Mongabay dans un courriel.
Au demeurant, des actions ont été menées en vue de relever le niveau de mise en œuvre du projet dans le pays. Entre 2020 et 2023, l’ONG internationale Oxfam a tenu le lead du Projet JESAC (Jeunesse Sahélienne pour l’Action Climatique), un programme financé avec Oxfam et l’Union Européenne à hauteur de 721,7 millions de FCFA (environ $1,2 milliard). Il a été mené au Niger et au Burkina Faso, pour la promotion du leadership et l’autonomisation des jeunes et des femmes dans les initiatives liées à la récupération des zones dégradées et à l’adaptation au changement climatique, des objectifs promus par la Grande muraille verte.
Projet JESAC, dans les cordes de la Grande muraille verte
Au Niger, le Réseau de la Jeunesse Nigérienne sur les Changements Climatiques (RJNCC) a œuvré comme partenaire technique de l’ONG Oxfam pour la mise en œuvre de ce projet, mené dans six localités (Loga, Falwal, Sokorbe, Dogondoutchi, Dantiandou et Kouré). À terme, il a permis la restauration de 1720 hectares de terres dégradées et plus de 100 hectares d’espaces reboisés, à travers diverses espèces selon les spécificités climatiques de chaque localité. Il s’agit, entre autres, de l’Adansoni digitata, Ziziphus mauritiana, Bauhinia rufescens, Faidherbia albida, Acacia Senegal, etc.
D’après Issa Garba, Coordonnateur exécutif du RJNCC, « ce sont des espèces qui résistent plus aux chocs climatiques, et qui sont d’utilité économique, voire médicinale », a-t-il dit dans un échange téléphonique à Mongabay. « En Afrique, les communautés continuent à se soigner avec les plantes; elles les utilisent aussi pour l’alimentation et surtout aussi pour la commercialisation. Nous avons pris en compte ces critères pour choisir ces espèces, en concertation avec les communautés ».
Ces communautés sont également impliquées dans la protection des plantations agroforestières, grâce à un système de paiement par service environnemental, explique Garba : « ils s’occupent beaucoup de ces plants, parce qu’ils savent qu’il y a des revenus qui sont liés à l’entretien de ces plants. Pour cet entretien, on a facilité l’accès à l’eau dans un pays désertique comme le Niger, et nous avons créé des conditions pour la réalisation des forages solaires, qui sont sobres en Carbone, et qui n’émettent aucun gaz à effet de serre ». Les communautés ont également été formées au maraîchage à travers des jardins de pépinières pour pouvoir lutter contre l’insécurité alimentaire à travers la production des laitues, oignons, carottes, pommes de terre, etc.
Dans le cadre de cette initiative de la Grande muraille verte lancée en 2007 par l’Union africaine, le Niger s’est engagé à restaurer 3,2 millions d’hectares de terres d’ici à 2030 pour répondre aux pertes annuelles d’environ 100 000 hectares de terres dégradées. Mais les données collectées auprès de l’AGMV indiquent qu’au cours de la période 2010-2020, le pays n’a restauré que 757 265 hectares de terres (reboisement, restauration de terres agricoles, restauration de terres pastorales et fixation des dunes), soit seulement 23,6 % de ses objectifs, pour un total de plus de 145 millions d’arbres plantés sur l’ensemble des espaces aménagés.
Pour Dr Seyni Bodo, Enseignant-chercheur en Agro-pédologie à l’université Boubakar Bâ de Tillabéri, au sud-ouest du Niger, joint par courriel par Mongabay, « les terres restaurées ou reboisées dans le pays dans le cadre de la Grande muraille verte sont principalement utilisées pour renforcer la sécurité alimentaire à travers des pratiques agricoles durables, visant à améliorer la résilience des communautés locales face aux changements climatiques, et pour stabiliser les sols afin de prévenir l’érosion ».
Les écueils dans la mise en œuvre du projet
Au Niger comme dans la plupart des pays éligibles à l’initiative, une entité a été créée pour coordonner les activités du projet. En 2015, l’Agence nationale de la grande muraille verte a vu le jour, mais l’adoption tardive de ses textes d’opérationnalisation a constitué un des écueils dans la dynamique du projet sur le terrain.
Pour le militant de la société civile, Issa Garba, « les actions sont timides et faibles parce que l’État n’alloue pas d’enveloppes (financières) dans le cadre de la réalisation de la Grande muraille verte. Tout ce qui a été mis en œuvre sur le terrain, c’est grâce à l’appui des partenaires au développement (PNUD, Union Européenne, PAM, Care International, Oxfam…) ». Il préconise que l’État nigérien mette à disposition un budget conséquent pour conduire les projets inscrits dans la Grande muraille verte : « je pense que l’effort des partenaires seulement ne suffit pas. Il faut que l’État nigérien puisse nous accompagner à travers un financement conséquent des ONG au niveau national et au niveau communautaire, pour que ce projet puisse se réaliser ».
Le projet est confronté à divers autres facteurs, qui ne favorisent pas son envol. D’après l’ANGMV, il s’agit, entre autres, des aléas climatiques caractérisés par les sécheresses fréquentes et les inondations, qui compromettent la réussite des plantations réalisées et des micro-barrages construits ; une pression excessive sur les ressources naturelles exercée par une population en pleine croissance, et des mauvaises pratiques de gestion de ces ressources (surpâturage, déboisement, exploitation minière des sols, etc.).
Dans la localité de Loga au sud-ouest du Niger où des plantations forestières ont été créées grâce au projet JESAC, Ousseini Adamou, un des activistes du climat formé dans le cadre dudit projet, se dit satisfait des prouesses du projet. Il déplore, cependant, les chocs climatiques subis par certaines espèces plantées, un an après la fin du projet. « On a planté des arbres tels que le Neem, les manguiers, et on a créé des pépinières. Mais il y a des arbres, qui ne poussent pas bien, notamment le Neem à cause de la sécheresse », a-t-il confié à Mongabay au téléphone. « Là où on les a plantés, il n’y a pas assez d’eau pour les entretenir, et il n’existe qu’un seul puits. La quantité d’eau ne suffit pas pour les besoins des populations ».
A cela, s’ajoute la participation aléatoire des populations locales à l’initiative à cause de la prévalence de la pauvreté dans les zones d’intervention. La situation d’insécurité dans le pays est également un facteur non négligeable qui a fortement affecté la subvention de l’État à l’ANGMV, ainsi que les difficultés liées à la mobilisation des financements extérieurs pour la mise en œuvre du projet.
En effet, le Niger a enregistré un coup d’état militaire en juillet 2023. Selon Elvis Paul Tangem, Coordonnateur de l’Initiative de la Grande muraille verte à la Commission de l’Union africaine, ce changement brusque de régime à la tête du pays a eu des répercussions dans la mise en œuvre du projet au Niger. « Le changement brusque de régime, intervenu le 26 Juillet 2023 au Niger, a impacté au début le financement de la grande muraille verte avec l’arrêt de certains projets », a-t-il déclaré dans un courriel à Mongabay. « Mais progressivement, la situation est en train de se normaliser avec le retour progressif des partenaires. On peut noter le retour de la Banque mondiale, la BAD (Banque africaine de développement) et la continuité des réalisations au profit des communautés des projets financés par l’Agence française de développement (AFD), comme les actions de l’ONG SWISSAID … Il faut noter que les autorités militaires actuelles ont fait de la mise en œuvre de la grande muraille verte une priorité nationale », renchérit-il.
Le Niger a élaboré un Plan d’action de mise en œuvre de la grande muraille verte, sur la période 2014-2024, d’un coût prévisionnel d’environ 455 milliards de FCFA ($745 millions). Il est engagé dans la mobilisation des ressources auprès des bailleurs de fonds pour sa faisabilité. En janvier 2021, à l’occasion du sommet One Planet Summit tenu à Paris, plusieurs organisations multilatérales et bilatérales ont promis des financements de plus de $19 milliards pour accélérer la mise en œuvre de la grande muraille verte à l’échelle des 11 pays. D’après les données mises à la disposition de Mongabay par la Coordination de la Grande muraille verte et collectées auprès de l’Accélérateur de la Grande muraille verte, une plateforme multi-acteurs chargée d’harmoniser les efforts des partenaires financiers en vue d’accélérer la mise en œuvre du projet, les financements déjà mobilisés en faveur du Niger s’élèvent à $1,3 milliards à fin 2021. Mais l’ANGMV éprouve des difficultés à capter aisément ces ressources financières, « faute de l’ensemble des textes juridiques et administratifs requis », a dit le Colonel Ibrahim.
Il importe de rappeler qu’à l’échelle des 11 pays, l’Agence panafricaine de la Grande muraille verte a élaboré une feuille de route sur le quinquennat 2021-2025. Ce plan indique que 10 millions d’hectares de terres ont été restaurées et aménagées en 2023, 50 000 ménages ruraux ont été équipés en énergie propre et 500 000 emplois productifs ont été créés. Au demeurant, le niveau global de mise en œuvre de cette initiative panafricaine reste très faible, avec un taux d’avancement, qui oscille entre 10 et 15 %, selon une étude réalisée en 2021 par la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification.
Image de bannière : Des hommes et des femmes de la communauté de Kholy-Alpha, dans la communauté rurale de Mboula au Sénégal, travaillent dans la pépinière créée dans le village dans le cadre de l’Initiative de la Grande Muraille Verte. Image avec l’aimable autorisation de la FAO.