- Une étude révèle que ces phénomènes causés par l'augmentation en partie de la pression du dioxyde de carbone (CO2) dans l'eau de mer, et la désoxygénation, représentent les trois plus grandes menaces climatiques pour la vie marine.
- Les chercheurs ont découvert que ces menaces climatiques sont à l’origine d’une augmentation de la mortalité, mais aussi des modifications de la physiologie et du comportement des invertébrés et des poissons.
- Selon le rapport 2024 de l’Unesco sur l’état de l’océan, le taux de réchauffement des océans a doublé en 20 ans, avec une année 2023 ayant connu l'une des plus fortes augmentations jamais observées depuis les années 1950.
Le réchauffement, la désoxygénation et l’acidification des océans, sont des phénomènes climatiques présentant des conséquences bien plus importantes sur les écosystèmes marins que ce que l’on imaginait. Ces facteurs climatiques provoquent, non seulement, une augmentation de la mortalité, mais aussi des modifications de la physiologie et du comportement des poissons (téléostéens, élasmobranches) et des invertébrés (Annelida, Arthropoda, bryozoa, Cnidaria, Echinodermata, Mollusca, Nematoda, Platyhelminthes, et Porifera). C’est l’une des conclusions d’une étude réalisée par un groupe de chercheurs en conservation marine, affiliés à des laboratoires de recherche en Europe et en Amérique du Sud.
L’étude publiée en avril dernier par la revue Nature résulte d’une méta-analyse axée sur l’examen de 217 études à l’effet d’évaluer comment diverses espèces, provenant de différents écosystèmes sont impactés par le réchauffement, l’acidification, ou la désoxygénation des océans. Ces menaces climatiques induisent des changements directionnels dans la calcification, la survie et le métabolisme, ainsi que des déviations significatives chez les organismes marins.
Spécialiste en conservation marine, Juliette Jacquemont, chercheuse au Centre national de recherche scientifique (CNRS) de Paris, a co-dirigé cette étude. Pour cette doctorante de l’École des sciences aquatiques et halieutiques de l’université de Washington aux États-Unis, « ces études sont extrêmement importantes, mais leur nombre et leur diversité les rendent difficiles à utiliser directement par les gestionnaires ou les politiques pour informer les stratégies d’adaptation au changement climatique », a-t-elle expliqué dans un email à Mongabay. « Notre objectif était donc de fournir une synthèse de ces résultats scientifiques pour donner une vue d’ensemble des tendances observées par groupe d’organismes, par type de pression climatique et, par intensité de changement climatique », renchérit-elle.
Aux origines des menaces climatiques sur les océans
Le réchauffement et l’acidification des océans sont des phénomènes climatiques qui résultent de l’augmentation de la pression partielle du dioxyde de carbone (CO2) dans l’eau de mer. Les chercheurs expliquent qu’avec la désoxygénation, qui se traduit par la baisse de l’oxygène dans les océans du fait de l’activité humaine, ils représentent les trois plus grandes menaces climatiques pour la vie marine. La recherche montre que le réchauffement climatique augmente les coûts énergétiques et diminue la survie des organismes marins (algues, bactéries, plancton, etc.) et que l’acidification affecte les invertébrés plus que les poissons, par des effets négatifs sur la survie, la calcification, la croissance et le développement. En sus, il a été démontré que d’autres facteurs, tels que le stade de vie, le taxon et le temps d’acclimatation, modifient considérablement la sensibilité des organismes marins aux facteurs du changement climatique.

Interrogé par Mongabay sur les causes de ces menaces climatiques sur la biodiversité marine, l’hydrobiologiste Serge Hubert Zebaze Togouet, Enseignant à l’université de Yaoundé I au Cameroun, évoque les causes naturelles et les causes anthropiques à l’origine de ces phénomènes.
« Les causes naturelles peuvent être externes ou internes. On peut citer le réchauffement du globe terrestre, les cendres et les particules projetées par le Soufre volcanique, les variations entre les différentes composantes des systèmes climatiques, ce qui n’est pas toujours faciles à comprendre, mais les mouvements océaniques peuvent modifier les vents », explique-t-il. Pour ce qui concerne les causes anthropiques, l’universitaire camerounais évoque la pollution, l’extraction des combustibles fossiles, l’industrie utilisant l’énergie fossile, les transports, la déforestation, etc.
Cependant, pour réduire les impacts du réchauffement climatique sur la vie marine, Juliette Jacquemont pense que les gouvernements et les entreprises ont une part importante de responsabilité à jouer pour promouvoir, à une échelle globale, des modèles durables et des solutions à faible impact Carbone pour l’environnement.
Elle suggère par exemple de « diminuer les menaces pesant à l’échelle locale sur les écosystèmes marins, telles que la surpêche et la pollution ». « L’idée est que les écosystèmes marins auront une plus grande capacité à s’adapter au changement climatique s’ils ne sont pas affectés simultanément par d’autres pressions. Il est plus facile de gérer ces autres pressions, car elles opèrent à l’échelle locale, donc peuvent être éliminées grâce à des plans de gestion, ou en mettant en place des actions de conservation », dit la chercheuse française.
Menace globale et solutions endogènes
À l’échelle de l’Afrique, Jacquemont pense que bien que le réchauffement des océans soit une menace globale pour laquelle le continent n’est responsable que d’une faible part des émissions, il peut tout même jouer un rôle dans le développement d’un réseau de conservation marine efficace et représentant toute la diversité de ses écosystèmes marins, et aussi dans le développement de suivi et de régulation de la pêche pour permettre de mieux connaitre les impacts issus de cette activité afin de mieux les gérer.

Pour l’Océanographe physicien, Éric Machu, Chercheur à l’Institut pour la Recherche et le Développement (IRD), un établissement public français qui œuvre pour un partenariat scientifique équitable avec les pays en développement, l’Afrique peut également contribuer dans cette lutte « en réduisant les émissions de gaz à effet de serre », soutient-il dans une conversation téléphonique avec Mongabay. Il poursuit : « Cela veut dire qu’il ne faut pas suivre la trajectoire des pays occidentaux sur leur mode de vie. Il faut que l’Afrique ait un rapport à la nature qui soit différent. L’Européen voit la terre sans limite. Il est complètement déconnecté de son environnement, et la technologie est le seul indicateur qui définit les problématiques, ce qui est totalement absurde (…) Avec ce qui se passe en Europe, on est dans un labyrinthe sans issue. On doit réfléchir autrement. On ne peut pas continuer à faire une prédation sur notre environnement comme on le fait. Ça n’a pas de sens », dit-il.
Les alertes sont données au fil des années sur les menaces, qui pèsent sur les océans. L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) a publié, fin mai son rapport 2024 sur l’état de l’océan, qui renseigne sur une analyse factuelle des défis à relever, notamment le réchauffement des océans, l’élévation du niveau de la mer, la pollution, l’acidification, la désoxygénation, le carbone bleu et l’appauvrissement de la biodiversité. Ledit rapport révèle que le taux de réchauffement des océans a doublé en 20 ans, avec une année 2023 ayant connu l’une des plus fortes augmentations jamais observées depuis les années 1950.
La Directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay, a réagi à la publication de ce rapport. Dans sa réaction publiée sur le site internet de l’organisme, elle déclare : « Le dérèglement climatique a un impact de plus en plus fort sur l’état de l’océan. Température, acidification, niveau de la mer : tous les signaux sont au rouge ». Et d’ajouter : « Outre la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat, nous appelons nos États membres à investir dans la restauration des forêts marines et à mieux réguler les aires marines protégées qui sont des réservoirs de biodiversité essentiels ».
Pour rappel, l’Unesco coordonne la décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030). Elle révèle que depuis le début de la décennie, plus de 500 projets ont été initiés à travers le monde et plus d’un milliard de dollars US ont été mobilisés pour améliorer la connaissance et la protection des océans.
Image de bannière : La Grande Barrière de corail, plus grand système de récifs coralliens au monde subit les effets conjugués de plusieurs phénomènes climatiques et humaines qui entraînent le blanchissement massif des coraux et l’apparition cyclique de l’étoile de mer couronne d’épines. Image de Jorge Láscar de l’Australie.
Citation : Alter, K., Jacquemont, J., Claudet, J. et al. (2024). Hidden impacts of ocean warming and acidification on biological responses of marine animals revealed through meta-analysis. Nat Commun 15, 28-85. https://doi.org/10.1038/s41467-024-47064-3 .