- Des recherches soulignent de plus en plus les impacts du réchauffement climatique sur les singes à l’état sauvage, mais les centres de réhabilitation en ressentent déjà les effets.
- Les sanctuaires de grands singes d’Afrique sont affectés par les changements climatiques, notamment les sécheresses et les inondations, ce qui accroît les difficultés liées à la prise en charge de leurs pensionnaires.
- Les conditions météorologiques extrêmes augmentent les risques de conflits entre l’homme et la faune sauvage dans les zones de conservation et rendent la vie quotidienne plus difficile pour le personnel des sanctuaires, leurs familles et leurs communautés.
Des précipitations supérieures à la moyenne ont fait sortir la rivière Ewaso Nyiro de son lit en avril 2024, au Kenya, inondant la région et causant de nombreux dégâts, y compris au sanctuaire des chimpanzés de Sweetwaters, qui comptait alors plusieurs dizaines de pensionnaires.
Des publications récentes prédisent que les grands singes d’Afrique seront de plus en plus affectés par le changement climatique dans les trente prochaines années, faisant face à des événements extrêmes tels que des incendies, des inondations ou des vagues de chaleur. Les singes sauvages ne sont pourtant pas les seuls à courir un risque : à travers tout le continent, les centres de réhabilitation pour les grands singes prennent eux aussi un coup de chaud.
« Le changement climatique a un impact énorme sur les sanctuaires », affirme Kaitlyn Bock, directrice des programmes de l’Alliance Panafricaine des Sanctuaires (PASA), une coalition de sanctuaires et centres de réhabilitation à travers l’Afrique. « Ils sont affectés par tous les marqueurs du changement climatique, des précipitations accrues aux sécheresses intenses, ce qui a un impact sur les actions qu’ils mènent. »
Bock says these changes seem to be happening rapidly across PASA’s 23 member organizations, which care for gorillas, chimpanzees, bonobos and other primatesSelon Bock, ces changements semblent se produire rapidement au sein des 23 organisations membres de la PASA, qui s’occupent notamment de gorilles, de chimpanzés et de bonobos.
« Le changement climatique est un phénomène qu’on voit se produire graduellement sur plusieurs années… Mais pour les sanctuaires, il semble très soudain ».
Des inondations extrêmes aux sécheresses
Si le changement climatique affecte bien tous les sanctuaires de grands singes du continent, il ne se manifeste pas de la même manière partout. Par exemple, les inondations sont une préoccupation majeure dans certaines parties de l’Afrique de l’Est.
Dr Stephen Ngulu, manager et vétérinaire à Sweetwaters, qui fait partie de l’Ol Pejeta Conservancy au Kenya, affirme que les pluies extrêmes et les inondations contribuent à un éventail de problèmes pour l’établissement. Plus tôt cette année, la crue de la rivière Ewaso Nyiro a endommagé les clôtures, ainsi que d’autres infrastructures du sanctuaire, empêchant les singes d’accéder aux plus grands enclos.
« Cela affecte sévèrement le bien-être des chimpanzés, d’autant que les maintenir dans des espaces confinés accroît le risque de conflits entre individus », explique Dr Ngulu, ajoutant que ces circonstances augmentent également le risque d’épidémies de maladies infectieuses parmi les singes.
Malheureusement, l’inondation des routes limite l’accès du personnel aux installations et les empêche d’évaluer convenablement les dégâts. De même, les conditions de circulation difficiles ont une incidence sur le transport, et, donc, sur le coût des denrées alimentaires et des fournitures.
« Pour un sanctuaire, ce genre de situation est considéré comme un état de crise », affirme Dr Ngulu.
Les inondations en Ouganda voisin posent également des problèmes importants à la Réserve de chimpanzés de l’île de Ngamba, car les eaux du lac Victoria, où se trouve l’île, ont atteint des niveaux sans précédent.
« Les précipitations causées par El Niño ont été exceptionnellement longues et abondantes l’année dernière, avec des pluies persistant pendant plus de six mois et des saisons humides dépassant la normale », explique Dr Joshua Rukundo, vétérinaire et directeur général du Chimpanzee Sanctuary & Wildlife Conservation Trust, l’organisation qui gère le sanctuaire. « Ce phénomène a été presque constant ces deux ou trois dernières années. »
L’un des plus gros impacts de ces inondations a été la fermeture forcée des établissements aux visiteurs, entravant la capacité de l’organisation à générer des revenus pour financer le sanctuaire et les efforts de protection des chimpanzés à l’état sauvage.
Par ailleurs, les conditions météorologiques changeantes ont également affecté les programmes de subsistance alternative menés par l’organisation, qui aident à planter des cultures à forte valeur ajoutée résistantes aux conflits, telles que les pommes de terre, les haricots et le café. L’imprévisibilité des pluies a provoqué la pourriture des racines et des pertes de récoltes, ce qui, selon Dr Rukundo, accroît la concurrence entre les communautés et la faune pour les maigres ressources disponibles, exacerbant ainsi les conflits entre l’homme et la faune.
En outre, la situation accapare le personnel : les employés doivent constamment ajuster l’électrification des clôtures et réparer les sections endommagées, entre autres choses, explique Dr Rukundo.
Un peu plus au sud, la Zambie n’est pas confrontée à des inondations, mais à des sécheresses plus fréquentes, qui ont contribué à une famine généralisée et à l’augmentation de la pauvreté dans le pays.
Peggy Motsch, directrice générale du Chimfunshi Wildlife Orphanage Trust, qui sauve et prend soin de chimpanzés, explique que le sanctuaire peine à fournir un apport régulier en eau et en nourriture à ses pensionnaires. Le sanctuaire collabore avec les communautés locales pour s’approvisionner en nourriture, mais l’impact de la sécheresse sur les cultures rend la tâche plus difficile, dit-elle. Pour compenser, Chimfunshi a introduit l’agriculture de conservation sur ses terres, mais, là aussi, le manque d’eau freine les efforts.
En outre, « la pénurie d’eau et de nourriture fait augmenter les prix, ce qui complique la situation pour la population, mais aussi pour le sanctuaire, puisque nous dépendons des dons », déplore Motsch.
« La faim pousse les gens à la délinquance : pour se faire de l’argent, ils volent des matériaux, comme le métal des enclos, ce qui compromet la sécurité des installations et met les chimpanzés et les personnes en danger », ajoute-t-elle.
Mais les animaux du sanctuaire ne sont évidemment pas les seuls à être affectés par l’aggravation des conditions météorologiques. Motsch raconte, que les employés de Chimfunshi, ont du mal à nourrir leurs familles, et que le sanctuaire est « constamment à la recherche de solutions pour atténuer les problèmes de sécurité alimentaire ».
Dans certains endroits, comme en Zambie, la pénurie d’eau complique l’application des mesures sanitaires requises pour protéger la population des maladies contagieuses, explique Bock. Par exemple, il faut avoir accès à de l’eau propre pour maintenir le niveau d’hygiène nécessaire à éviter la transmission du choléra, une maladie infectieuse potentiellement mortelle. Mais la sécheresse, qui sévit en Zambie, rend la tâche difficile, et d’après l’ONU, 21 000 cas y ont été signalés entre janvier 2023 et janvier 2024.
« Ce n’est qu’un exemple d’une situation d’urgence, qui affecte les animaux, qui vivent ici, dont les chimpanzés, mais qui touche aussi, et peut-être davantage, les personnes et le personnel qui y travaillent », explique Bock.
Renforcer la résilience
La PASA dispose d’un fonds spécial dédié à aider les sanctuaires à faire face aux situations d’urgence. Par exemple, l’organisation a contribué à financer des infrastructures pour endiguer certains problèmes d’inondation à Sweetwaters au Kenya. Mais les fonds disponibles sont limités et, d’après Bock, ce type de crise survient de plus en plus souvent à mesure que la planète se réchauffe.
Toutefois, dit-elle, le personnel du sanctuaire fait preuve d’une résistance exceptionnelle face à ces défis :
« Pour travailler dans ce domaine, il faut de la ressource et de la résilience, et je pense que nos sanctuaires en ont à revendre […] Ils sont coriaces, capables de s’adapter, déterminés et passionnés. Ils sont très engagés, et travailler contre vents et marées est, en quelque sorte, notre gagne-pain. »
Chimfunshi s’adapte en prenant des mesures pour économiser autant d’eau que possible tout en continuant, à fournir à ses chimpanzés, un accès à de l’eau propre, même en période de pénurie. Par exemple, ils donnent aux pensionnaires plus de temps dans les enclos extérieurs, afin de minimiser la fréquence du nettoyage des cages.
En outre, un certain nombre de sanctuaires ou leurs organisations partenaires ont mis en place des programmes de conservation, qui contribuent à restaurer les habitats des grands singes et à reconstituer des forêts, qui participent à la lutte contre le changement climatique en servant de puits de carbone. Sweetwaters dispose ainsi d’un programme de plantation d’arbres, bien qu’il ait également été affecté par les conditions météorologiques imprévisibles.
En République démocratique du Congo, les Amis des bonobos du Congo (ABC), l’ONG qui a fondé le sanctuaire Lola ya bonobo, a établi la Réserve Communautaire Ekolo ya bonobo, une aire protégée de plus de 48 500 hectares dans la forêt tropicale du bassin du Congo. En plus d’être le seul site de remise à l’état sauvage de bonobos au monde, la réserve est, grâce à son terrain tourbeux, un puits de carbone qui aide à stabiliser le climat, affirme Candor Soraya Bourne, directrice des partenariats de conservation pour Friends of the Bonobos, une organisation partenaire d’ABC basée aux États-Unis.
De cette manière, les efforts de conservation de l’organisation profitent à la fois aux grands singes en danger comme les bonobos, qui, souligne Bourne, sont une espèce parapluie, et aux humains, alors que nous luttons ensemble contre les effets de la montée globale des températures.
« D’habitude, on n’inclut pas l’homme dans les espèces profitant de la conservation d’une espèce parapluie », dit-elle. « Mais considérant son importance pour le climat mondial, pourquoi ne pas se compter parmi les milliers d’espèces, qui dépendent de la survie et de l’intégrité de la forêt tropicale du bassin du Congo ? »
Citation:
Kiribou, R., Tehoda, P., Chukwu, O., Bempah, G., Kühl, H. S., Ferreira, J., … Heinicke, S. (2024). Exposure of African ape sites to climate change impacts. PLOS Climate, 3(2), e0000345. doi:10.1371/journal.pclm.0000345
Cette histoire a été publiée initialement ici par l’équipe de Mongabay Global le 5 julliet, 2024.