- Les touristes étrangers paient entre 600 $ et 700 $ par personne pour des permis gorille. Délivrés par l’Uganda Wildlife Authority, ces permis leur permettent de suivre et de passer une heure avec des familles de gorilles des montagnes habituées à la présence humaine.
- Un audit récent de l’UWA a révélé que certains fonctionnaires corrompus délivraient de faux permis, détournant une partie des revenus de l’agence et affectant son travail de conservation, y compris le financement de projets pour les communautés en première ligne de la conservation des gorilles.
- En réponse, l’agence a suspendu 14 de ses employés soupçonnés de fraude, lancé une enquête approfondie et mis en place un nouveau système de délivrance des permis et de collecte des recettes.
- Les communautés vivant à proximité des parcs de gorilles, dont beaucoup ont vu leurs droits traditionnels sur les forêts restreints en raison de leur statut de protection, affirment qu’elles sont au courant du scandale et que ce n’est que la dernière de leurs nombreuses critiques à l’égard de l’UWA.
En Ouganda, des touristes venus du monde entier paient le prix fort pour la chance d’une vie : fréquenter des familles de gorilles dans les forêts de montagne de l’Ouganda. Les prix élevés sont en partie justifiés par le fait que les permis gorille financent la protection de ces grands singes majestueux. Cependant, des allégations de fraude dans la délivrance de permis gorilles et chimpanzés par l’Uganda Wildlife Authority (UWA) ont exposé des faiblesses dans l’approche de la conservation axée sur le tourisme du pays.
Certains employés de l’UWA auraient imprimé de faux permis et les auraient délivrés à d’innocents touristes. Selon les responsables de l’UWA, il n’existe aucune trace de ces transactions dans les registres financiers de l’agence, puisque les fonctionnaires corrompus ont empoché les fonds. Mais les touristes en possession de ces faux permis pouvaient tout de même les utiliser.
Une « poule aux œufs d’or » touristique
L’Ouganda offre aux visiteurs payants le rare privilège d’interagir avec certains de nos plus proches cousins sauvages. Une expérience convoitée, car les gorilles des montagnes (Gorilla beringei beringei), une sous-espèce du gorille de l’Est, ont frôlé l’extinction il y a plusieurs dizaines d’années avec une population réduite à quelques centaines d’individus seulement. Des efforts concertés de conservation ont permis de faire remonter leur nombre, qui s’élève désormais à plus de 1 000.
On ne trouve ces primates de montagne qu’en Ouganda, en République démocratique du Congo (RDC) et au Rwanda. Le parc national de la forêt impénétrable de Bwindi, niché au sud-ouest du pays, à la frontière avec la RDC, abrite la moitié de ces grands singes en danger. Le parc national de Mgahinga, dans les montagnes des Virunga à la frontière avec la RDC et le Rwanda abrite une famille supplémentaire de gorilles de montagne habitués à la présence humaine, dont quatre dos argentés. Ces primates supportant mal la vie en captivité, il n’est possible de les observer qu’en faisant un long trek dans leurs habitats dans les hauts plateaux brumeux.
L’UWA, une agence rattachée au ministère du Tourisme, de la Faune sauvage et des Antiquités, délivre des permis gorille. Pour les obtenir, les étrangers paient entre 600 $ et 700 $ (entre 570 € et 660 €) par personne. Ils peuvent ensuite suivre et passer une heure avec des familles de gorilles des montagnes habituées à la présence humaine, sous la supervision de gardes forestiers et de pisteurs.
Avant la pandémie de COVID-19, le tourisme représentait 8 % du PIB de l’Ouganda, en grande partie grâce au tourisme des gorilles. On ne saurait trop insister sur l’importance de cette activité pour le pays. Taddeo Rusoke, expert en sciences de la conservation à l’université de Nkumba, à Kampala, a décrit le tourisme des gorilles comme étant « notre poule aux œufs d’or ».
Dans un courriel adressé à Mongabay, Bashir Hangi, porte-parole de l’UWA, a expliqué que ce sont les touristes qui ont alerté l’agence de la fraude, se plaignant de numéros de série non concordants, d’interactions avec des intermédiaires et de prix inexplicablement bas.
Les plaintes ont mené à un audit interne de l’UWA, qui s’est déroulé entre juin et août de cette année.
Sam Mwandha, directeur général de l’agence de protection de la faune sauvage, a fait part des résultats de l’audit à Mongabay :des fonctionnaires des départements réservations, finance et informatique étaient potentiellement impliqués avec l’aide de personnel de terrain. Une enquête en cours examine également le rôle des agences de voyages.
L’UWA n’a pas donné de chiffre exact quant aux pertes de revenus, mais certaines estimations suggèrent qu’elles seraient de l’ordre de 11,2 milliards de shillings (soit 3 millions de dollars).
Les sommes payées pour les permis illégaux finissent essentiellement dans les poches des fonctionnaires corrompus, des intermédiaires et, potentiellement, des agences de voyages, et n’atteint donc jamais sur les comptes de l’UWA. « La présence de faux permis gorilles ne fait pas que miner la crédibilité de l’UWA, elle a également des implications financières sérieuses. Tout d’abord, ces permis contrefaits ont pour conséquence une perte de revenus pour l’agence », a expliqué Hangi. En outre, ils « impactent négativement la capacité de l’UWA à investir dans l’amélioration des efforts de conservation, la protection de la faune sauvage et les projets de développement communautaires. »
L’Ouganda est reconnu mondialement comme un havre pour les grands singes tels que les gorilles et les chimpanzés, mais les protéger a un coût pour les communautés qui vivent aux côtés de la faune. Lorsque le parc national de la forêt impénétrable de Bwindi a été créé en 1991, les restrictions des droits traditionnels des habitants sur la forêt ont mené à des conflits fréquents avec les autorités de la conservation. Dans les années qui ont suivi, l’UWA et les organisations internationales de protection de la nature ont mis au point des programmes permettant un accès limité aux forêts ainsi que des programmes de partage des revenus du tourisme afin de promouvoir la conservation auprès des résidents vivant autour des parcs nationaux.
À Bwindi, grâce à un accord de partage des revenus, les communautés vivant en-dehors des limites du parc reçoivent 10 $ par permis gorilles vendu et 20 % du tarif d’entrée dans le parc, qui est de 40 $. Ici, le nombre annuel de touristes est passé de 1 300 en 1993 à environ 20 000 en 2016. « En fin de compte, quand on touche 10 $ par permis, c’est beaucoup d’argent », affirme Rusoke.
« Les revenus générés par le tourisme des gorilles légitime vont vers le financement de programmes de conservation de la nature et d’initiatives de développement durable, assurant la survie à long terme de ces magnifiques créatures et de leurs écosystèmes », a expliqué Lilly Ajarova, PDG de l’Uganda Tourism Board (UTB).
Les fonds siphonnés par les acteurs corrompus privent les locaux de leur juste part. Insingoma Jackson, un résident de Rubuguri, un village en bordure de Bwindi, a confirmé à Mongabay qu’ils étaient au courant du scandale de l’UWA, qui n’est que la dernière de leurs nombreuses critiques à l’égard de l’agence. « Ceux qui travaillent dans les parcs nationaux ne traitent pas nos communautés équitablement », a-t-il dit. « Comparé à ce que le parc retire du tourisme, la communauté ne retire pas grand-chose [du] parc. »
« Tout l’objectif du partage des revenus dans les projets de conservation est d’améliorer la perception au sein des communautés et de recueillir du soutien pour la gestion des aires protégées », a expliqué Rusoke.
Seuls les villages qui bordent le parc sont inclus dans le programme de partage des revenus comme reconnaissance des impacts disproportionnés sur leurs vies. L’argent est utilisé pour des projets communautaires tels que la construction et la maintenance de routes, d’écoles, de centres de santé ou de points d’eau, ainsi que pour l’achat de bétail.
Jackson a cependant souligné que ces 10 $ ne sont qu’une part infime des 600 $ payés par les visiteurs internationaux à l’UWA. Bien qu’ils se taillent la part du lion, les fonctionnaires du parc s’enrichissent également en délivrant de faux permis, a-t-il dit.
« Lorsque de faux permis sont délivrés, l’argent versé aux communautés diminue. Cela signifie que leurs moyens de subsistance sont négativement impactés », a affirmé Brian Autheire, directeur général de l’African Initiative on Food Security and Environment [Initiative africaine pour la sécurité alimentaire et l’environnement]. « Cette pauvreté, dans de nombreux cas, a promu des activités illégales comme le braconnage au sein du parc, ce qui affecte directement la protection des gorilles. »
Hangi, à l’UWA, semble d’accord : « Une portion des revenus de l’agence contribue directement aux communautés locales vivant en bordure des parcs nationaux, garantissant ainsi leur participation dans la conservation des ressources naturelles. » Les faux permis gorilles « mettent non seulement les efforts de conservation en danger, mais ont également un impact négatif sur le développement socio-économique des communautés », a-t-il ajouté.
Ce qui est d’autant plus problématique considérant que même les fonds spécialement réservés ne sont pas toujours suffisants et n’atteignent pas toujours les personnes auxquelles ils sont destinés.
Selon Jackson, il arrive souvent que les fonds mis de côté pour les communautés « ne bénéficient pas directement aux plus affectés » et « les locaux ont peu de perspectives d’embauche dans les secteurs du tourisme ou de la conservation. »
« Les revenus ne pourront jamais être suffisants », a affirmé Rusoke. « Sans compter les pertes dues à la corruption, aux retards ou aux problèmes d’acquisition. Il y a une mauvaise gestion et des détournements de fonds. »
Lorsque les finances de l’UWA sont mises à mal, cela a un impact sur le travail de l’agence en tant que parc de gorilles, mais aussi sur tous les autres les plans. « En découle un déclin des efforts de conservation, par exemple une limitation des patrouilles anti-braconnage ou une réduction des initiatives de protection des habitats, qui affaiblit la capacité de l’UWA à protéger les ressources fauniques de l’Ouganda », a affirmé Hangi.
Les experts, quant à eux, sont divisés sur les conséquences que ce scandale aura sur la capacité de l’UWA à attirer des financements et des dons dans le futur. « Lorsqu’une organisation fait l’objet d’un tel scandale, les organismes internationaux qui leur fournissent des ressources, aussi bien financières qu’humaines, deviennent méfiants, et cela pourrait affecter leur financement », a expliqué Autheire.
L’effet du scandale sur le tourisme est lui aussi débattu : « La délivrance frauduleuse de permis gorilles est une menace considérable pour les efforts de conservation et l’industrie du tourisme en Ouganda », a affirmé Ajarova.
Toutefois, Rusoke ne s’attend pas à ce que ces révélations découragent les visiteurs internationaux ou fassent fuir les bailleurs de fonds de l’UWA. Selon lui, les problèmes dans le système de permis peuvent être réglés.
L’UWA, de son côté, fait le ménage. L’agence a en effet suspendu 14 employés soupçonnés d’être impliqués dans la fraude. Une enquête plus approfondie est en cours, à laquelle participent des membres de l’unité d’enquête de l’UWA et de la police ougandaise. Les résultats sont attendus en novembre, selon le ministre d’État chargé du Tourisme, de la Faune sauvage et des Antiquités.
Un vaste audit des permis délivrés entre juillet 2020 et septembre 2023 par l’Office du Commissaire aux comptes est en cours pour quatre parcs : les parcs nationaux de la forêt impénétrable de Bwindi, de Mgahinga et de Kibale, ainsi que la réserve de la gorge de Kyambura, au sein du parc national Queen Elizabeth.
L’UWA met également en place un nouveau système de réservation et de collecte des revenus. L’agence « a mis en place des procédures de contrôle plus strictes et tiré profit de la technologie pour dissuader les fraudeurs », a expliqué Hangi. Selon Arajova et le comité du tourisme, ces procédures incluent la délivrance de « permis inviolables dotés d’éléments de sécurité intégrés et d’une vérification numérique ».
Alors même que l’UWA est confrontée à la corruption, elle doit également répondre à des questions concernant la sécurité des visiteurs dans les parcs nationaux dont elle a la charge : le 17 octobre, une femme sud-africaine et un homme britannique en lune de miel et leur guide ougandais ont été tués au parc national Queen Elizabeth. La police ougandaise a tenu des membres des Forces démocratiques alliées (ADF), une milice opérant depuis la RDC voisine, pour responsables de l’attaque.
Image de bannière : Un gorille des montagnes rencontré lors d’un trek touristique en Ouganda. Image de Hjalmar Gislason depuis Flickr (CC BY 2.0).
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2023/10/gorilla-permit-fraud-dents-community-led-conservation-efforts-in-uganda/